Le livre de Jean Laliberté, Les
fonctionnaires, explique merveilleusement bien les inefficacités inhérentes
à la fonction publique. Ce n’est pas que les fonctionnaires soient paresseux ou
incompétents comme le laissent entendre plusieurs. La fonction publique a la
même proportion d’employés cancres que dans le reste de la population.
Le problème réside dans le fait que le cadre réglementaire
impose aux fonctionnaires des contraintes nuisibles. De plus, les politiciens
interviennent inopinément à des fins électoralistes ce qui n’aide en rien l’efficacité
des fonctionnaires.
François-Pierre Gladu, président de l’Association des jeunes
médecins du Québec, explique pourquoi il faudra changer la réglementation pour
améliorer le système de santé québécois.
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François-Pierre Gladu
L'auteur est président de l'Association des jeunes médecins du Québec. La Presse |
Les campagnes électorales sont propices au lancement de
promesses qui ne seront jamais tenues et celle qui s'amorce ne semble pas faire
exception.
Combien de partis ont promis de régler les urgences depuis
20 ans? Combien ont juré qu'ils diminueraient l'attente pour les consultations
à l'hôpital? Sans résultat. Combien ont dit qu'ils feraient le nécessaire pour
universaliser l'accès à un médecin de famille? Voilà pourtant la condition sine
qua non pour normaliser les attentes en aval, soit à l'urgence et dans les
hôpitaux.
Les citoyens les ont pourtant élus, et souvent réélus, sans
qu'ils aient même à se prononcer sur les moyens qu'ils prendraient pour
corriger ces trois principales lacunes. Il est primordial de le savoir, tant
pour évaluer la crédibilité des promesses que pour s'assurer de donner un
consentement éclairé à un futur gouvernement.
Or, avant de proposer des remèdes au réseau, il faut
connaître les causes de ses lacunes, donc en faire le diagnostic. Le réseau de
la santé, qui est financé par le tiers de nos impôts, taxes et tarifs, souffre
principalement d'hospitalocentrisme : malgré 15% plus de médecins par
habitant que dans le reste du Canada, 30% de notre population n'a pas accès en
temps voulu à un médecin de famille: on passe alors par les urgences, avec une
surcharge minimale de 1,5 milliard $ annuellement pour le budget de la santé.
Les données probantes, tant à l'échelle nationale
qu'internationale, nous indiquent que des soins de santé efficients ne peuvent
exister sans une première ligne de services médicaux solide. Ici, elle ne
reçoit que 3% du budget de la santé...
Comment réduire cet hospitalocentrisme? D'abord, il
faut augmenter la proportion du temps de travail des médecins de famille en
cabinet. Depuis 1992, la législation du Québec en ce qui a trait aux activités
médicales prioritaires a eu pour effet de la réduire à 55% alors que les autres
provinces sont toujours à 80%. Les médecins de 15 ans et moins de pratique sont
à 30%, la balance représentant la proportion du temps passé à l'hôpital. Sans
surprise, aucune autre juridiction n'a suivi le Québec.
Si, avec moins de médecins, les autres provinces sont en
mesure d'organiser les services de santé plus efficacement, avec des médecins
de famille principalement en cabinet afin d'éviter le recours des patients aux
services hospitaliers, et en limitant à 10% la proportion de citoyens sans
médecin de famille, comment peut-on accepter que le Québec ne puisse pas faire
la même chose?
Pour ce faire, un amendement législatif pour l'abolition
progressive des activités médicales prioritaires sur 18 mois est
incontournable. Un parti qui promet à tous un médecin de famille sans promettre
cet amendement induit les électeurs en erreur.
Le deuxième amendement législatif que nous proposons
concerne l'impossibilité légale pour le médecin de famille d'embaucher et de
coordonner du personnel tout en étant rémunéré par la RAMQ, ce qui limite
indûment leur disponibilité pour le diagnostic et le traitement, qui sont le
coeur de l'exercice de la médecine. Pourtant, les dentistes, les pharmaciens et
les radiologistes le peuvent, tandis que les autres médecins spécialistes bénéficient
des services du personnel dans les hôpitaux.
Pour être efficace, le médecin de famille doit être, comme
ses collègues dentistes et pharmaciens, le chef d'orchestre et ultime
responsable clinique et administratif d'une équipe d'employés techniques et professionnels
qui le libèrent des tâches qui ne relèvent pas de son expertise médicale, mais
qui lui grugent un temps fou. Des activités qui seraient plus efficacement
assumées par ses employés : secrétaires, infirmières ou assistants
médicaux.
Car, pour assurer une organisation du travail efficiente,
toute organisation doit attribuer les actes, du plus simple au plus complexe,
en fonction de l'expertise. Que le professionnel dont l'expertise est la plus
pointue ne puisse l'utiliser pendant au moins le tiers de son temps en raison
d'un manque de support clinico-administratif constitue une entorse grave au
principe de la division efficiente du travail.
Ainsi, les partis doivent s'engager à réviser la Loi sur
l'assurance maladie afin qu'elle permette aux médecins de famille de gérer leur
cabinet aussi efficacement que les dentistes et les pharmaciens sont autorisés
à le faire.
Tout parti politique qui promet aux gens la lune en santé
sans dire comment il la décrochera manque de crédibilité et ne mérite pas l'appui
des électeurs. Comme les dépenses en santé représentent le tiers de nos impôts,
l'engagement électoral de faire voter ces deux amendements législatifs
représente assurément un enjeu électoral majeur.
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