La récession va se prolonger parce que les gouvernements sont imprudents. Dans plusieurs pays démocratiques ils sont encouragés en ce sens par des partis d’opposition opportunistes qui ne manquent pas l’occasion de promettre mer et monde à une population crédule. À titre d’exemple, en décembre dernier, au Canada, les partis d’opposition se sont ligués contre le parti minoritaire au pouvoir à cause, notamment, que celui-ci n'annonçait rien de spécifique pour relancer l'économie. Cherchant à la fois à répondre aux critiques et à rester au pouvoir ledit gouvernement s’est alors lancé dans les dépenses et a enregistré un déficit record. Les partis d’opposition s’insurgent maintenant contre ses dépenses insouciantes.
Ils s’opposent essentiellement pour la forme, car le gouvernement a répondu dans le sens de leur demande, soit en multipliant ses interventions dans l’économie. Aucun d'entre eux ne propose de réduire les services gouvernementaux. Au contraire, ils exigent du gouvernement d’accroître son aide aux chômeurs, d’accélérer les «investissements» dans les infrastructures, d’aider les secteurs de l’automobile, forestier, etc. Le Bloc Québécois propose d’ajouter un «train de mesures» pour stimuler l'économie. Or, comment instaurer ces «mesures» sans augmenter le fardeau fiscal? On retrouve ce genre d’opposition dans toutes les démocraties du monde et dans chacune d’entre elles la tendance est la même, soit une plus grande intervention de l’État dans l’économie. Il s’agit d’une grave erreur.
Selon une logique tordue et bien ancrée, les gouvernements, ou plus généralement les partis politiques, croient devoir dépenser ce que les individus tentent d’épargner. À leurs yeux, les épargnants empêchent l’économie de repartir. Les gouvernements ne les accusent pas directement, mais ils n’en réduisent pas moins leurs efforts en saturant les marchés de dette. Celle-ci n’est remboursable que par un fisc plus lourd et une inflation plus élevée. Un État qui impose ses choix sous le prétexte de mieux savoir que la population ce qu’est le bien est voué à une plus grande pauvreté.
Les gouvernements croient que la richesse d’un «pays» se trouve dans sa capacité à consommer, d’où leur tendance à dépenser davantage en temps de crise. Ils oublient, toutefois, que la consommation est précédée de la production et que celle-ci exige de l’épargne. Il faut chercher loin pour trouver un politicien préconiser la prudence en temps de crise et faire l’éloge de l’épargne. Calvin Coolidge, président des États-Unis au milieu des années 1920 est l’un de ceux-là :
«Lorsqu’une dépression économique survient on s’efforce d’être plus prudent dans ses dépenses. On épargne son argent et on ne prend aucune chance avec ses investissements. Curieusement, on prend la direction opposée en politique. On tend à appuyer des mesures extravagantes et on vote pour ceux qui avancent les positions les plus imprudentes. Il s’agit d’une réaction étrange et illogique. Lorsque l’économie va bien on peut prendre une chance avec un gouvernement prodigue, mais lorsqu’on est financièrement affaibli on a besoin davantage de politiques prudentes et d’hommes avisés.» Citation tirée de The Politically Incorrect Guide to the Great Depression and the New Deal, p. 16, de Robert Murphy, traduction libre
Les années 1920 ont été l’une des périodes les plus prospères de l’Amérique et de l’Europe notamment à cause de politiques prudentes et de gouvernements modestes. Aujourd’hui, les démocraties font le procès du capitalisme de la même façon qu’on fait le procès des gens dans les dictatures, soit précipitamment avec une idée toute faite. Or, ce n’est pas le capitalisme qui est coupable de la crise actuelle, mais les interventions de l’État.
L’interventionnisme peut prendre plusieurs formes, mais il a pratiquement toujours à sa base la banque centrale et plus généralement le monopole d’État sur la monnaie. Grâce à la Réserve fédérale (banque centrale américaine), créée à la fin de 1913, le gouvernement américain a pu financer, sur le dos des consommateurs, son entrée en guerre en 1917. La quantité de crédit qu’elle a injecté dans l’économie lors de cette période a également conduit le pays en récession en 1920-1.
