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19 avril, 2021

« L’appel de la tribu » de Mario Vargas Llosa

 Un autoportrait intellectuel passionnant doublé d’une série de portraits de grands intellectuels libéraux.

Ce passionnant ouvrage est une autobiographie intellectuelle de Mario Vargas Llosa, qui suit un ouvrage précédent (que je n’ai pas lu) portant sur l’ensemble de sa vie, jusqu’à sa candidature à l’élection présidentielle péruvienne de 1990. Cette fois, il dresse l’itinéraire qui l’a mené de son engagement fort dans les idées marxistes et l’adhésion au Parti communiste dans les années 1950 et 1960 jusqu’à la rupture progressive et les vives déceptions l’ayant conduit, comme beaucoup, à en rejeter les dogmes. Pour petit à petit découvrir au contraire les idées de penseurs qui l’ont guidé, loin des idées reçues en la matière, vers la mise en lumière des vertus du libéralisme.

UNE PRISE DE CONSCIENCE PROGRESSIVE

Communiste, il l’était devenu dans sa jeunesse par détestation du nationalisme et des dictatures qui sévissaient alors en Amérique latine, notamment. À travers des pages passionnantes, il montre comment il lui a fallu du temps pour pouvoir pleinement s’en détacher et se rendre compte de l’étendue de la perversité de cette pensée, apparaissant clairement en définitive comme une véritable négation de l’individu, contrairement aux illusions qu’il avait pu en avoir.

Mais c’est peut-être la rencontre, en compagnie d’autres intellectuels, de Margaret Thatcher, dont il dresse ici un éloge, qui a été déterminante. Il a alors définitivement pris conscience que rien ne représentait autant le « retour à la tribu » que le communisme.

C’est ainsi que Karl Popper nomme l’irrationalité de l’être humain primitif qui niche au tréfonds de tous les civilisés, ceux qui n’ont jamais surmonté tout à fait la nostalgie de ce monde traditionnel – la tribu -, quand l’homme était encore une part inséparable de la collectivité, subordonné au sorcier ou au cacique tout-puissant, qui prenait pour lui toutes les décisions, ce monde où il se sentait en sécurité, libéré de toute responsabilité, soumis, à l’égal de l’animal dans le troupeau, à la horde, la bande ou le clan des supporters, bercé par ceux qui parlaient la même langue, adoraient les mêmes dieux, pratiquaient les mêmes coutumes, tout en détestant l’autre, celui qui est différent, que l’on pouvait rendre responsable de toutes les calamités affectant la tribu. L’« esprit tribal », source du nationalisme, a été la cause, avec le fanatisme religieux, des plus grands massacres de l’histoire de l’humanité.

C’est durant ces années de remise en question (les années 1970), qu’il a lu et relu les penseurs auxquels sont consacrés ce livre, et qui ont forgé ses propres convictions politiques : Adam SmithJosé Ortega y GassetFriedrich HayekKarl PopperRaymond AronIsaiah Berlin et Jean-François Revel. En plus des nombreux autres qu’il a également lu et qui l’ont marqué, à l’image par exemple d’un Milton Friedman ou d’un Ludwig Von Mises.

Il défend ainsi l’idée que pour les libéraux la liberté est une et indivisible.

À défaut de l’avoir compris, tous les régimes des années 60 et 70, qui prétendaient stimuler la liberté économique tout en étant despotiques – en général, des dictatures militaires – ont échoué. Ces ignorants croyaient qu’une politique de marché pouvait réussir sous un gouvernement répressif et dictatorial. Mais beaucoup de tentatives démocratiques en Amérique latine qui respectaient les libertés politiques ont échoué aussi pour ne pas avoir cru en la liberté économique – le marché libre -, la seule à apporter développement matériel et progrès.

Pour autant, il ne faut pas se tromper sur ce que sont les libéraux et ce qu’ils défendent réellement. Loin des caricatures :

Nous libéraux, ne sommes pas des anarchistes et ne voulons pas supprimer l’État. Au contraire, nous voulons un État fort et efficace, ce qui ne signifie pas un grand État, attaché à faire des choses que la société civile peut faire mieux que lui dans un régime de libre concurrence. L’État doit assurer la liberté, l’ordre public, le respect de la loi, l’égalité des chances […] Plus un État accroît son emprise en s’arrogeant un maximum d’attributions dans la vie d’une nation, et plus diminue la marge de liberté dont jouissent les citoyens.

