Par Louise V Labrecque
C’est l’histoire d’une petite bijouterie
de quartier. Le spectacle quotidien des commerçants, celui des gens de la
rue. J’écris cet article par solidarité
à tous les artistes, qui travaillent durement, et souvent sans reconnaissance
digne de ce nom. Le printemps est revenu
sur Saint-Denis. Une rue pas comme les
autres. Nous sommes à Montréal. Le
parfum des lilas n’a pas encore envahi la ville. Mais ça s’en vient…
Il y a tout d’abord cette femme,
propriétaire de la bijouterie, en qui se retrouvent toutes les femmes. C’est
avant tout une sentimentale, une artiste, on l’imagine d’abord intellectuelle à
Paris (peut-être l’a-t’elle été); puis, il y a autre chose, il y a plus :
tous ces bijoux, là, partout, flamboyants, immenses, épousant tout l’espace. En
effet, pénétrer à l’intérieur de chez OZ Bijoux, c’est presque du bovarysme. On
transperce l’indifférence générale pour imaginer le vrai mystère de la femme
au-travers ces pièces multi facettes, uniques au monde. Difficile de ne pas
céder, un tant soit peu, à l’attirance des métaux, sculptés d’or rose, blanc,
jaune, avec des perles (beaucoup de perles), et de pierres précieuses. C’est un
peu comme un spectacle : Goethe parlait de l’enfant, qui y est comme la
femme, lorsque celle-ci cède aux voix secrètes, notamment à l’appel de cette
voix inaudible à tous, sauf à elle-même. En effet, à l’intérieur de chaque être humain existe une
région obscure, faite de rêves et de besoins inassouvis, parce
qu’inassouvissables. De cette manière,
dans sa vision absolutiste, Goethe a révélé qu’ainsi, la femme, livrée à
elle-même, ne peut satisfaire ses élans que dans la mort. L’enfant, comme la
femme, entends cette voix : celle de la mort. Son père, fendant l’air sur
son cheval, et emporté par les mouvements de sa propre vie, n’entends
rien. C’est le thème du Roi des aulnes, célèbre classique de
Goethe, et dont les bijoux de chez OZ n’échappent pas, tant ceux-ci sont
exceptionnels, fantastiques, étonnants, ciselés comme à l’extrême limite de
toutes les limites; à la fois simples et complexes, reflets de « la vie
multiforme, absurde et passionnante », pour reprendre les mots du poète. En
somme, impossible d’y demeurer indifférents, vous aussi serez happés par ces
passionnantes collections. Vous aussi, aurez envie de toucher, de cerner comme
un cœur, ce diamant extraordinaire. Somme toute, tout cela est assez
évanescent, et bien que je n’y sois pas allée depuis des jours, j’y pense
souvent, et surtout à ce qui anime l’artiste, tandis qu’il crée ses œuvres, ce
qui se passe lorsque lui-même devient le prolongement de l’objet; sent-il alors
un grand bonheur l’envahir ? Comment lui vient l’inspiration : un souffle
venu de l’intérieur ? Vous serez nombreux également à vous poser ces questions,
car tant de médiocrité effraie dans ce monde que devant la beauté, la vraie
beauté, nous sommes consternés, nous cherchons à comprendre d’où cela vient
exactement; nous ne voulons pas que la réalité nous échappe. Ainsi, l’art
précise les contours de nos actions, se heurte aux questionnements de la vie,
et finalement souffre à notre place.
D’une certaine manière, voilà tout le travail de l’artiste :
susciter l’imagination, sauver l’Homme de la médiocrité, et recréer symboliquement
la femme d’aujourd’hui, à travers toutes celles d’hier, et celles qui hantent,
à jamais, les pages de nos romans, de nos souvenirs, de nos rendez-vous manqués,
et portent en cela nos plus grandes espérances, pour un monde meilleur.
Les fées parlent
Mais il y a autre chose : la fidélité
de la clientèle de OZ Bijoux, qui ne se dément pas, et cela depuis plus de 25
ans. Avant tout, elle se compose de
femmes, d’artistes, de futurs mariés, de poètes, des collectionneurs. Puis,
elle se décline en gens de la rue, des passants, qui ne cessent de témoigner son
appréciation au sujet des œuvres, toutes plus belles les unes que les autres ! En effet, difficile de résister, de choisir, …
« mon mari, ça fait quatre fois que je l’épouse », raconte une cliente verbo-motrice, un
tantinet excentrique, trop heureuse de recevoir chaque fois la bague de ses
rêves. « Ça vous paraît comique ?
