L’année 2012 a été particulièrement déprimante :
corruption, immobilisme, corporatisme, mépris des institutions, dette record,
détérioration des services publics, etc. A-t-on atteint le fond du baril? Il
faut l’espérer.
Il y a des signes qui nous permettent de garder espoir.
Lorsque des gauchistes interventionnistes notoires comme Paul
St-Pierre-Plamondon, fondateur de Génération d’idées, Dominic Champagne, metteur
en scène et activiste environnemental, Pascale Navarro, journaliste et auteure,
Yvon Bolduc, président-directeur général du Fonds de solidarité, produisent des
textes dans lesquels apparaissent les mots concurrence, efficacité,
productivité, décentralisation, responsabilisation, etc., il est permis de
croire que quelque chose a changé.
Si les textes publiés dans Le Devoir les 3, 4 et 5 janvier
dernier, journal gauchiste par excellence, avaient été signés par Pierre
Duhamel, Claude Monmarquette, Lucien Bouchard, Nathalie Elgrably-Lévy et Joseph Facal, tous les gauchistes
que compte le Québec les auraient dénigrés en accusant les auteurs de trahir le
merveilleux modèle québécois qui a si bien servi les intérêts syndicalistes et
corporatistes depuis plus de cinquante ans.
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Le Devoir 3 janvier 2013
Dominic Champagne, Geneviève Dorval-Douville, Miriam Fahmy,
Pascale Navarro, Paul St-Pierre-Plamondon - Les auteurs reviennent d’une
mission d’exploration du modèle
Le Québec est à la croisée des chemins. Le climat de
méfiance à l’égard des pouvoirs publics et de l’économie nuit à l’espoir, à
l’optimisme. Il faut renverser la vapeur, mettre à jour nos connaissances sur
ce qui se fait de mieux dans le monde. Le modèle suédois nous a attirés parce
que, comme au Québec, il est bâti sur l’importance de la démocratie, de
l’intervention de l’État et de la redistribution de la richesse. Mais les
Suédois parviennent mieux que nous à réduire les inégalités et à redistribuer
la richesse, et leur économie, plus productive, contribue à mieux gérer la
dette publique. Comment font-ils ? Nous sommes allés voir.
Notre premier constat, qui tranche radicalement avec la
situation québécoise, est le suivant : les Suédois misent sur la confiance.
Confiance envers les institutions publiques, les entreprises privées, les gouvernements
et leurs concitoyens. Par exemple, en Suède, les contrats ne comportent pas un
nombre incalculable de clauses en petits caractères, mais se scellent plutôt
sur une poignée de main, après entente écrite ou verbale sur les points
importants. Une approche bien différente de ce qui prévaut en Amérique du Nord.
Cette confiance a son pendant : les Suédois ne tolèrent
aucunement la corruption. Toute tricherie est systématiquement et sévèrement
punie. Là-bas, lorsqu’une personne ou une organisation triche, détourne, abuse
d’une situation, on ne rétorque pas en disant que c’est « normal », au sens de
« tout le monde le fait ». Au contraire, si quelqu’un rompt le contrat social,
il sera sanctionné, et durement.
Mona Sahlin, aspirante à la fonction présidentielle, en a
fait l’expérience douloureuse lorsqu’elle a dû retirer sa candidature à la
suite de l’« affaire Toblerone », où il a été révélé qu’elle avait utilisé sa
carte bancaire professionnelle pour des petits achats privés, dont une tablette
de chocolat. Les Suédois ont compris qu’en sanctionnant toute forme de
corruption, ils contribuaient à la prospérité sociale et économique de leur
nation.
Cette confiance s’appuie également sur un levier de taille :
la grande transparence qui règne dans les affaires publiques. Par exemple, si
un citoyen demande à avoir accès à un document des finances publiques, il n’a
pas besoin de s’identifier ni de dire pourquoi il désire cet accès. Le document
doit être fourni dans un délai raisonnable. Idem avec les déclarations de
revenus des particuliers : celles-ci sont publiques et accessibles à tous, sur
demande !
