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13 juin, 2021

Impact économique de la crise covid : les banques centrales s’emballent (7)

 Un nouvel épisode de notre mini-série consacrée à l’analyse économique de la crise du point de vue libéral de l’école autrichienne d’économie.

Les articles précédents de cette mini-série sur l’école autrichienne d’économie se trouve iciiciiciiciici, et ici.

RÉACTION DES BANQUES CENTRALES FACE À L’APPARITION SOUDAINE DE LA PANDÉMIE

C’est dans cette situation économique préoccupante, alors que les banques centrales avaient pratiquement épuisé leur arsenal d’ »armes non conventionnelles » de politique monétaire ultra-laxiste, qu’apparaît soudainement la pandémie de Covid-19, en janvier 2020.

La réaction des autorités monétaires a consisté, simplement, à suivre le même chemin consistant à redoubler l’injection monétaire : non seulement leurs programmes d’achats d’actifs financiers (dont le prix, à la grande joie des gros investisseurs comme les fonds d’investissement, hedge funds, etc. n’a cessé d’augmenter alors que les banques centrales accroissent ainsi davantage la fortune de quelques-uns et que l’économie de la grande masse se contracte et entre en phase de récession) s’amplifient, mais la monnaie nouvelle commence à se distribuer de plus en plus, sous la forme d’aides et d’allocations directes financées par le déficit public monétisé, de sorte qu’une bonne part de la nouvelle monnaie créée arrive directement dans les poches des économies domestiques.

Mais nous savons, au moins depuis 1752 et grâce à Hume1, que la simple distribution uniforme d’unités monétaires entre les citoyens n’a pas d’effets réels2.

C’est pourquoi les autorités monétaires ne veulent pas, dans le fond, entendre parler du fameux « hélicoptère de Friedman » comme instrument de leur politique monétaire ; car celle-ci ne produit que des effets apparents d’expansion, alors que seuls quelques secteurs, entreprises et agents économiques reçoivent dans un premier temps la monnaie nouvelle, avec toutes les conséquences collatérales, qui consistent en une augmentation de l’inégalité dans la distribution du revenu en faveur de quelques-uns et dont nous avons déjà parlé à propos des effets des politiques de « quantitative easing » en tant que facteur déterminant de l’enrichissement des acteurs sur les marchés financiers.

Il est, en tout cas certain que, tôt ou tard, et dans la mesure où elle n’est pas stérilisée3 par des banques privées et des secteurs entrepreneuriaux démotivés, la monnaie nouvelle finit par arriver dans les poches des consommateurs, au fur et à mesure que se manifeste l’effet de perte inexorable du pouvoir d’achat de l’unité monétaire décrit par Hume.

Cet effet sera de plus en plus évident lorsque les économies domestiques surmonteront leur incertitude et estimeront inutile de maintenir des soldes de trésorerie aussi élevés, ou simplement seront obligées de dépenser l’argent reçu sous forme d’allocations de subsistance alors que leurs membres sont au chômage et ne peuvent pas produire : une demande croissante de monnaie sur une production contractée à cause de la pandémie entraîne inexorablement une pression constante à la hausse des prix4.

Et c’est justement ce que l’on commence à observer en ce moment (janvier 2021). Le prix des produits agricoles, par exemple, ne cesse d’augmenter et a atteint son maximum en trois ans ; il en va de même pour les frets et beaucoup de matières premières (minéraux, pétrole, gaz naturel, etc.) qui atteignent des prix très élevés et même records.

L’IMPASSE DANS LAQUELLE SE TROUVENT LES BANQUES CENTRALES

La conclusion est on ne peut plus claire. Les banques centrales se sont engagées dans une impasse.

Si elles choisissent la fuite en avant et accentuent leur politique d’expansion monétaire et de monétisation d’un déficit public qui ne cesse d’augmenter, elles risquent de générer une grave crise de dette publique et d’inflation.

Mais si, craignant de passer de la « japonisation » antérieure à la pandémie à une situation proche de la « vénézualisation » une fois celle-ci passée, ils stoppent leur politique monétaire ultra-laxiste, la survalorisation des marchés de dette publique deviendra immédiatement évidente et il se produira une importante crise financière et une récession économique aussi douloureuse que salutaire à moyen et long terme.

Comme le démontre le “Théorème de l’impossibilité du socialisme”, les banques centrales (véritables organes de planification centrale financière) n’ont pas la possibilité de bien choisir la politique monétaire la mieux adaptée à chaque occasion.