Par chance, le gouvernement de l’époque avait encore le réflexe prudent de réduire et ses dépenses et le crédit disponible, de sorte que le pays, en peu de temps, s’est sorti d’une crise pour le moins sévère : production en baisse de 21% en 12 mois, nombre de chômeurs qui passe de 2,1 million à 4,9 million pour la même période, etc.. De 11,7% à son sommet en 1921, le taux de chômage baisse à 6,7% l’année suivante et à 2,4% en 1923. On doit noter que ces politiques sont à l’opposé de celles mises de l’avant aujourd’hui un peu partout dans le monde.
Tant que la banque centrale alimentera l’État, on ne pourra légitimement accuser le capitalisme de la crise puisqu’une banque centrale est une organisation étatique que le capitalisme rejette, car nuisible à la juste information des prix, à leur «transparence». De toutes les institutions de l’État, la banque centrale est une des pires. Pire au sens de nuisible à la création de richesse, au progrès et à la coopération humaine.
Le rôle de la banque centrale
Le principal rôle de la banque centrale est de fournir de l’argent au gouvernement pour financer ses programmes sociaux et ses aventures guerrières. Le processus se déroule de la manière suivante : dans un premier temps, le gouvernement émet de la dette que les banques achètent. La banque centrale crée ensuite de l’argent pour acheter cette dette gouvernementale détenue par les banques. Les banques, ou plus précisément certaines d’entre elles, sont les premières récipiendaires de ce nouvel argent. Plus leurs comptes sont renfloués, plus elles sont en mesure de prêter de l’argent. D’autant plus qu’elles sont encouragées par le gouvernement à maintenir dans leurs coffres qu’une partie de l’argent qu’elles prêtent aux différents agents économiques. Ce processus de création monétaire est connu sous le nom de politique des réserves fractionnaires.
Il y a donc deux grandes façons de créer de l’argent : en achetant les dettes gouvernementales détenues par les banques et en permettant à celles-ci d’en prêter plus qu’elles en détiennent dans leurs coffres. Ces façons de créer de l’argent sont possibles parce qu’on n’exige plus de cet argent une contrepartie métallique et parce que les économistes et les financiers censés comprendre et dénoncer ces mécanismes ou bien les approuvent parce qu’ils n’en voient pas les conséquences néfastes, ou bien parce qu’ils en tirent profit. La majorité d’entre eux se trouvent dans le premier camp. Ce sont parmi les plus grands responsables de la crise actuelle. Après tout, ils conseillent les politiciens qui tentent, à leur tour, d’endoctriner la population.
La très forte majorité des économistes ne remet pas en question la banque centrale pour quelques raisons dont les suivantes : elle comprend mal le processus de création monétaire, elle en voit mal les conséquences et elle croit aveuglément à la toute-puissance de l’État. L’idée qu’elle s’est fait de la banque centrale lors de la Grande Dépression est basée sur la critique de Milton Friedman, lauréat Nobel d’économie en 1976. Bien que Friedman fût un excellent économiste, il en n’avait pas la compréhension d’un Friedrich von Hayek ou d’un Ludwig von Mises.
Dans son livre, écrit conjointement avec Anna Schwartz, A Monetary History of the United States, publié en 1963, Friedman blâme la banque centrale de ne pas avoir réagit rapidement et avec assez de force pour contrer la baisse des prix suivant le krach de 1929. La plupart des économistes, y compris l’actuel président de la Réserve fédérale, Ben S. Bernanke, reprennent à leur compte cette façon de voir pour revendiquer une action rapide et musclée de la banque centrale. Ils ne sont pas déçus puisque Bernanke va plus loin que les prescriptions de Friedman. En effet, non seulement achète-t-il les dettes gouvernementales détenues par les banques, mais il achète aussi les dettes des banques elles-mêmes pour qu’elles soient en mesure de prêter davantage aux agents économiques. On rappelle que la plupart des économistes croient, à tort, que la richesse s’établit d’abord par la consommation.