UNE LECTURE ATTENTIVE DES GRANDS AUTEURS

C’est le fruit de ses lectures des grands auteurs cités plus haut que nous présente Mario Vargas Llosa dans la suite de l’ouvrage. D’une manière à la fois vivante et pleine d’enseignements.

Adam Smith, qui est le premier auteur présenté, est décrit dans sa personnalité depuis son enfance, ainsi que dans son parcours intellectuel. On découvre un auteur très humain, brillant, un peu dans son monde intérieur, et toujours très observateur du monde qui l’entoure, fondant ses réflexions philosophiques sur des analyses très pondérées et documentées, soucieuses de prendre en compte toutes les dimensions de l’humain. Ainsi en va-t-il de La théorie des sentiments moraux, l’ouvrage qui lui tenait le plus à cœur, mais aussi de La richesse des nations, dont Mario Vargas Llosa nous restitue certains des éléments essentiels. Rétablissant ainsi une plus juste présentation des véritables idées du grand philosophe écossais que les mensonges éhontés que l’on peut lire ou entendre à son sujet, au-delà même des simples anachronismes.

Adam Smith aurait été surpris de voir ses théories accusées, plus tard, par les ennemis du libéralisme et de l’entreprise privée, d’être dépourvues de sensibilité et de solidarité. Il avait la conviction que ses recherches favoriseraient les pauvres et contribueraient à éradiquer la pauvreté.[…]

Il critique également l’idée même de colonialisme, qu’il attribue à des aventuriers avides, et met l’accent sur la brutalité avec laquelle les esclaves ont été traités depuis des temps immémoriaux. Il souligne le fait que l’interventionnisme de l’État, en bridant la libre concurrence, est une recette infaillible pour échouer économiquement. Le colonialisme, en plus d’être immoral, est économiquement négatif car il implique la pratique du monopole qui profite seulement à une petite minorité et pénalise autant le pays colonisateur que le reste du monde. Tout le chapitre est un appel raisonné à prôner la liberté comme le meilleur instrument politique, moral et économique pour assurer le progrès d’une société.

José Ortega Y Gasset, dont les principales œuvres sont également présentées, est quant à lui réhabilité dans la pensée profonde et pleine de nuances qui est la sienne. Pris en étau entre l’extrémisme dogmatique de gauche et le conservatisme autoritaire et nationaliste, en pleine guerre civile puis affrontement idéologique exacerbé, la philosophie libérale de l’auteur de La révolte des masses a pu apparaître à l’époque comme iconoclaste et, en tout état de cause, assez largement incomprise. Pourtant, nous dit Mario Vargas Llosa :

La pensée libérale contemporaine a beaucoup à apprendre des idées d’Ortega y Gasset. Avant tout, la redécouverte que, contrairement à ce que semblent supposer ceux qui s’entêtent à réduire le libéralisme à une recette économique de marchés libres, de règles du jeu équitables, de droits de douane réduits, de contrôle de la dépense publique et de privatisation des entreprises, celui-ci est, avant tout, une attitude devant la vie et la société fondée sur la tolérance et le respect, sur l’amour de la culture, sur une volonté de coexistence avec l’autre, avec les autres, et sur une ferme défense de la liberté comme valeur suprême. Une liberté qui est, en même temps, moteur du progrès matériel, de la science, des arts et des lettres, et de cette civilisation qui a rendu possible l’individu souverain avec son indépendance, ses droits et ses devoirs en permanent équilibre avec les autres, défendus par un système légal qui garantit la coexistence dans la diversité. La liberté économique est une pièce maîtresse, mais en aucune façon l’unique, de la doctrine libérale […] La doctrine libérale est une culture au sens le plus large du terme et les essais d’Ortega y Gasset la reflètent de façon stimulante et lucide dans chacune de leurs pages.