Permis d’innover
Ce principe de « tolérance zéro » à la tricherie rend les
Suédois plus ouverts au changement : les gouvernements ont les coudées franches
pour innover. Tant les mesures environnementales avant-gardistes que les
expérimentations dans les modes de livraison des services de santé par le privé
sont rendues possibles par la confiance qui règne : les Suédois savent que
l’intérêt public est toujours dans la ligne de mire de leurs gouvernants,
qu’ils soient de droite ou de gauche.
C’est ainsi que des réformes comme celle sur les régimes de
retraite, évoquée récemment par l’Institut économique de Montréal, ont été
mises en place. Devant certains problèmes identifiés, loin de proposer
directement des solutions venues d’en haut, les Suédois ont amorcé une
réflexion collective mettant à profit, de façon transparente, tous les partis,
syndicats, institutions, entreprises et citoyens impliqués. Ils ont évalué
différentes options et ont choisi celle qu’ils trouvaient la mieux adaptée à
leur situation, dans une vision à long terme. Et ils ont fait un suivi par la
suite pour évaluer les impacts et apporter les adaptations nécessaires.
Dans un tel climat de transparence et de confiance, beaucoup
de choses sont possibles.
Est-ce que de telles réformes de la fonction publique ou des
régimes de retraite seraient souhaitables pour le Québec ? Seule une réflexion
en profondeur, impliquant toutes les parties prenantes, permettrait de le
savoir. Il est toutefois essentiel de rappeler que plus de 70 % des
travailleurs sont syndiqués en Suède, ce qui rend l’introduction de la
concurrence ou de changements budgétaires moins périlleux pour la classe
moyenne. De plus, la Suède misant sur une taxe de vente et des paliers
d’imposition sur le revenu beaucoup plus élevés qu’au Québec, elle est en
mesure de garantir à ses citoyens un filet social propre à maintenir la
confiance même lors de décisions budgétaires ou économiques difficiles.
Les pressions de la
mondialisation
Comme tous les autres États-providence, l’État suédois est
soumis aux pressions de la mondialisation et du néolibéralisme. Mais la Suède
se distingue en deux points :
contrairement à d’autres pays, elle n’a pas rejeté le
vocabulaire social-démocrate, dont les mots-clés sont encore bien présents dans
le discours ambiant : protection sociale, égalité, sécurité, bien-être. Parce
que le champ lexical de la solidarité persiste dans le discours, la réalité
qu’il représente continue d’être non seulement souhaitable, mais possible aux
yeux des Suédois ;
tandis que l’Amérique du Nord et beaucoup de pays de
l’Europe continentale allèguent l’impossibilité de maintenir en place une forte
protection sociale en raison de son coût élevé, la Suède cherche des
nouveaux moyens d’atteindre l’égalité. L’égalité continue d’être la cible, ce
sont les moyens qui changent.
Pour les Suédois, l’univers des possibles n’a donc pas
rétréci. Ils n’ont pas réduit leur vision du monde à deux propositions
antinomiques : prospérité ou égalité. Ils ont continué de croire dans la
possibilité d’un État-providence qui conjugue les deux, et ont choisi d’adapter
les moyens d’y parvenir.
La droite ou la gauche québécoises seraient-elles disposées
à envisager des nouvelles façons d’atteindre l’égalité et la prospérité ? Pour
le moment, rien ne le laisse présager. La disposition à innover, à prendre des
risques, se nourrit de la confiance et de la transparence. Au Québec, la
méfiance (justifiée ou non) à l’égard des pouvoirs publics, privés et
associatifs a engendré une rigidité dans la pensée qui empêche la recherche de
solutions consensuelles et innovantes. La confiance, et la flexibilité
cognitive qui l’accompagne, sont à édifier d’urgence pour relever les défis
actuels et futurs du Québec !
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