Lorsque les banques sont ainsi protégées de la faillite par les gouvernements, comment ne pas comprendre la population et les autres secteurs d’activités de revendiquer pareille protection? Là où le bât blesse, cependant, c’est de constater que la vaste majorité des gens considère cela comme du capitalisme alors que c’en est tout le contraire. Inonder les banques de liquidités ne contrebalancera jamais la baisse des prix des actifs immobiliers et boursiers. Si leurs prix nominaux ne baissent pas, ce sont leurs prix réels qui baisseront. Non seulement l’ajout de monnaie dans l’économie n’est d’aucun secours, mais elle aggrave la situation.
Le compte rendu de Friedman de la Grande Dépression est erroné. La banque centrale américaine a agit rapidement et avec force au krach de 1929. Elle a inondé les banques de liquidités dans l’idée de relancer l’économie dès la fin de 1929, toute l’année de 1930 et pratiquement toute l’année de 1931.
“The moment the boom broke in 1929, the Central Banks of the world, acting obviously in concert, set to work to create a condition of easy money, quite out of relation to the general conditions of the money market. This policy was backed up by vigorous purchases of securities in the open market in the United States of America. From October 1929 to December 1930 no less than $410 million was pumped in the market in this way. The result was as might have been expected. The process of liquidation was arrested. New loans were floated.” Lionel Robbins, The Great Depression, p.87, 1934
Ce n’est qu’à la fin de 1931 que la Réserve fédérale a mis la pédale douce sur sa création de crédit monétaire, soit l’inflation à proprement parler, parce que cela incitait les agents économiques du monde entier à rapatrier la véritable monnaie, à l’époque l’or, sur laquelle le crédit monétaire se multipliait. Or, deux ans après le krach la dépression ne faisait que s’accentuer malgré l’exécution exacte des directives préconisées par Friedman, Bernanke et la quasi-totalité des économistes, soit d’inonder les marchés de liquidités en abaissant les taux d’intérêt.
Les prix des biens et des services ont effectivement baissés entre 1929 et 1933, mais cela n’était pas dû au manque d’effort de la Réserve fédérale pour renverser cette tendance. Les prix baissaient à l’époque pour la même raison qu’ils baissent aujourd’hui, soit parce que les gens dépensent moins et gardent leur argent chez eux en sécurité. Lorsque l’économie va bien les banques accumulent l’argent et les profits à cause notamment de la politique des réserves fractionnaires. Par contre, lorsque l’économie va mal ce multiplicateur fonctionne à l’envers, c’est-à-dire que plus les gens gardent leur argent chez eux, plus les banques doivent réduire leurs prêts. Selon cette mécanique, moins l’argent est dépensé, plus les prix tendent à baisser, toutes choses étant égales par ailleurs. Plutôt que d’abolir cette politique, qui constitue généralement la source principale d’inflation et des cycles économiques, les gouvernements préfèrent dépenser l’argent des contribuables dans le but illusoire de relancer l’économie. Malheureusement, il ne s’agit pas de la seule illusion du «système bancaire».
L’«assurance dépôt» ne sera d’aucun secours en temps de crise puisqu’elle dépend elle-même de l’argent créé à volonté par les gouvernements. Les lois économiques n’obéissent pas aux diktats de l’État, non pas parce qu’elles sont rebelles, mais parce qu’elles ne sont pas de même nature. Si certains économistes admettent du bout des lèvres que les politiques monétaires et fiscales utilisées aujourd’hui ont des similitudes avec celles utilisées lors de la Grande Dépression, ils prétendent néanmoins que les résultats seront différents aujourd’hui parce que l’or ne sert plus de monnaie. Autrement dit, puisque les gouvernements ont maintenant les mains libres pour créer autant de monnaie qu’ils le veulent, les résultats vont être différents. Ils le seront effectivement, mais pas pour le mieux. Si la tendance actuelle à dépenser et à arroser les banques n’est pas renversée rapidement, on n’assistera pas à une relance de l’économie, mais à son effondrement.
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