Sur Hayek, dont il retrace également les éléments essentiels de la vie et de l’œuvre, voici ce qu’il écrit :

Comme Von Mises, Popper ou Berlin, Hayek ne peut être enfermé dans une spécialité, l’économie, car ses idées sont aussi novatrices dans le domaine économique qu’en philosophie, droit, sociologie, politique, psychologie, histoire et morale. Dans toutes ces disciplines, il fit montre d’une originalité et d’une radicalité qui n’ont pas leur pareil chez les penseurs modernes, en maintenant toujours un respect scrupuleux pour la tradition libérale classique et les formes rigoureuses de la recherche universitaire.

Le grand adversaire de la civilisation, d’après Hayek, est le constructivisme où l’ingénierie sociale, la prétention d’élaborer intellectuellement un modèle économique et politique et de vouloir ensuite l’implanter dans la réalité, ce qui n’est possible que par la force – par une violence qui dégénère en dictature – et qui a échoué dans tous les cas où on l’a essayé. Les intellectuels ont été, pour Hayek, des constructivistes-nés et, de ce fait, de grands ennemis de la civilisation (il existe des exceptions à cette croyance extrémiste, bien entendu, à commencer par lui-même). Ils ne sont pas enclins à croire au marché, ce système impersonnel qui agrège les initiatives individuelles selon un ordre et génère emploi, richesse, opportunité et, en fin de compte, le progrès humain. Comme le marché est le produit de la liberté, les intellectuels sont souvent les grands ennemis de la liberté. L’intellectuel est convaincu du fait qu’en élaborant rationnellement un modèle juste et équitable de société, celui-ci peut s’imposer à la réalité. D’où le succès du marxisme dans les milieux intellectuels.

Passant en revue, là aussi, ses principaux ouvrages, on perçoit bien comment Hayek concevait la liberté, et les multiples dangers qui couraient contre elle, à travers le planisme, les différentes formes d’interventionnisme et les effets généralement dévastateurs des bonnes intentions. Mais c’est également une présentation assez complète de ce qu’est être libéral qu’Hayek nous propose. Le distinguant clairement du conservateur, qui jouit le plus souvent d’une assurance très ferme sur toute chose, l’empêchant de douter de lui-même.

Un libéral est habituellement « un sceptique », quelqu’un qui considère comme provisoires même les vérités qui lui sont les plus chères. Ce scepticisme à son endroit est justement ce qui lui permet d’être tolérant et conciliant envers les convictions et les croyances des autres, bien qu’elles soient très différentes des siennes. Cet esprit ouvert, capable de changer et de dépasser ses propres convictions, n’est pas fréquent et même souvent inconcevable pour qui croit, comme tant de conservateurs, avoir acquis des vérités absolues, imperméables à tout questionnement et à toute critique.

C’est en 1945 que Karl Popper écrit La société ouverte et ses ennemis, que Mario Vargas Llosa qualifie de chef-d’œuvre absolu. Issu de la fabuleuse Vienne du monde d’hier, il assiste au cataclysme qui se produit et connait l’exil. Ayant toujours eu une vie austère et dans l’ensemble relativement misérable, travailleur acharné, il s’oppose très tôt aux nationalismes, puis un peu plus tard comprend que la machine d’État représente le pire des dangers pour la liberté des individus. Il étudie de manière approfondie, et récuse avec force, la tradition historiciste, matrice selon lui de tous les autoritarismes.

Aucun autre penseur que Popper n’a probablement fait de la liberté une condition aussi indispensable à l’être humain. Pour lui, non seulement la liberté garantit des formes civilisées d’existence et encourage la créativité culturelle, mais elle est aussi la condition sine qua non du savoir, l’exercice qui permet à l’homme de tirer leçon de ses propres erreurs et, par conséquent, de les dépasser, le mécanisme sans lequel nous vivrions encore dans l’ignorance et la confusion irrationnelle de nos ancêtres, mangeurs de chair humaine et adorateurs de totems.

