André Dorais
En ces temps de crise économique les politiciens se félicitent de ne pas avoir trop utilisé, à ce jour, le protectionnisme. Si l’on s’en tenait à sa définition populaire, soit de protéger l’«économie nationale» contre la «concurrence étrangère», on conclurait, en étant généreux, que le but est effectivement atteint. Bien que cette définition soit acceptée par la majorité des économistes, elle est imprécise et de courte vue. Elle laisse le champ libre aux politiciens de pratiquer un autre protectionnisme, non identifié comme tel, mais tout aussi nuisible à la création de richesse, si ce n’est davantage.
L’objectif réel du protectionnisme n’est pas de protéger l’«économie nationale» contre la «concurrence étrangère», mais de protéger quelques producteurs que les politiciens tentent de faire passer, aux yeux de la population, comme étant l’«économie nationale», ou à tout le moins, des membres importants de celle-ci. Les économistes dénoncent avec raison cette doctrine, car elle s’établit au détriment des consommateurs, soit de tout le monde.
Le protectionnisme attise la division. L‘étranger pour l’État ne l’est pas nécessairement pour les consommateurs. Pour eux, choisir entre un producteur local et un producteur étranger ne constitue qu’un facteur marginal dans leur prise de décision, car ils cherchent d’abord et avant tout à satisfaire leurs besoins. Il s’agit de choix égoïstes, certes, mais ces choix ne vont à l’encontre de personne, si ce n’est des producteurs avec qui ils n’ont pas choisi de transiger. Les choix de l’État ne sont pas moins égoïstes, mais ils s’établissent au détriment de tout le monde, à l’exception des producteurs qu’il favorise. C’est un monde de différence.
Considérant qu’une aide accordée à des producteurs pour se prémunir contre la concurrence d’autres producteurs locaux est aussi nuisible aux consommateurs qu’une aide accordée à des producteurs pour se prémunir contre la concurrence de producteurs étrangers, ne devrait-on pas qualifier ces deux politiques d'aussi protectionnistes l’une que l’autre? Les deux protègent des producteurs au détriment du reste de la population. L’essence de la critique du protectionnisme est-elle de dénoncer uniquement une réduction de la concurrence avec l’étranger ou de dénoncer une réduction de la concurrence en général? En dénonçant uniquement la réduction de la concurrence avec l’étranger, on laisse pratiquement le champ libre à l’État d’aider qui il veut, quand et comment il le veut.
On remarquera qu’on substitue facilement les verbes «aider» et «protéger», car lorsqu’on les définit de manière extensive, ils ont sensiblement la même signification. Lorsqu’un gouvernement aide des producteurs, entreprises ou individus, il les protège de la concurrence. À la manière d’un assureur, la protection (l’aide) offerte par l'État est payée par un nombre élevé de cotisants. À la différence d’un assureur, cependant, les cotisants n’ont pas le choix d’y souscrire. L’État parle plus volontiers de «protection» lorsqu’il veut attiser la division ou lorsqu’il est en mesure de se présenter comme un assureur indispensable : assurance parentale, médicaments, santé, emploi, etc. Il parle plus volontiers d’«aide» lorsqu’il se veut «solidaire». On ne doit pas se laisser berner, car l’aide de l’État s’établit toujours contre un individu, ou contre son gré.
Considérant que la majorité des économistes ait encouragé l’État à dépenser davantage pour résoudre la crise économique, on doit conclure qu’elle ne voie aucun inconvénient à la réduction de la «concurrence nationale», qui découle inévitablement de ce protectionnisme sans nom. Pour elle, seul le protectionnisme visant les étrangers réduit le niveau de vie des gens; l’aide aux différents agents économiques qui ne s’établit pas contre l’étranger est sans conséquence, du moins c’est qu’on peut déduire de ses positions.
Au contraire, le protectionnisme tel qu’on l’entend ne cherche pas seulement à protéger les producteurs des concurrents étrangers, mais de toute forme de concurrence. Il inclut les entreprises et les producteurs individuels sans égard à leurs concurrents. Si l’on sort du cadre de la production, on pourrait même qualifier de protectionniste tous les programmes sociaux puisqu’ils évitent aux gens de prendre leurs responsabilités, à tout le moins ils les réduisent, ils les «protègent» contre leurs responsabilités. Dans cette optique, et considérant l’aide sans précédent accordée aux chômeurs, manufacturiers automobiles, banques, assureurs, etc., on doit conclure que le protectionnisme a rarement été aussi populaire qu’aujourd’hui. Ce protectionnisme, qui n’ose pas s’afficher comme tel, est tout aussi dommageable aux échanges internationaux que la version officielle, car il appauvrit les contribuables et les consommateurs via un endettement croissant.
Si les gouvernements ne cessent pas de venir en aide aux uns et aux autres, ou bien les consommateurs verront leurs choix réduits, ou bien ils seront dans l’obligation de payer davantage pour obtenir les mêmes services. Tout le monde y perd à long terme, y compris ceux qui obtiennent les faveurs de l’État à court terme. Les consommateurs devraient être en mesure de choisir leurs partenaires d’échange économique de la même façon qu’ils choisissent leurs amis, soit sans aucune contrainte de l’État. Plus cette liberté économique est grande, plus les gens s’enrichissent.
Lorsque l’État impose ses choix, comme il le fait aujourd’hui à un rythme accéléré, la perte n’est pas seulement économique, mais elle est aussi sociale. L’État se présente comme le grand pacificateur, alors qu’il favorise des individus et des entreprises au détriment des autres. Non seulement crée-t-il une division entre «étrangers» et «citoyens», mais il en attise une autre entre les citoyens eux-mêmes. Les choix de l’État ne correspondront jamais aux choix de tous les consommateurs. Plus il impose les siens, plus les leurs sont réduits. L’État n’est pas conçu pour aider. Qu’on se le dise et qu’on le réduise.
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