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15 avril, 2021

Le marché est toujours présumé coupable

 Présumer le marché comme coupable d’injustice, c’est aussi présumer l’intervention de l’Etat innocente ou du moins moins sujette aux vices prêtés aux échanges individuels.

Aux yeux de la plupart des commentateurs et éditorialistes, la crise sanitaire a justifié l’extension du rôle de l’État jusqu’à la suspension -on l’espère momentanée- des libertés fondamentales. Cette dynamique de socialisation par la coercition politique ne date cependant pas de la crise du covid-19.

Elle trouve son origine dans le rôle que l’État s’est assigné à lui-même, c’est-à-dire corriger les « limites » du marché, dont le fonctionnement « sans freins » génèrerait inégalités et injustice, les deux termes étant employés ordinairement comme synonymes.

Cette présomption d’injustice visant le marché repose pourtant sur des présuppositions largement erronées, qui en dernières analyses ne servent qu’à justifier l’extension permanente de l’État sur la société.

LE MARCHÉ N’EST PAS UNE PERSONNE

Anthony de Jasay rappelle qu’il est de notoriété publique que « le marché » génère des inégalités de richesses et de revenus. Seulement, le marché n’est pas un agent, il ne génère au fond rien du tout. Il serait plus exact d’affirmer que le monde étant ce qu’il est, et que la distribution de chance, de ressources, de talents et de caractère au sein de la population étant ce qu’elle est, les effets des échanges entre individus de ressources et de revenus sont inégaux : « ce sont les faits de la vie qui causent les inégalités, pas le marché1 ».

De Jasay ajoute que le mot « inégalité » lui-même suffit à susciter les réactions hostiles des opposants au marché libre, tant l’égalité chez la plupart de ses défenseurs est désormais utilisée comme un synonyme de justice. On reconnaît ici les critiques fréquentes adressées par exemple par Thomas Piketty au capitalisme contemporain, mais il est loin d’être le seul.

Il est tout de même possible de remarquer que même chez un auteur égalitariste comme le philosophe John Rawls, les inégalités ne sont pas toujours synonymes d’injustice : les inégalités économiques peuvent servir à la fois d’incitation à améliorer ses conditions de vie comme à améliorer les conditions de vie générales de la société en favorisant la compétition et l’élévation sociale2.

MARCHÉ ET JUSTICE

Faire du marché un agent, c’est se tromper à la fois sur la nature du marché et de la justice. Le « marché » est un concept abstrait se rapportant aux arrangements que les individus partagent pour échanger entre eux dans tous les domaines de la vie économique. Les marchés peuvent être très formalisés, comme les marchés financiers, ou au contraire très informels, comme le marché aux fleurs que vous pouvez fréquenter le samedi matin.

Selon une réflexion célèbre d’Adam Smith tirée de La Richesses des nations, les marchés coordonnent l’activité humaine en prenant appui sur l’intérêt personnel :

« Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme ; et ce n’est jamais de nos besoins que nous leur parlons, c’est toujours de leur avantage ».

Le type de coopération entre acheteurs et vendeurs et la compétition pour produire et s’attacher de nouveaux clients signifie que personne n’est directement « en charge » des marchés. Personne ne fixe la quantité de produits à produire ou leur prix, et personne n’assigne à personne la tâche de produire ou d’acheter les biens et services sur le marché. C’est là la véritable signification de l’expression « main invisible » chez Adam Smith ou « ordre spontané » chez Hayek, et cela explique aussi pourquoi on ne peut pas prêter au marché des actes intentionnels.

LA VÉRITABLE PLACE DE LA JUSTICE

La justice, au contraire, est attachée aux actes d’un agent clairement identifiable capable de faire des choix réfléchis. Elle est un attribut de la personnalité humaine, ce qui fait dire à Hayek : « qu’[elle] n’est pas impliquée dans les conséquences inintentionnelles d’un ordre spontané, conséquences qui n’ont été délibérément provoquées par personne3 »

La place de la justice n’est donc pas en surplomb de l’ordre social, mais désigne un mécanisme individuel central pour le fonctionnement des échanges de marché. Sa physionomie peut être résumée par les trois « lois de nature » de David Hume qui inspirera Hayek pour imaginer le fonctionnement de la « grande société » libérale, « celle de la stabilité de possession, de son transfert par consentement et d’exécution des promesses ».

Les théories contemporaines qui entendent « corriger » la conception libérale classique de la justice au nom de l’« équité » (Rawls), « l’impartialité » (Barry) ou la « réciprocité » (Buchanan) ne cherchent en fait qu’à la remplacer, ou du moins à l’affaiblir pour justifier l’expropriation étatique et la redistribution des ressources inhérente au marché politique démocratique.

Présumer le marché comme coupable d’injustice, c’est aussi présumer innocente l’intervention de l’État ou du moins moins sujette aux vices prêtés aux échanges individuels. Cette idéalisation du rôle de l’État a la vie dure, et reste un mystère dans une France suradministrée, endettée et surfiscalisée comme jamais.

  1. Anthony de Jasay, Political Economy, Concisely. Essays on Policy That Does Not Work and Markets That Do, Liberty fund, 2009. ↩
  2. John Rawls, Théorie de la justice, 1971. ↩
  3. Friedrich Hayek, Droit, Législation et liberté, PUF, 2007, trad. Raoul Audouin. ↩

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