Je dirai rapidement, comme j’espère l’avoir démontré dans ces pages, que je tiens Karl Popper pour le penseur le plus important de notre époque, que j’ai passé une bonne partie des 30 dernières années à le lire et à l’étudier et que, si l’on me demandait de signaler le livre de philosophie politique le plus fécond et enrichissant du XXe siècle, je n’hésiterais pas une seconde à choisir La société ouverte et ses ennemis.

Mario Vargas Llosa présente ensuite Raymond Aron, ce penseur et philosophe libéral si singulier et iconoclaste à une époque fascinée par les excès et dans un pays dont la tradition culturelle porte aux nues les extrêmes, faisant souvent peu de cas de la nuance.

Raymond Aron affronta surtout les penseurs radicaux de gauche de sa génération. Il fut un opposant acharné et, pendant des années, presque solitaire, des théories marxistes et existentialistes de Sartre, Merleau-Ponty et Louis Althusser.[…] Avec lui disparut un des derniers grands intellectuels européens, l’un des plus accessibles au profane, un moraliste, philosophe et sociologue du plus haut niveau qui, en même temps, exerçait le journalisme et eut le talent – si rare aujourd’hui parmi les intellectuels – d’élever le commentaire de l’actualité au rang d’essai créatif et de rendre le traité universitaire et la réflexion sociologique ou historique aussi clairs qu’un bon article de journal.

Après Raymond Aron, ce « spectateur engagé », symbole d’une époque et figure dissidente d’une opposition intellectuelle aux excès idéologiques sartriens, auteur entre autres de L’opium des intellectuels, vient le tour de présenter la vie et l’œuvre d’Isaiah Berlin, esprit à la fois modeste, modéré et très perspicace, tourné vers une réflexion profonde et rigoureuse.

Ce n’est pas le moindre paradoxe que quelqu’un comme Isaiah Berlin, qui aimait tellement les idées et évoluait si aisément parmi elles, soit convaincu que ce sont celles-ci qui doivent toujours se soumettre si elles entrent en contradiction avec la réalité humaine, car si c’est l’inverse qui se produit, les rues se remplissent de guillotines et de poteaux d’exécution, et s’instaure le règne des censeurs et des policiers.[…]Toutes les utopies sociales – de Platon à Marx – sont parties d’un acte de foi : à savoir que les idéaux humains, les grandes aspirations de l’individu et de la collectivité, sont capables de s’harmoniser, et que la satisfaction de l’un ou de plusieurs de ces buts n’est pas non plus un obstacle pour la matérialisation des autres. Rien, peut-être, n’exprime mieux cet optimisme que le slogan rythmique de la Révolution française : Liberté, Égalité, Fraternité. Ce généreux mouvement qui a prétendu établir le gouvernement de la raison sur terre et matérialiser ces idéaux simple et indiscutables a démontré au monde, à travers ses boucheries répétées et ses multiples frustrations, que la réalité sociale était plus tumultueuse et imprévisible que ne le supposaient les abstractions des philosophes qui avaient prescrit des recettes pour le bonheur des hommes. La démonstration la plus inattendue – que beaucoup aujourd’hui refusent encore d’accepter – c’est que ces idéaux se repoussaient l’un l’autre dès l’instant même où ils passaient de la théorie à la pratique ; et qu’au lieu de se conforter entre eux, ils s’excluaient. Les révolutionnaires français ont découvert, stupéfaits, que la liberté était une source d’inégalité et qu’un pays où les citoyens jouiraient d’une capacité totale où très large d’initiative, et du gouvernement de leurs actes et de leurs biens, serait tôt ou tard un pays scindé par de nombreuses différences matérielles et spirituelles. Ainsi, pour rétablir l’égalité, il n’y aurait d’autre remède que de sacrifier la liberté, d’imposer la contrainte, la surveillance et l’action toute-puissante et niveleuse de l’Etat. Que l’injustice sociale soit le prix de la liberté et la dictature celui de l’égalité – et que la fraternité ne puisse s’instaurer que de façon relative et transitoire, pour des causes plus négatives que positives, comme dans le cas d’une guerre ou d’un cataclysme qui regrouperait la population en un mouvement solidaire – est quelque chose de regrettable et difficile à accepter.

