Par Nathalie MP.
Il n’est pas simple de nager à contre-courant. Cela demande des efforts particuliers qui, bien souvent, ne reçoivent en retour que méfiance et hostilité. C’est déjà ce que remarquait Jacques Rueff en 1934 alors qu’il s’adressait à ses camarades polytechniciens dont il observait que les travaux économiques ne se développaient guère « dans un sens purement libéral » :
Je me sens donc parmi vous en état de singularité, et je vous prie de croire que je n’en éprouve nul plaisir, car ce n’est pas un mol oreiller que le non-conformisme.
En lisant ces mots non dénués d’une certaine amertume, j’ai tout de suite éprouvé de la sympathie pour Rueff. Non pas que je prétende à son intelligence ou son savoir. Mais je me suis sentie proche de lui car à bien des égards, peut-être même plus que jamais, les libéraux d’aujourd’hui sont « en état de singularité » dans la société française. Pour eux, pas d’oreiller moelleux où défendre leurs idées sous les vivats de la foule enthousiaste.
Mais défendre ses idées, c’est précisément ce à quoi Rueff ne va pas renoncer malgré les rigueurs de l’entreprise. Il tient à expliquer les raisons qui font qu’il est « resté libéral dans un monde qui cessait de l’être », quitte à ce qu’on lui dise ensuite s’il est « fou ou si c’est le reste du monde qui a perdu l’esprit. »
Pour ma part, je crains surtout de me faire mal comprendre et de voir s’ajouter le malentendu à tout ce que mon propos libéral comporte de malvenu. Après une première tentative dans « Être libéral, cela veut dire » j’aimerais prendre à nouveau un peu de temps pour tenter une seconde explication, une Take Two, dont vous jugerez de l’extravagance.
L’égalité homme-femme
Prenons pour commencer l’exemple de l’égalité homme-femme. Le sujet est d’actualité car la cause des femmes est incontestablement la grande priorité sociétale du quinquennat Macron.
Dernièrement, je brocardais allègrement les gesticulations quasi-mystiques du ministre de l’Économie Bruno Le Maire pour faire advenir un monde entrepreneurial intégralement paritaire entre les hommes et les femmes. Quelque temps auparavant, j’avais raillé de la même façon l’idée du congé paternité obligatoire qui émerge en ce moment.
Est-ce à dire que je prends position contre l’idée que les femmes sont les égales des hommes ? Est-ce à dire que je prône la « conservation » d’un monde où elles sont irrémédiablement assignées à ce que les Allemands appellent les trois K : « Kinder, Küche, Kirche », c’est-à-dire enfants, cuisine, église ?
Certainement pas. Je prends position contre le remplacement d’une oppression par une autre.
Loin de moi l’idée de nier que les femmes ont dû se battre pour conquérir leurs droits par rapport aux hommes. Rappelons qu’en France, il a fallu attendre 1965 pour qu’elles soient autorisées à travailler et ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari. Ce n’est pas si vieux, j’étais née !
Cependant, une nouvelle inquiétude a surgi chez les partisans de l’école égalitariste, qui consiste à dire que même si l’égalité est réalisée dans la loi, elle ne l’est pas assez dans la vie réelle. La société, trop marquée par ses vieilles habitudes et ses croyances d’antan, n’évolue pas assez vite. Il faut la forcer à accélérer.
Il conviendrait alors que l’État prenne des mesures coercitives assorties de sanctions afin d’obliger tout sous-ensemble de la population, tel que conseil municipal, comité de direction d’une entreprise, diplômés d’une école, personnes nominées pour un prix, etc. à avoir une représentation proportionnelle aux diversités observées dans la population générale.
Autrement dit, après avoir aboli les discriminations négatives par suppression des interdictions subies autrefois par les femmes, il faudrait se lancer maintenant dans un nouveau genre de discrimination, dite un peu vite positive, en créant partout des obligations d’égalité, afin de faire advenir immédiatement et immanquablement la société parfaite auxquels nos égalitaristes aspirent, tant ils sont convaincus que rien ne doit faire obstacle à leurs bons sentiments. Qui refuserait de faire le bien ?
Ce que veulent les libéraux
C’est là que les libéraux entrent en scène.
Ils font d’abord remarquer que l’attribution de postes, de prix ou de diplômes sur la base volontariste de quotas de femmes, de noirs ou de roux déplace injustement le critère de sélection de la compétence vers l’appartenance à une catégorie favorisée, et fait injustement peser sur les personnes concernées la lancinante suspicion de n’avoir pas mérité leur promotion. Elle crée tout aussi injustement une nouvelle discrimination négative envers les catégories que les pouvoirs publics seront moins enclins à soutenir.
Ils soulignent ensuite combien il est absurde d’avoir triomphé d’une vraie oppression – la dépendance des femmes aux décisions effectuées pour elles par leur père ou leur mari sans égard pour leurs aspirations personnelles – pour tomber dans un constructivisme inverse qui accorde tout aussi peu de valeur aux désirs et aux choix des femmes quant à leur vie familiale et professionnelle.
