(NDLR La lecture de La
démocratie des crédules permet de mieux comprendre l’influence démesurée
des groupes d’intérêt dans un Québec sans leadership politique.)
Le marché de la
contestation
Comment se fait-il que le programme du PQ ait proposé
d’abandonner la fluoration de l’eau ? Pourquoi la France a-t-elle interdit les
semences génétiquement modifiées ? Croyez-vous toujours que l’aspartame soit
nocif pour la santé ? Que le vaccin ROR représente un risque pour les enfants ?
Que la CIA et les Juifs ont détruit les tours jumelles pour diffamer les
islamistes ?
Ces questions, et celles que l’on peut se poser sur les
complots politiques, trouvent de fascinantes réponses dans La démocratie des
crédules, du sociologue Gérald Bronner.
La principale réponse est peut-être qu’à vouloir
démocratiser la démocratie et à réclamer la transparence on abandonne la scène
aux militants de tout acabit : « J’ai le droit de savoir, j’ai le droit de
dire, j’ai le droit de décider ! » Mais quand de nombreuses personnes discutent
d’un projet, y a-t-il plus de chances d’en arriver à une bonne décision qu’avec
un seul responsable ? C’est ce qu’avance la théorie de la « sagesse des
foules », qui serait plus grande que le savoir des experts. Selon les croisés
de la contestation systématique, « la science est une activité trop importante
pour être laissée aux seuls scientifiques ».
Le doute est toujours nécessaire, s’il est méthodique et
raisonnable, mais la majorité des acti-vistes se convainquent facilement d’en
savoir autant que les savants. De surcroît, il suffit de chercher dans la
pléthore d’informations à disposition pour trouver ce que l’on cherche, et
justifier ainsi un moratoire de plus.
L’outil propagateur par excellence des bobards et des
incertitudes pourrait être Google, dont les systèmes de référence proposent les
pages non pas par ordre d’importance ou de valeur scientifique, mais par ordre
de popularité. Le populisme a trouvé son haut-parleur, et les paranoïaques leur
potion magique. Vous souffrez d’une douleur intense ? Vous consultez d’abord
Internet et, d’un site à l’autre, vous vous persuadez que vous avez un malaise
cardiaque ou un cancer. En arrivant dans le cabinet du médecin, vous doutez
déjà de sa compétence. De toute façon, si vous cherchez un gourou pour le
remplacer, nombre d’hurlu-berlus s’affichent.
Et la crédulité peut être mortelle : Bronner raconte que 5
000 Haïtiens tués par le choléra, après le séisme de 2010, auraient pu être
sauvés si l’eau de Javel, mensongèrement accusée de causer le cancer, n’avait
pas eu auprès des autorités sanitaires « mauvaise réputation ». On a fini par y
recourir, mais trop tard. Notre esprit n’est pas que raisonnable ; les médias
nourrissent en nous une inquiétude obscure, et les journalistes, en situation
de concurrence, se laissent parfois entraîner à répandre des rumeurs. Gérald
Bronner suggère que les médiateurs, à l’occasion, retournent à l’école.
Aujourd’hui, certains lobbys soutiennent que le Québec compte un million
d’obèses et que sa population est à 50 % analphabète. Y a-t-il un journaliste
statisticien dans la salle pour nous aider à y voir clair ?
La démocratie est née de la connaissance. Il ne faudrait
pas, écrit Bronner, que le savoir des crédules la fasse déraper. Une société
avancée ne fonctionne que dans la confiance ; savants et politiques ne sont pas
par définition corrompus. Trop d’activistes, même bien intentionnés, ne font au
bout du compte que la démonstration nocive de leur crédulité.
La démocratie des crédules, par Gérald Bronner, PUF, 340 p.,
29,95 $.
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