Entretien exclusif avec Vincent Geloso, professeur à l’université George Mason aux États-Unis à propos de son papier sur les liens entre liberté économique et mobilité économique
Vincent Geloso est titulaire d’un doctorat en histoire économique de la London School of Economics and Political Science et d’une maîtrise en histoire économique du même établissement.
Alexandre Massaux : Vous avez publié un papier académique portant sur les liens entre liberté économique et mobilité économique pour le Journal of Institutional Economics. Papier qui a aussi servi de base pour une publication pour l’Institut économique de Montréal. Pouvez-vous décrire les conclusions de cet article ?
Vincent Geloso : Nombreux sont ceux qui affirment que la liberté économique sert largement les riches. Cependant, les penseurs libéraux (Adam Smith, Richard Cobden, Frédéric Bastiat, Michel Chevalier, Jean-Baptiste Say) du XVIIIe et XIXe siècles étaient très clairs : la liberté économique aide le petit homme plutôt que l’homme du système. Cependant, si cette idée a longtemps été acceptée par les libéraux, elle a rarement été documentée de manière quantitative.
James Dean (mon co-auteur) et moi-même avions pour but de produire cette documentation quantitative. Faisant usage des données canadiennes, qui sont d’une qualité exceptionnelle, en combination avec les indicateurs de la liberté économique, nous avons pu accomplir cet objectif. Il en est ainsi parce que les données canadiennes permettent de suivre l’évolution d’une cohorte d’individus et donc d’évaluer les changements dans le revenu de ces individus après cinq ans. Nous pouvons aussi observer les changements de revenus en fonction du point de départ des individus sur l’échelle des revenus.
Nous avons trouvé que, en moyenne, la liberté économique permet de bénéficier de gains de revenus plus importants. La liberté économique permet aussi de grimper plus rapidement l’échelle des revenus. Lorsque nous avons regardé ces effets au bas de l’échelle des revenus — le 10 % le plus pauvre — nous avons trouvé des effets encore plus importants suggérant que la part du lion des bienfaits de la liberté économique va aux plus pauvres.
AM : Afin d’accroître cette mobilité économique, voyez-vous des politiques qui pourraient être réformées ?
VG : Je suis moins familier avec le cas français, mais il y a des généralités importantes. Tout d’abord, la plupart des pays occidentaux ont tendance à réglementer l’accès aux professions même si celles-ci demandent peu ou pas de formation et/ou ne nécessitent pas vraiment de contrôle de qualité.
Ainsi, le biais de ces réglementations tend à nuire davantage aux plus pauvres. Similairement, des études, notamment par mon amie Diana Thomas de Creighton University au Nebraska, démontrent que les réglementations en général (pas seulement celles affectant les métiers) ont tendance à augmenter le prix des biens consommés disproportionnellement par les plus pauvres.
La même logique s’applique au cas des salaires (les réglementations réduisent davantage le salaire des travailleurs peu qualifiés). Ainsi, des déréglementations — particulièrement quant au marché du travail — pourraient aisément produire des gains de mobilité économique.
AM : Cette étude s’est faite avec des données canadiennes, pensez-vous que le lien entre liberté économique et mobilité est transposable dans les autres pays ?
VG : Oui ! Je suis présentement en train de produire une telle étude — avec des données plus limitées et différentes mais pour un grand ensemble de pays — avec mon ami Justin Callais de Texas Tech University.
Nos résultats préliminaires — prenez tout ceci avec un grain de sel pour l’instant puisque nous sommes en train de finaliser ledit article — suggèrent que la liberté économique augmente la mobilité économique intergénérationnelle. En d’autres mots, les gens dans les pays les plus économiquement libres sont moins prisonniers du statut dont ils héritent à la naissance.
AM : Vous êtes professeur à la George Mason University aux États-Unis et chercheur associé à l’Institut économique de Montréal. Deux institutions connues pour être liées au libéralisme classique. Pouvez-vous nous dire quel est l’état du mouvement libéral classique en Amérique du Nord ?
VG : Dans le même état qu’il est en France : déplorable. Pas tant par absence de vitalité ou de membres. En fait, puisque j’ai maintenant près de 15 ans d’expérience dans les mouvements libéraux, je peux dire que je n’ai jamais entendu autant de gens se réclamer de la pensée libérale.
Le problème c’est que nous vivons dans l’âge de l’antilibéralisme qui surgit en popularité tant à gauche qu’à droite. Ainsi, même si les libéraux sont plus nombreux, l’ampleur de la tâche a grossi plus vite.
AM : Avez-vous des conseils pour un libéral classique/libertarien souhaitant faire carrière dans le milieu académique ?
VG : Si vous êtes libéral ou libertarien et que vous voulez être un académique, ne laissez pas votre idéologie dicter vos réponses. L’idéologie n’aide pas votre carrière. Cependant, vous pouvez choisir une question qui vous intéresse en fonction de votre idéologie !
Pour un libéral, les questions d’organisation spontanée ou de mobilité économique sont particulièrement intéressantes. Tant que les réponses ne sont pas motivées par l’idéologie, vous pourrez faire carrière aisément dans le monde académique.
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