Soyons clair : il n’y a pas constructivisme si je dis « Il est bon que les femmes qui le souhaitent aient les mêmes possibilités d’accès professionnel que les hommes pour telles et telles raisons » afin d’en convaincre une audience. D’ailleurs, je le dis. Mais il y a constructivisme dès lors que l’État en fait l’obligation par des lois incluant quotas, subventions d’embauche et amendes en cas de non respect, au mépris de la volonté propre des personnes concernées et de leur capacité à s’entendre entre elles.
Finalement, pour reprendre un exemple que j’ai déjà utilisé, le libéral ne milite pas pour ou contre le don d’organes afin d’en obtenir par la loi l’obligation ou l’interdiction selon ce qu’il considère comme bien ou mal ; il milite pour que chacun ait la liberté de se prononcer sur ce sujet comme il l’entend, quelle que soit par ailleurs sa position personnelle. Position qu’il a toute latitude de défendre dans le cadre des échanges d’idées qui font avancer la société – au rythme des évolutions individuelles, pas à marche forcée.
Dès lors qu’on juge légitime de laisser les individus se prononcer en toute liberté sur les sujets qui les concernent – dans la limite infranchissable du respect absolu des biens et des personnes, on commence à entrevoir où le libéralisme pourrait nous conduire dans la vie de tous les jours.
Prenons nos salaires, éléments indiscutablement très utiles à la conduite de nos vies. Une fois défalqué l’impôt destiné à financer les fonctions régaliennes de l’État, lesquelles ont justement pour mission de protéger les personnes et leurs propriétés, nous devrions pouvoir en disposer entièrement à notre guise.
Or c’est très loin d’être le cas. Le régalien est devenu l’épaisseur du trait (60 euros sur 1000 euros) par rapport à tout ce que l’État dépense et nous impose de financer.
Combattre l’idéologie étatiste
Nous sommes ainsi confrontés à titre personnel à un volume de dépenses obligatoires pour lesquelles nous n’avons aucun choix, si ce n’est subir la mauvaise gestion chronique qui affecte immanquablement toutes les politiques étatiques décidées idéologiquement :
– Les cotisations sociales payées par l’employeur sur notre salaire complet financent notre santé et notre prévoyance via le monopole de la Sécurité sociale : pas de choix.
– Hors régalien, les impôts que nous payons financent en premier lieu l’instruction de nos enfants via le monopole de l’Éducation nationale et sa carte scolaire : pas de choix (ou si peu).
– Ils financent aussi l’information, la presse et la culture. Qu’on le veuille ou non, nous payons pour des journaux, des expositions ou des films que nous n’achèterions, ne visiterions ou ne regarderions jamais, serions-nous libres d’affecter l’intégralité de nos revenus à ce qui nous intéresse vraiment : pas de choix.
– Ils tiennent à bout de bras le monopole de la SNCF, passage obligé de nos « mobilités » ferroviaires. L’ouverture à la concurrence augmentera la palette de prestataires mais ne supprimera pas notre obligation d’éponger les pertes.
– Ils permettent d’imposer le bio dans les cantines au détriment de l’agriculture conventionnelle et les énergies renouvelables au détriment du nucléaire, au nom d’un principe de transition écologique coûteux dont la cohérence ne saute pas aux yeux.
– Ils se substituent enfin à notre empathie personnelle, à nos capacités de partage et à notre sens de l’entraide. La solidarité est organisée d’en haut et à grands frais selon les fins sociales décidées par l’État : là encore, pas de choix.
Obligation d’en passer par les monopoles d’État, limitation idéologique des choix, pas de possibilité réelle de contrôle de ce que deviennent les fonds abondamment prélevés malgré un bel empilement de rapports peu flatteurs de la Cour des comptes.
Voilà la France d’aujourd’hui.
On comprend mieux pourquoi les libéraux placent la baisse des impôts et des dépenses publiques ainsi que le retour à la concurrence la plus large au cœur de leur discours. Non pas qu’un faible taux d’impôt sur les sociétés, par exemple, suffise à lui seul à caractériser un environnement libéral – encore faut-il que les libertés civiles soient au rendez-vous.
Mais plus un État dépense, plus il doit prélever de l’impôt, avec le premier inconvénient de peser sur la prospérité économique, ainsi que je le souligne assez régulièrement ici, et le second inconvénient de retirer aux citoyens leurs facultés de choix pour des questions qui, dans un environnement vraiment libre, ne devraient relever que de leurs préférences personnelles dans tous les domaines de leur existence.
Alors, dans un pays comme la France où l’État dépense le record mondial de 57 % de son PIB, vous voyez notre niveau de liberté ? Vous voyez combien, sous couvert de faire notre bien, l’État nous considère comme des êtres immatures, à jamais incapables d’avoir un jugement et de faire des choix ? À méditer, je crois.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire