Par Louise V. Labrecque
Pour compléter le tableau de mon dernier
article au sujet d’Henriette Dessaulles, il faudrait dessiner quelques regards
vers les années 1900, et ainsi donner la parole à plusieurs écrivains, et
historiens ayant voulu, par le passé, ouvrir la porte à une réelle
compréhension des œuvres, au-delà de la fiction. En effet, comment voir un
travail d’écriture au sujet d’une grande dame de notre littérature, par
ailleurs pratiquement méconnue ? Bien sûr, cette interrogation d’une question
au sujet d’un passé est un prétexte, en somme,
pour dessiner le futur guéri de son amnésie plus ou moins volontaire. De
plus, il faudrait y consacrer non pas un simple article, mais un texte beaucoup
plus exhaustif, ce dont je ne ferai pas ici. Pour l’heure, je me contenterai de
rappeler des faits importants, notamment à savoir que Henriette Dessaulles,
notre petite Fadette, a publié, sa vie durant, sous plusieurs pseudonymes, dont
les plus connus sont : Claude Ceyla,
Jean Deshayes, Marc Lefranc; il y
en a peut-être d’autres… et cela, en soi, est vertigineux.
Ainsi, de son œuvre remarquable, soit la
publication de ses journaux intimes, Henriette Dessaulles a aussi publié dans
le journal Le Devoir, chaque semaine, des milliers de chroniques dites
féminines : « Lettres de Fadette ». De ce fait, le rapport à
l’intime de son œuvre, au sens du rêve,
des révélations de l’esprit, via son journal, mais aussi sous l’œil impitoyable
de son époque, constitue un véritable plaidoyer de la liberté de penser dans
une société dominée par le patriarcat et le clergé. Ainsi, Henriette Dessaulles
aura été un électron libre, non pas en errant à la marge du monde, mais en
prenant prise sur le réel, nous conviant à la confidence, l’échange, la
réflexion. Ainsi, le silence qui entoure aujourd’hui son œuvre est
fascinant : comme si le refuge individuel qu’a exercé son rapport à
l’écriture apparaissait aujourd’hui naturellement, mais sans prise de
conscience collective, au sens large. Pourtant,
et à vrai dire, toute la famille Dessaulles est fascinante : fortunée
certes, mais aussi très libérale (la ville de Saint-Hyacinthe, non loin de
Montréal, était assez avant-gardiste pour l’époque). Ainsi, son grand-père fut
le Seigneur de Saint-Hyacinthe; son père
Georges-Casimir Dessaulles, fut le maire de la ville, lequel fut le frère de
l’humaniste Louis-Antoine Dessaulles (celui-ci nous lègue également quelques
écrits digne de mention, et dont je vous reparlerai dans un prochain article). Finalement,
elle est la cousine d’Henri Bourassa, qui fonda le journal LE DEVOIR, en 1910,
et dans lequel elle publia « Lettres de Fadette ». Finalement, pour
couronner le tout, son parrain n’est nul autre que le patriote Louis-Joseph
Papineau. De plus, plusieurs autres
membres de cette familles sont intéressants, et il y aurait beaucoup à en dire
et à en écrire; ce dont je ne priverai certainement pas, si le cœur m’en dit,
dans de prochains papiers. En fait, vous direz-vous, quelle mouche m’a donc piquée
avec Henriette Dessaulles ? Pourquoi me touche t’ elle autant ? Je serais bien
embêtée de vous répondre, sinon qu’il s’agit d’une véritable femme d’esprit, et
d’une plume hors normes, d’une très grande beauté, aux qualités littéraires à
la fois simples et remarquables, érudite sans jamais être pédante, et surtout
translucide, transparente : c’est comme si nous y étions ! Son journal
intime (dont il nous manque encore des cahiers, hélas introuvables à ce jour),
est admirable en ce sens qu’il est intemporel. Le même combat pour la liberté,
non seulement à l’intérieur de la vision d’une ville, d’une société, et d’une
époque, mais aussi dans sa contagion ardente, son humanisme, et son caractère
original. Ainsi, on se laisse emporter par le plaisir de la lecture, sans souffrir un seul instant du fait
d’entrer dans la vision d’Henriette, au
cœur de son monde, ce lieu intérieur rempli d’aspérités qui bercent et
dérangent à la fois, contrastes brillants préfigurant l’esprit de la grande
dame en devenir : en effet, il est étonnant de lire ce journal et
d’imaginer celui-ci écrit par la main d’une jeune femme d’à peine 15 ans !
Bref, d’une maturité étonnante, avec une sensibilité exacerbée et intelligente,
de bonnes manières, un bon jugement, nous sommes face à une peinture vivante de la vie quotidienne
d’une époque, marquant de ce fait les
caractères uniques des gens, l’âme des lieux, à l’intérieur d’un rythme
unissant une réalité complexe, répandant sa lumière rafraîchissante au grand
jour ! Bref, si vous ne connaissez pas encore Henriette Dessaulles, il est
temps, il est tard.
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