Devant l’évidence de la difficile conjoncture actuelle, il est illustratif d’observer les recommandations et réactions qui, trahissant une nervosité et une inquiétude (je dirais même une “hystérie”) croissantes, proviennent des investisseurs, “experts”, commentateurs et même des responsables économiques et des autorités monétaires les plus connues.

Ainsi, par exemple, de nouveaux articles et commentaires sont continuellement publiés, en particulier dans les journaux “rose saumoné”, comme le Financial Times, pour essayer de tranquilliser les marchés.

Ils annoncent invariablement que les taux d’intérêt nuls (et même négatifs) vont le rester pendant plusieurs années car les banques centrales ne vont pas abandonner leurs politiques monétaires ultra-laxistes ; les investisseurs peuvent donc être tranquilles et continuer à s’enrichir en opérant et en achetant sur les marchés obligataires.

Les banques centrales, quant à elles, annoncent prudemment la révision de leurs objectifs d’inflation, dans le but de les “flexibiliser” (à la hausse, naturellement), sous prétexte de compenser ainsi les années durant lesquelles elles n’ont pas su les atteindre, et pour justifier le fait de ne pas prendre de mesures de contrôle monétaire même si l’inflation monte en flèche5.

D’autres assesseurs des autorités monétaires proposent même d’abandonner l’objectif d’inflation pour introduire directement le maintien d’une certaine courbe des taux particulièrement réduite (taux nuls et même négatifs pendant plusieurs années de la courbe des taux ; on réaliserait à cette fin toutes les opérations nécessaires de “marché ouvert”).

Tout cela est encouragé par les leaders de la “Modern Monetary Theory” qui, malgré son nom, n’est une théorie ni moderne ni monétaire, mais un mélange de vieilles recettes Keynésiennes et mercantilistes qui sont le propre d’arbitristes de siècles passés (ils soutiennent que le déficit est sans importance car il peut être financé sans limite en émettant de la dette et en la monétisant) plus que de véritables théoriciens de notre discipline ; théorie qui fait des ravages parmi nos responsables en matière économique et monétaire6.

Nous arrivons ainsi à la dernière des « idées géniales » qui gagne énormément en popularité : l’annulation de la dette publique acquise par les banques centrales (et qui, nous l’avons vu, représente presque un tiers de la dette totale).

Avant tout, il est évident que ceux qui se sont manifestés en faveur de cette annulation ont montré leur jeu car si, comme ils l’affirment, les banques centrales vont toujours racheter la dette émise pour faire face aux échéances qui se présentent à un taux d’intérêt nul, aucune annulation de leur part ne serait nécessaire.

Le simple fait de demander justement aujourd’hui cette annulation prouve leur nervosité devant les nombreux signes de poussée inflationniste, et leur crainte de voir les marchés obligataires s’effondrer et les taux d’intérêt remonter.

Dans ces circonstances, il serait crucial pour eux que la pression sur les gouvernements prodigues soit adoucie par une annulation qui équivaudrait à une remise proche du tiers de la dette totale émise par eux et qui ne nuirait qu’à une institution aussi abstraite et lointaine pour le public que la banque centrale. Mais les choses ne sont pas aussi faciles qu’il y paraît.

Si on procède à une annulation comme celle que l’on demande, il apparaîtra ce qui suit. En premier lieu, que les banques centrales se sont contentées de créer de la monnaie et de l’injecter dans le système à travers les marchés financiers, enrichissant considérablement quelques personnes sans obtenir à la longue d’effets réels appréciables (mis à part la réduction artificielle des taux d’intérêt et la destruction simultanée de l’assignation efficiente des ressources productives7.).

Si cette annulation avait lieu, le tollé général contre cette politique serait tel qu’en second lieu, les banques centrales perdraient non seulement toute leur crédibilité8 mais aussi la possibilité de renouveler dans le futur leurs politiques d’achats sur le marché libre (“quantitative easing”), les circonstances les obligeant à effectuer des injections monétaires allant directement aux citoyens (« hélicoptère de Friedman »), les seules équitables du point de vue de leurs effets sur la distribution du revenu ; mais celles-ci, manquant d’effets réels d’expansion constatables à court terme, supposeraient l’incapacité définitive des banques centrales à exercer avec leur politique monétaire une influence appréciable sur les économies du futur.

Dans ce contexte, la seule recommandation sensée à donner aux investisseurs est de vendre le plus vite possible toutes leurs positions à revenu fixe, car on ne sait pas combien de temps les banques continueront à maintenir artificiellement un prix aussi exorbitant, tel qu’on n’en a jamais vu dans l’histoire.

