Une belle unanimité règne chez les politiciens et les chroniqueurs économiques, il faut sauver l’industrie automobile. Bien sûr, il y en a quelques-uns pour oser protester, mais ils sont rapidement enterrés sous un déluge de « il faut faire quelque chose ».
Ne rien faire, c’est aussi faire quelque chose.
La faillite est le seul remède suffisamment fort pour remettre l’industrie automobile nord-américaine sur les rails. Le rôle des gouvernements n’est pas de sauver les actionnaires, les prêteurs, les syndicats ou les gestionnaires. Son rôle est d’aider les travailleurs à passer à travers cette crise. Ils doivent garantir les pensions, aider les travailleurs à se recycler et maintenir un environnement économique attrayant pour l’industrie.
Injecter des fonds publics dans des entreprises qui n’ont pas su profiter des trente dernières années pour se réinventer c’est l’équivalent de vouloir remplir un grand trou avec l’argent des contribuables.
Le texte de l’économiste Emmanuel Martin permet de dégonfler la « baloune » des catastrophes annoncées par ceux qui par incompétence et intérêt sont à la source de ce fiasco.
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Obama et Detroit
Emmanuel Martin, le 19 novembre 2008
Barack Obama a déclaré ne pas vouloir de signer un chèque en blanc aux producteurs automobiles de Detroit (Chrysler, Ford et General Motors) - proches de la faillite. Comme beaucoup, il semble très préoccupé par le dilemme d’un sauvetage qui pourrait tourner au fiasco. C’est essentiellement General Motors (GM) qui prétend être dans l’urgence et dont le PDG Rick Wagoner espérait glaner quelques 10 à 12 milliards de dollars d’un plan de sauvetage de 25 milliards (prélevés sur les 700 milliards du plan d’octobre pour la finance) pour les « Trois Grandes ». Leurs PDG sont allés cette semaine plaider leur cause à Washington - sans succès pour l'instant. Derrière les avantages apparents d’un sauvetage, il faut en rappeler les coûts.
Les partisans d’un sauvetage de l’automobile de Detroit mettent en avant essentiellement deux arguments.
Premièrement, l’impact d’une telle faillite sur l’emploi. GM par exemple génère directement 123.000 emplois en Amérique du Nord et indirectement peut-être trois fois plus. Les faillites en cascade d’une partie des fabricants de pièces détachées pourraient aussi entraîner les concurrents de GM qui se fournissent chez eux. Les 325.000 emplois chez les concessionnaires GM souffriraient aussi. Le deuxième argument est celui des retraites qui devaient être payées par la société GM et dont le fardeau serait alors transféré à l’agence fédérale qui doit les assurer en pareil cas, le Pension Benefit Guaranty Corporation (PBGC). L’année dernière cette agence accusait déjà un déficit de 14 milliards de dollars. Ce chiffre doublerait en cas de faillite de GM.
Ces deux arguments font impression mais ils ne disent pas « toute la vérité ».
Si GM ou même les « Trois Grandes » faisaient faillite, les concurrents – produisant sur le sol américain - tenteraient logiquement de récupérer le marché et s’agrandiraient, embauchant du personnel. Il y aurait au passage des pertes nettes d’emplois, mais pas aussi massives que ce qui est annoncé. Cela permettrait d’assainir la production, et de rendre les firmes restantes plus solides et plus efficaces. Ces dernières font d’ailleurs face aux mêmes contraintes conjoncturelles que les « Trois grandes », mais elles satisfont leurs consommateurs. Les réaffectations de capital sont un phénomène inéluctable et absolument nécessaire dans une économie en mouvement.
Ensuite si GM ou les deux autres « Grandes » obtenaient l’aide que leurs patrons sont venus demander à Washington DC - en jet privé, cela impliquerait des effets pervers importants. D’abord, rien ne dit que cela permettrait de redresser leur situation : cela prolongerait juste leur agonie. Par contre cela constituerait un signal fort pour toutes les industries qui seraient incitées à venir demander aussi une aide, représentant ainsi une approbation officielle des mauvaises stratégies et gestion d’entreprise. Ensuite, cela pourrait se révéler injuste pour les contribuables pauvres qui verraient leurs impôts aller subventionner des employés d’entreprises beaucoup mieux payés qu’eux et aux avantages sociaux très supérieurs aux leurs ; injuste aussi pour les concurrents qui sont performants et qui ne seraient pas subventionnés. Effectivement : pourquoi subventionner les mauvais ? Cela empêcherait justement les réaffectations nécessaires de capital, forçant l’économie à investir dans des canards boiteux plutôt que dans des projets d’avenir.
Bien sûr la conjoncture n’a pas aidé une entreprise comme GM : d’abord, la hausse récente du prix du pétrole a provoqué un déclin de la demande de SUVs gourmands en carburant, créneau favori de GM ; ensuite la crise financière et le gel du crédit empêche l’entreprise de boucher ses trous de trésorerie - mais ces éléments ne sont effectivement que conjoncturels. Les difficultés traduisent essentiellement un problème structurel chez GM : une entreprise obèse, qui en dépit de restructurations à répétition, n’a pas su suivre son marché (en dehors des SUV et des pickups aucune des 3 grandes n’entre dans le Top 5 des ventes de la décennie passée), gérer ses coûts ni contrôler sa bureaucratisation à l’excès.
Et cela ne date pas d’hier. Déjà durant la décennie 80, GM et Ford connaissaient des difficultés. Selon le Professeur David Yermack de New York University dans le Wall Street Journal du 15 novembre, GM et Ford auraient détruit du capital à hauteur de 180 milliards de dollars entre 1998 et 2007. GM a perdu 20 milliards depuis le début de l’année. Le syndicat United Auto Workers a poussé depuis des années pour des avantages sociaux mirifiques : les charges sociales de GM seraient de 1500 dollars plus élevées par voiture que chez les concurrents japonais produisant aussi aux Etats-Unis ; les salariés licenciés pouvaient partir jusqu’à une période récente avec 90 % de leur salaire. Les retraites généreuses et le fait qu’il y a un actif pour deux retraités « GM » expliquent le surcoût potentiel pour le PBGC.
L’histoire montre que des entreprises structurellement en déconnection avec leur marché ne valent pas la peine d’être sauvées. Il faut en effet garder à l’esprit que, chose trop souvent occultée, l’argent englouti dans un sauvetage raté n’est pas affecté à d’autres usages : ce sont des crèches ou des écoles en moins. Le sauvetage de Leyland dans les années 70 et 80 au Royaume –Uni a coûté une petite fortune aux contribuables britanniques pour rien. S’il récupère le dossier, ce qui est fort probable aujourd’hui, le futur locataire de la Maison Blanche se devra d’être très prudent à l’égard de Detroit.
Emmanuel Martin est docteur en science économique, éditorialiste sur www.UnMondeLibre.org
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