L’auteur de la distinction entre les « libertés négatives », plus individuelles, et dont les tenants cherchent une limitation de l’autorité, et les « libertés positives », davantage tournées vers un idéal collectif, écrit ainsi :

Aussi, au nom de cette liberté « positive » – cette société utopique future, celle de la race élue triomphante, la société sans classes et sans Etat ou la cité des bienheureux éternels -, on a mené des guerres très cruelles, on a établi des camps de concentration, exterminé des millions d’êtres humains, imposé des systèmes asphyxiants et éliminé toute forme de dissidence et de critique.[…]Isaiah Berlin fut un démocrate et un libéral, un de ces rares intellectuels tolérants, capable de reconnaître que leurs propres convictions pouvaient être erronées, et justes celles de leurs adversaires idéologiques. Et il a donné la meilleure preuve de cet esprit ouvert et sensible, qui confrontait toujours ses idées à la réalité pour voir si celle-ci les confirmait ou les contredisait, en mettant sa plus grande énergie à étudier moins les philosophes et penseurs acquis à la culture de la liberté que ses ennemis les plus acharnés, comme Karl Marx et le communisme, à qui est consacré par exemple une grande part des études de son livre Le sens des réalités, ou un Joseph de Maistre, précurseur ultraréactionnaire du fascisme, sur qui il a écrit un de ses essais les plus lumineux. Il avait la passion du savoir et, plutôt que de réfuter ces promoteurs des choses qu’il détestait, comme l’autoritarisme, le racisme, le dogmatisme et la violence, il voulait les comprendre, vérifier comment et pourquoi ils en étaient venus à s’identifier à des causes et à des doctrines qui aggravaient l’injustice, la barbarie et les souffrances humaines.

Enfin, le dernier chapitre du livre est consacré à Jean-François Revel, inspiré lui aussi au départ par les idées de la gauche, de qui il reçut les pires attaques, à l’instar aujourd’hui des Alain Finkielkraut, Michel Onfray ou de tous ceux qui ont l’heur de s’être progressivement écarté de la bien-pensance de gauche. Mais quelle plus belle reconnaissance, finalement, pour un esprit véritablement indépendant, que de se faire ainsi vilipender par des gens aussi hostiles et intolérants ? Une illustration de plus de la nature peu glorieuse des idées de gauche et de l’esprit étroit qui caractérise une grande partie de ceux qui s’y reconnaissent.

Ce ne sont pas les structuralistes, ni les déconstructionnistes, ni les « nouveaux philosophes », plus clinquants que consistants, qui ont apporté une contribution valable à la France contemporaine dans le domaine des idées, mais un journaliste et essayiste politique : Jean-François Revel. Ses livres et ses articles, judicieux et iconoclastes, originaux et incisifs, étaient rafraîchissants au milieu des stéréotypes, préjugés et conditionnements qui asphyxièrent le débat politique de notre temps. Par son indépendance, son aptitude à percevoir le moment où la théorie cesse d’exprimer la vie et commence à la trahir, son courage à affronter les modes intellectuels et sa défense systématique de la liberté sur tous les terrains où elle est menacée ou dénaturée, Revel fait penser à un Albert Camus ou à un George Orwell d’aujourd’hui. Comme le leur, son combat fut également solitaire et incompris.

Partir des faits et des observations, et non de la théorie, telle était sa démarche. À rebours de ce que font beaucoup de gens de gauche : partir de la théorie et déformer les faits pour les rendre conformes à celle-ci.

De même que pour les auteurs précédents, Mario Vargas Llosa passe en revue les grands essais de Jean-François Revel, comme nous avons eu l’occasion nous-mêmes de le faire ici. Et il conclut par ceci :

La mort de Jean-François Revel, en 2006, après une douloureuse agonie, a ouvert en France un vide intellectuel que, dans l’immédiat, personne n’a comblé. Elle a privé la culture libérale d’un de ses combattants les plus talentueux et les plus aguerris et nous a laissés, nous les admirateurs et amis, avec la déchirante impression d’être orphelins.

 

Mario Vargas Llosa, L’appel de la tribu, Gallimard, février 2021, 336 pages.

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