Ce n’est certes ni la première ni la dernière étude climato-réaliste, mais celle-là est l’œuvre d’un nouveau venu dans le débat : Pascal Richet, de l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP).
Publié en accès libre par la revue History of Geo- and Space Sciences, l’article s’intitule « The temperature-CO2 climate connection: an epistemological reappraisal of ice-core messages ». Il consiste en une réanalyse des données des fameuses carottes de glace de Vostok. Sa figure centrale est celle-ci.
La température précède le CO2
Les deux courbes noires un peu erratiques sont à la fois bien connues et fondamentales. Elles ont été publiées en 1999 dans un fameux article de J.-R. Petit et al., l’un des co-auteurs n’étant autre que Jean Jouzel (pas toujours honorablement connu de nos services). Elles fournissent des renseignements irremplaçables sur le climat et le CO2, qui portent sur une durée de 400 000 ans (en abscisse). La courbe du haut montre, sur cette période, l’évolution de la teneur atmosphérique en CO2 (évaluée en ppm, axe vertical de gauche) telle qu’on peut la reconstituer à partir des bulles d’air emprisonnées dans la glace (bulles d’autant plus anciennes qu’elles sont profondément enfouies). La courbe du bas indique l’évolution de la température sur la même période, exprimée sous la forme de l’écart avec la température antarctique actuelle (axe de droite), et déduite de l’analyse isotopique de la glace (rapports deutérium/hydrogène et entre deux isotopes de l’oxygène). La fiabilité de ces reconstitutions à l’échelle géologique a été confirmée par d’autres prélèvements, et il n’y en a guère de remise en question à l’heure actuelle.
Comme on le voit au premier coup d’œil, les deux courbes sont pratiquement superposables. Al Gore, dans son fameux plaidoyer carbocentriste Une Vérité qui dérange, avait fait de ces deux courbes un moment fort de son film en faisant constater au spectateur leur grande similitude. Selon lui, cette similitude permettait de conclure que l’évolution du CO2 atmosphérique pilotait celle de la température (et donc que nos émissions massives de CO2 allaient réchauffer la Terre de façon catastrophique).
En réalité, on sait depuis longtemps, et c’est même l’un des arguments les plus solides du climato-réalisme, que les deux courbes sont légèrement décalées l’une par rapport à l’autre, dans « le mauvais sens » pour les alarmistes : la température précède le CO2, d’environ 800 ans en moyenne. Comme un effet ne peut pas précéder sa cause, la conclusion est claire : le CO2 n’est pas le moteur de l’évolution de la température. C’est le contraire qui est vrai : l’évolution de la température entraîne celle du CO2, avec un retard de quelques centaines d’années qui correspond à une durée appelée « mémoire thermique » des océans. (Lorsque la température monte, les océans dégazent plus facilement le CO2 qu’ils contiennent, mais le processus démare avec lenteur.) Cala implique que nous n’avons pas de raison particulière de craindre un effet de nos émissions de gaz carbonique sur la température globale. Pascal Richet, comme bien d’autres, ne manque pas de revenir sur cette évidence, frappée au coin du bon sens et d’une logique qu’approuvait Aristote aussi bien qu’Occam (celui du rasoir).
Le bricolage carbocentriste
Mais les carbocentristes n’ont pas laissé ces bêtes questions de cause et de conséquence gâcher leur si belle histoire d’apocalypse climatique provoquée par l’Homme. Face à l’objection, ils ont fait ce que font bien plus de scientifiques qu’on imagine : ils ont bricolé quelque chose pour sauver le soldat CO2. L’idée a été de constater que les changements de régime mesurables (à une hausse succédant une baisse) se produisent en moyenne tous les 5 000 ans, si bien que les 800 ans d’écart entre température et CO2 pouvaient, dirent-ils, être passées par pertes et profits. Cette cancel culture appliquée aux carottes de glace donne à peu près ceci : un phénomène extérieur (par exemple les paramètres orbitaux de la planète) fait changer de sens l’évolution de la température indépendamment du CO2. Ça dure 800 ans, après quoi température et CO2 vont de nouveau ensemble, avant qu’un nouvel événement fasse changer la température de sens, et ainsi de suite. Et donc, durant les 5 000–800=4 200 ans où température et CO2 vont ensemble, on a le droit d’imaginer que c’est le CO2 qui tire la température.