Il existe, de fait, des indices plus que suffisants pour montrer que les investisseurs les plus lucides, tels que Hedge Funds et d’autres, utilisant des dérivés et autres techniques sophistiquées, misent déjà sur l’effondrement des marchés obligataires, tout en filtrant officiellement dans les médias et par l’intermédiaire de commentateurs prestigieux9 des messages et des recommandations tranquillisants, car ils veulent “sortir” des marchés de la dette sans faire de bruit et au prix le plus élevé possible.

  1. David Hume “Of Money”, dans Essays, Moral, Political and Lieterary, E. F. Miller (éd.), Liberty Classics, Indianapolis, 1985, p. 281 et s. Hume évoque le fait que si, par miracle, chaque individu de Grande-Bretagne trouvait cinq livres de plus dans sa poche pendant la nuit, cela n’aurait aucun effet réel sauf celui de diminuer le pouvoir d’achat de la monnaie -c’est-à-dire hausser les prix nominaux-, car la capacité productive du Royaume-Uni resterait inchangée (p. 299). Avec son fameux ”hélicoptère”, Friedman se limita à copier et actualiser cet exemple de Hume -sans le citer-. ↩
  2. Par exemple, Mervyn King, ex Gouverneur de la Banque d’Angleterre, a été obligé de reconnaître ceci : « On dit que la combinaison de stimulants fiscaux et monétaires a représenté une réussite contre la pandémie, mais je n’arrive pas à voir maintenant le bénéfice de l’activisme des banques centrales. Depuis plusieurs jours je me demande avec ma femme si c’est le moment d’aller dîner dans notre restaurant favori : le fait  que les taux d’intérêt continuent à baisser ne va pas changer la teneur de cette discussion »El País, Madrid, dimanche 17 janvier 2021, p. 38. ↩
  3. La relation des autorités monétaires avec les banques privées tient de la “schizophrénie”: d’une part, elles les inondent de liquidité pour qu’elles prêtent, tout en les menaçant d’exiger d’elles plus de capital et de surveiller de très près à qui elles prêtent. ↩
  4. Voir, entre autres, Michael D. Bordo et Mickey D. Levy “The Short March Back to Inflation”, The Wall Street Journal, 4 février 2021, p. A17. ↩
  5. L’adoption de cette politique soumettrait à une telle contrainte la gouvernance de l’euro qu’il serait probablement en passe de disparaître. ↩
  6. Voir, par exemple, Patrick Newman, “Modern Monetary Theory: An Austrian Interpretation of Recrudescent Keynesianism”, Atlantic Economic Journal, nº 48, 2020, pp. 23-31 et les articles critiques de Mark Skousen et Gordon L. Brady, publiés dans le même numéro de cette revue. Parmi les plus enthousiastes de la “Modern Monetary Theory” se trouve Mario Draghi : voir, par exemple, “Las claves del plan Draghi” pour sauver l’Italie, ABC, 4 février 2021, p. 30. ↩
  7. Il est tragique de constater que des experts, politiciens et citoyens oublient que le plus  important de tous les prix et, donc, celui qui a le plus besoin d’être fixé par le marché libre, le taux d’intérêt, ou prix des biens présents en fonction des biens futurs, ne peut pas être manipulé impunément par les gouvernements et banques centrales sans que se bloquent le calcul économique et l’assignation intertemporelle correcte des ressources productives. ↩
  8. Entre autres choses, sans actifs à vendre, pour les avoir annulés, elles ne pourraient pas drainer de réserves du système si cela s’avérait nécessaire dans l’avenir à cause d’une reprise de l’inflation. Ce n’est que dans le cas d’un passage irrévocable à un système bancaire à coefficient de caisse de 100 pour cent, tel que je l’expose dans mon livre Monnaie, crédit bancaire et cycles économiques, op. cit., p. 494 et s. qu’une annulation de la dette publique au pouvoir de la banque centrale aurait un sens, afin d’éviter que celle-ci ne devienne titulaire d’une partie significative de l’économie réelle, lorsque, comme je le propose, la dette s’échangerait contre les actifs bancaires qui contrebalancent aujourd’hui les dépôts à vue. ↩
  9. Voir, par exemple, la série de commentaires et de recommandations en matière de politique monétaire et fiscale du prestigieux Martin Wolf dans le Financial Times, ou de Paul Krugman lui-même dans le supplément économique de El País : ils ne cessent de recommander, pratiquement toutes les semaines, plus d’injection monétaire et plus de dépense publique. ↩

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