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15 mai, 2023

La démocratie menacée par l’ignorance fiscale

 Par Jean-Baptiste Noé.

« En avoir pour son argent », telle est la demande des contribuables qui veulent savoir à quoi servent leurs impôts. Ce qui pose le problème du consentement à l’impôt, de la compréhension des systèmes fiscaux et des rapports entre les perceptions et les réalités. Un récent sondage Elabe démontre que l’ignorance fiscale est grande, ce qui est dangereux pour la démocratie.

L’impôt est au centre du processus démocratique. Il assure non seulement le fonctionnement des administrations, mais aussi celui du système social via la redistribution. Beaucoup de Français sont restés sur une vision classique de l’impôt : payer pour financer le fonctionnement de l’État (notamment l’armée et la police).

 

Les trois fonctions de l’impôt

C’est oublier que depuis un siècle, et sous le mouvement de l’État providence, à l’impôt classique se sont ajoutées deux fonctions nouvelles : redistribution et construction.

L’impôt, particulièrement en France, contribue à niveler les populations pour créer une société la plus égalitaire possible via la redistribution (prendre aux « riches » pour donner aux « pauvres »). Il sert aussi à modifier les comportements en contrôlant et orientant les choix des individus (taxes sur les voitures dites polluantes pour limiter leur achat, taxe soda pour en décourager la consommation, etc…).

Dans ces deux fonctions, récentes au regard de l’histoire fiscale, il ne s’agit pas « d’en avoir pour son argent » puisque l’impôt ne sert pas ici à financer, mais à construire la société. La philosophie qui sous-tend cette vision fiscale est une philosophie constructiviste qui, via l’impôt, construit l’homme pensé et voulu par l’État.

Le nouveau site internet mis en place par Bercy induit donc une première erreur : celle de faire croire que l’impôt sert uniquement le financement, en omettant ses deux autres fonctions que beaucoup de Français ne connaissent pas.

 

Ignorance fiscale

Le sondage réalisé par Elabe pour Les Échos et l’Institut Montaigne éclaire la grande ignorance fiscale de la population française.

Voici les résultats résumés :

« Impôts et taxes : plus de un Français sur deux estime qu’il contribue davantage au système qu’il n’en bénéficie.

De manière générale, quand ils pensent aux différents impôts et taxes qu’ils paient et aux services et aides dont ils peuvent bénéficier, plus de la moitié des Français estiment contribuer plus au système qu’ils n’en bénéficient (53 %, -2 par rapport à octobre 2022) ; un quart pense qu’ils contribuent autant qu’ils en bénéficient (24 %, -1) ; et seuls 8 % (+2) qu’ils bénéficient plus du système qu’ils n’y contribuent ; 15 % (+1) d’entre eux ne se prononcent pas sur le sujet. »

Cela témoigne d’une double ignorance : celle des trois fonctions de l’impôt et celle du système fiscal.

Il ne s’agit pas en effet de savoir si on reçoit plus qu’on ne paye puisque l’impôt a d’autres fonctions que celles de faire fonctionner l’administration. Quant au sujet de la redistribution et du fonctionnement, nombreux sont les Français qui n’en comprennent pas les mécanismes. Par exemple, avoir un enfant en crèche ou à l’école publique, c’est bénéficier de l’impôt puisque ces services sont financés par lui, ce qui n’est pas toujours compris par ceux qui pensent que l’école est « gratuite ».

Le reste du sondage est à cet égard très éloquent. Il est demandé quelles sont les dépenses publiques qu’il faudrait augmenter et celles qu’il faudrait diminuer.

Parmi les dépenses publiques à augmenter en priorité figurent, par ordre d’importance : la santé, l’éducation et les retraites. Parmi celles à diminuer : les allocations familiales, le numérique, l’armée.

 

Mythe de l’argent magique

On comprend le raisonnement qui sous-tend la volonté de faire croître certaines dépenses publiques : santé, éducation et retraites fonctionnent mal (ce qui est vrai), mettons davantage d’argent et cela ira mieux (ce qui est faux).

C’est ici l’affirmation du mythe de l’argent magique qui se décline sous deux volets :

  1. L’État peut créer de l’argent par la création monétaire
  2. L’État peut financer par l’impôt

 

L’argent résout tous les problèmes, sous-entendu : plus on met d’argent, meilleur est le service. Il appartient donc à l’État de créer cet argent et de faire payer les « riches » pour financer les dépenses sociales. Un raisonnement simpliste, erroné dans ses applications, mais partagé par le plus grand nombre.

Dans le cas des trois postes susmentionnés, la réalité contredit cette idéalisation.