Il y a de quoi se perdre en conjectures pour comprendre comment une masse de scientifiques sérieux peut prêter foi à ce genre d’explication sans tiquer. Toujours est-il que c’est le cas, et depuis si longtemps qu’aujourd’hui le problème n’est même plus évoqué. En écrivant ce qui précède, j’ai l’impression de recopier ce que j’écrivais il y a plus de dix ans dans Le Mythe climatique…
Analyse plus fine
Pascal Richet a repris l’enquête et prolongé les arguments en regardant les deux courbes de manière plus fine. À celles-ci il a adjoint quelques traits supplémentaires qui constituent le cœur de son analyse. (Allez, je vous remets la figure pour que vous n’ayez pas à remonter les trois quarts de l’article.)
Les quatre barres rouges verticales correspondent aux cycles de glaciation/déglaciation, c’est-à-dire aux quatre ruptures majeures des deux courbes, qui prennent la forme d’un réchauffement extrêmement fort (environ 10°C) suivi d’une hausse elle aussi considérable du CO2 (de l’ordre d’un doublement de sa teneur atmosphérique). Observez le début de chaque cycle : le premier fort réchauffement est suivi d’un refroidissement d’ampleur comparable (qui ramène à peu près à la température d’avant réchauffement). Quelques centaines d’années plus tard s’observent donc les pics correspondants pour le CO2. Ce que remarque Pascal Richet, c’est que ces derniers pics n’ont pas le même étalement. Sa figure contient des traits horizontaux associé à chacun des 8 pics (4 pour la température et 4 pour le CO2), chacun assorti d’une valeur qui quantifie la durée du pic. (Plus précisément : chaque valeur correspond à l’intervalle durant lequel la grandeur considérée (température ou CO2 selon le cas) est au-dessus de la valeur moyenne entre les deux extrêmes du pic concerné.)
Bien que les choses ne soient pas claires pour les cycles I et V (en passant, pardon à ceux qui ne liraient pas les chiffres romains…), les résultats pour les cycles II, III et IV donnent des pics de température nettement plus courts que ceux de CO2, la différence étant d’environ 7 000 ans dans les trois cas. La conséquence est que cela renforce l’idée que le lien entre température et CO2 va bel et bien « dans le sens des climato-réalistes ». En effet, si c’était le CO2 qui commandait la température, alors au fil des pics la situation serait celle d’une cause qui durerait moins longtemps que son effet (et de beaucoup). La supposition contraire, celle d’une température qui commande le CO2, est incontestablement plus facile à défendre (même si, contrairement à ce que dit l’article, je ne pense pas que ce point doive être considéré comme absolument décisif).
Pics secondaires
Un second élément d’analyse est donné par les gros points noirs disposés au-dessus de pics secondaires qui se correspondent sur les courbes. (Allez, pour votre confort je vous remets la figure.)
Voyez par exemple, vers le milieu du cycle V, le gros point juste au-dessus d’un petit pic de la courbe de CO2, où celui-ci flirte avec les 275 ppm. Ainsi que ceux situés vers la fin des cycles IV, III et II (un peu plus bas, entre 200 et 225 ppm). Chacun de ces pics de CO2 est corrélé à deux pics comparables de température, qui se produisent à peu près à la même période. Si vraiment le CO2 était la cause et la température était l’effet, alors on ne pourrait pas expliquer ces doubles pics.
Le méthane contre l’alarmisme
L’article contient une seconde figure, tout aussi dévastatrice que la première même si c’est de façon un rien paradoxale : il s’agit de la comparaison entre température et méthane (CH4) à partir du même carottage de Vostok.
Là aussi la ressemblance est frappante, mais cette fois on sait démontrer que l’écart temporel entre les courbes est inexistant. Si un gaz à effet de serre pouvait tirer d’affaire les carbocentristes au sujet de l’inversion cause/conséquence, ce serait donc le méthane puisque la simultanéité des courbes autorise a priori à penser (à espérer ?) que méthane => réchauffement. Sauf que la concentration atmosphérique en CH4, qui ne dépasse jamais beaucoup les 0,6 ppm (soit plusieurs centaines de fois moins que le CO2), rend absolument impossible une telle attribution.
Le fait que le CH4 et la température soient simultanés a pour conséquence logique que, à l’instar de la température, le méthane précède le gaz carbonique de quelques centaines d’années. Or seul un réchauffement peut causer une hausse du méthane. Si le gaz carbonique réchauffait l’atmosphère, alors le CH4 suivrait le CO2 au lieu de le précéder. Là encore, la logique est têtue : causes et conséquences ne s’inversent pas facilement…
Bilan
S’il ne faut pas trop compter que cet article fasse la une des médias mainstream, le focus qu’il fait sur les carottes de glace est plus que bienvenu. Et publier dans des revues à comité de lecture est crucial pour la crédibilité des climato-réalistes. Bonne nouvelle : mon petit doigt m’a dit que d’autres publications vont arriver prochainement, alors, comme le disait le regretté Jacques Duran, stay tuned!
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