par Miguel Ouellette
Dans un nouveau rapport paru la semaine dernière, Angela Carter de l’Université de Waterloo avançait que le secteur pétrolier canadien serait un obstacle majeur à l’atteinte des cibles mondiales de réduction de GES. Selon son analyse, alors que les Canadiens ne représentent que 0,5 % de la population mondiale, la production de pétrole du pays s’accaparerait de 16 % du « budget mondial de carbone », à savoir les émissions de GES jugées acceptables pour que les changements climatiques ne soient pas hors de contrôle. Bien que le document contienne des faits intéressants, les hypothèses sont très strictes et on omet d’y mentionner quelques détails importants.
Un portrait incomplet
Tout d’abord, l’entièreté du rapport repose sur l’hypothèse que pour permettre au réchauffement climatique de demeurer inférieur à 1,5 degré Celsius au-dessus des niveaux préindustriels, comme le prescrit l’accord de Paris, les émissions totales de GES de tous les pays réunis doivent se maintenir sous les 230 milliards de tonnes. Ainsi, selon les prédictions du gouvernement, le secteur pétrolier canadien émettrait 16 % de ce total, ce qui serait une « bombe à retardement » selon la chercheuse.
Prenons un moment pour bien évaluer la situation en comparant des pommes avec des pommes et en incluant d’autres variables dans l’analyse.
Le Canada est présentement responsable de seulement 1,5 % des émissions mondiales de GES. Le secteur pétrolier et gazier génère à ce jour 27 % des émissions totales de GES du Canada. En d’autres mots, cette industrie est directement responsable d’environ 0,4 % des émissions mondiales de GES. Pourtant, le Canada dessert plus de 5 % de la demande mondiale de pétrole. Pas mal pour une petite économie comme la nôtre!
Si notre pays a été en mesure de contenir ses émissions de GES dans ce secteur, c’est que l’intensité des émissions des sables bitumineux a diminué de plus de 36 % depuis 2000. Cette amélioration notable est attribuable, entre autres, aux innovations technologiques et à l’efficacité opérationnelle.
Outre le secteur pétrolier, les Canadiens ont aussi mis la main à la pâte. Les émissions de GES par habitant sont à leur plus faible niveau depuis 1990, et l’une des sources du rapport de la chercheuse contient un passage intéressant dont elle ne fait pas mention : la population canadienne est prévue d’augmenter de 15 % entre 2017 et 2030, alors que les émissions de GES devraient diminuer de 6 %, soit une baisse de plus de 18 % par habitant (de 19,6 à 16,0 tonnes par habitant). Le bilan canadien en matière de changement climatique s’améliore donc constamment.
La transition est déjà en cours
En dressant un portrait aussi sombre, la chercheuse nous donne l’impression que le Canada est le champion de l’inaction et que nous serons l’une des causes principales du dépassement potentiel de la cible déjà très serrée de l’accord de Paris.
Pourtant, que ce soit par secteur ou par habitant, la transition énergétique du Canada est déjà bien entamée. Nous avons réduit notre consommation de charbon de 26 % depuis 2000, l’efficacité énergétique du secteur résidentiel s’est améliorée de 51 % entre 1990 et 2017, les sources non émettrices de GES produisent maintenant 82 % de l’électricité au Canada et nous avons adopté de nombreuses politiques environnementales, dont une taxe sur le carbone.
S’entêter à accélérer dangereusement la transition énergétique comme le propose Mme Carter ne fera que nuire à notre économie, et ultimement aux familles canadiennes. Si demeurer passif face aux changements climatiques serait une erreur monumentale, précipiter les mesures de transition le serait tout autant.
Nous devons trouver un juste équilibre entre croissance économique et ralentissement du réchauffement climatique. Un extrême ou l’autre serait dommageable. Et pour arriver à cet équilibre, il importe de présenter les faits dans leur ensemble et de ne pas dépeindre le Canada comme un frein majeur à la transition énergétique. Nous devons continuer à innover et à nous améliorer, comme nous le faisons très bien depuis maintes années.
Miguel Ouellette est directeur des opérations et économiste à l’IEDM. Il signe ce texte à titre personnel.
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