Vous ne me croyez pas ? », ajoute- t’elle, avant d’exhiber ses mains remplies des bagues
glorieuses. On ne peut s’empêcher de la regarder droit dans les yeux. À quoi bon demander pourquoi … Explique- t’on
la magie ! De plus, ces rencontres ont
lieu à l’occasion de lancements, de vernissages, organisés directement dans
l’atelier de la bijouterie, afin de partager des anecdotes savoureuses, des
impressions, et des commentaires sur les toutes dernières créations. Ainsi, il vient des gens de partout; outre les
journalistes, il y a beaucoup d’amis, de parents, des inconditionnels. C’est
également l’occasion, pour ceux aimant les bijoux OZ, de faire connaissance, de fraterniser, de
se retrouver; ce n’est pas un univers entièrement féminin, c’est avant tout un
lieu de passage, un refuge urbain de beauté pour tous les gens aimant les œuvres
d’art. Ainsi, toutes sortes de milieux
différents se retrouvent liés, en parallèle ; de cette manière, une place concrète
à l’art urbain s’invente, également de par une sorte de tendresse dans les
échanges, parce que tous ceux et celles possédant un bijou OZ a une petite
histoire personnelle à raconter, et fait ainsi partie de la famille. Oui, cela est nécessaire, parce que tout
change; la ville n’est plus la même. Par exemple, face à la porte d’entrée de
la bijouterie, et cela depuis presque deux ans, tous les samedis après-midi, -beau
temps mauvais temps-, il y a des manifestants qui font le pied de grue sur le
trottoir. Et cela, parce qu’à la boutique d’à côté, on vend des chaussures fabriquée
en Israël. Oui, oui, on parle d’apartheid, en 2012, en pleine rue St-Denis, et
cela au meilleur moment de la semaine pour les commerçants montréalais. On
pourrait en rire, bien sûr, si au moins c’était drôle. Or, ce n’est pas une scène de théâtre de rue,
ou un mauvais vaudeville. Les PAJUS (Palestiniens et Juifs Unis) parlent même du
projet, à plus long terme, d’épurer la
rue St-Denis, de tous produits de marque israélienne, allant jusqu’à déborder
devant sa devanture, qui est située, comme pour faire exprès, dans un demi sous-sol.
Ainsi, plus personne, ou presque,
n’entre maintenant dans la bijouterie, notamment les samedis, entre 13heures et
15heures. Allez-y faire un tour, et vous comprendrez bien le sentiment
d’oppression : il arrive de se sentir comme un animal coincé, explique la
propriétaire, lasse de toute cette histoire. Ce n’est pas en vain qu’au plus
fort de la tempête, elle a senti le découragement, puis la colère monter, avec sa
petite équipe constituée de créateurs allumés travaillant à l’atelier:
« c’est ma plus belle clientèle que je perds, tous les samedis après-midis, à
cause d’eux », résume t’elle. En
effet, ces jours-là, se sont les promenades des couples, ceux qui font les
boutiques, les amants main dans la main, ceux qui ont tout leur temps, ceux qui vont se marier, et viennent la voir
pour choisir un bijou très spécial. Bref,
à voir sa mine déconfite, on aurait envie de la prendre dans ses bras et
l’embrasser !
Pourquoi je vous écris tout cela ? Parce
que OZ Bijoux est un joyau de nos
quartiers. C’est plus qu’une simple
bijouterie, c’est un lieu unique en son genre à Montréal. Ce doux commerce
ressemble au bonheur. C’est un espace nécessaire à notre œuvre urbaine, à
toutes et à tous, un lieu culturel riche de beauté, de personnalité, d’art, de
simplicité, dans un dosage subtil de pudeur et de témérité : la boutique
se divise en deux, avec l’atelier tout au fond, ce qui invite aux conseils et
aux confidences. En effet, choisir un bijou relève de l’intime; c’est une voix
singulière, en même temps que porteuse d’un morceau d’universel. Bref, ce qui se passe actuellement sur la rue
St-Denis, à Montréal, est plus qu’une tentative d’énervement, mais bel et bien
une aliénation de la liberté, de la dignité, et de la liberté de commerce. Le
désir également de dire que les humains, en général, rêvent mal la vie et qu’il
arrive trop souvent que chacun soit attrapé par les mêmes leurres; en somme,
c’est un bonheur, un tout petit bonheur dont je vous parle, mais voyez ce qui
arrive lorsque chacun, chacune, avec le cœur, l’esprit et la lucidité – ce qui
n’exclut pas d’être traversés par le doute- ne résistent pas devant l’orgueil du
pouvoir, de ces arrivistes prêts à tout, même s’il faille pour cela nuire à la
liberté de commerce de toute une rue, définition indirecte de la saga actuelle.
Pourtant, le printemps revient, et les lilas refleurissent toujours. La vie est
plus forte : tout le monde sait de quoi je parle. Le poids de la beauté,
c’est surtout cela qu’il ne faut pas oublier, investit tout. Je ne parle pas de
militantisme, ni de politique. J’adore les artistes : ce sont des gens
merveilleux ! Allez visiter ceux de chez OZ Bijoux, c’est un devoir citoyen, assurément,
mais également l’histoire d’une révolte. Ne soyez pas surpris d’y voir la
transcription de la femme, échappée, comme pour nous montrer des brèches, pour
mieux nous faire pénétrer son univers, véritable archéologie des métaux. En
effet, le discours chez OZ Bijoux est
intraduisible pour l’œil ordinaire. Au bout du travail des fouilles, il y a
toujours l’imaginaire, qui aura enfin le droit de passage. Ainsi, OZ, on l’épelle,
on l’explique par ses richesses étalées, fascinantes, ardentes, romantiques, inoubliables.
Vous aussi serez conquis, conquises, éternellement.
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