Les dépenses d’éducation ont été multipliées par deux depuis 1980. Un élève coûte deux fois plus cher aujourd’hui qu’il y a 40 ans, et pourtant le service de l’éducation est dégradé. Or beaucoup sont ceux qui pensent que les dépenses éducatives ont diminué, ce qui est faux1. Pire même, un enfant scolarisé dans le secteur privé coûte deux fois moins cher que dans une école publique. Ce qui démontre que l’on peut à la fois dépenser moins et avoir un meilleur résultat.

Il en va exactement de même pour la santé, car le système de soin, via la sécurité sociale, fonctionne de la même façon que l’éducation nationale. Idem aussi pour les retraites. Le système de répartition est non seulement très coûteux, mais de plus très peu efficient. Là aussi, on peut dépenser moins et avoir mieux. Le mythe de l’argent magique (dépenser plus pour avoir plus) est bien un mythe. Ce qui témoigne du grand différentiel existant entre la perception de l’économie et sa réalité.

Or, cet écart de perception est une grande menace pour la démocratie.

On découvre ainsi que la diminution du budget de la Défense arrive en troisième position. Malgré la guerre en Ukraine, malgré le retour de la menace guerrière, nombreux sont les Français qui considèrent ces dépenses inutiles. Ainsi, 13 % des Français souhaitent augmenter les dépenses militaires contre 22 % qui aimeraient les diminuer. Alors même que nous sommes là au cœur des dépenses dites régaliennes et du rôle premier de l’impôt. Et alors même aussi que les dépenses militaires tirent vers le haut toute une partie de l’industrie, y compris civile, contribuant ainsi à l’essor de la croissance et à l’amélioration de l’industrie. Perdure encore le mythe des dividendes de la paix et la non-compréhension du fonctionnement des externalités positives. Encore une fois, les perceptions fiscales l’emportent sur la réalité fiscale.

 

Une perception inverse de la réalité

La partie du sondage qui détaille les réponses en fonction des catégories socio-professionnelles est des plus intéressantes, car elle montre que la perception de la question fiscale est très souvent l’exact inverse de la réalité.

Ainsi, les 50 ans et plus pensent qu’ils contribuent davantage au système fiscal qu’ils n’en bénéficient (59 % pour les 50-64 ans ; 54 % pour les 65 ans et plus). Or, c’est complètement faux. D’une part parce que la majeure partie de cette population est retraitée, donc elle bénéficie pleinement du système fiscal de redistribution via la retraite par répartition ; d’autre part parce que c’est la population qui consomme le plus de services de santé (compte tenu de son âge) et qui donc, là aussi, profite le plus de la redistribution.

Les réponses par région de résidence sont, elles aussi, éloquentes. 48 % des habitants de la région parisienne pensent donner plus qu’ils ne reçoivent contre 54 % des habitants de province. C’est l’exact inverse du système actuel. Les provinciaux pensent qu’ils payent pour l’Île-de-France alors que c’est l’Île-de-France, et Rhône-Alpes, via le système redistributif, qui financent les investissements et le fonctionnement de la province. Une réalité de la justice territoriale que j’ai analysée ici.

Les électeurs du RN pensent à 68 % qu’ils contribuent davantage qu’ils ne gagnent contre 41 % pour les électeurs LREM. Compte tenu de la sociologie professionnelle et résidentielle de ces populations électorales, la réalité est, là aussi, l’inverse de la perception.

 

Fin de la démocratie

Ce sondage est la parfaite illustration de l’aphorisme de Frédéric Bastiat :

« L’État, c’est la grande fiction par laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde. »

On l’aura compris à la lecture de ce sondage : chacun veut payer le moins possible et recevoir le plus possible ; et veut donc bien « en avoir pour son argent ». Les retraités veulent augmenter les dépenses pour les retraites, les plus jeunes augmenter les dépenses d’éducation. Rien de plus normal en somme que ces attitudes individualistes que chacun pourra camoufler sous le drap du « bien commun ».

Le sondage valide aussi la thèse de la théorie des choix publics qui démontre que les électeurs font leur choix en fonction de leurs intérêts catégoriels. En outre, ces résultats témoignent de la fin de la démocratie.

Une telle distorsion entre la perception et la réalité empêche tout débat public, serein et calme. Comment réfléchir à l’impôt, cœur du débat démocratique, quand autant de Français ignorent les bases de son système de fonctionnement, quand des choses apparemment aussi simples que la redistribution, la sécurité sociale et la retraite sont l’objet d’une totale ignorance de fonctionnement ?

Comment voter, c’est-à-dire poser un jugement et émettre un choix, quand les bases de la rationalité n’existent plus ? Au-delà de la question fiscale, ce sondage démontre qu’il ne peut pas y avoir de débats démocratiques, et donc de démocratie, tant que perdure une telle distorsion entre la perception et la réalité.

  1. Voir sur ce sujet, outre mes nombreux articles sur l’éducation, mon ouvrage Rebâtir l’école (2017) dont toutes les prévisions se sont avérées ↩

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