André Dorais
Du point de vue individuel la solidarité est une obligation morale de porter assistance à autrui. Du point de vue politique, cependant, la solidarité constitue une obligation légale d’assistance. Ces définitions renvoient à un même objectif, mais à des moyens différents d’y parvenir. La première fait appel à la liberté de conscience, tandis que la seconde exige la contrainte de l’État.
La plupart des gens ne remettent pas en question cette double définition de la solidarité, soit parce qu’ils n’y portent pas attention, soit parce qu’ils n’y voient pas de contradiction. Ils encouragent la solidarité volontaire, mais préconisent également la solidarité obligatoire, car ils considèrent la première insuffisante. En d’autres mots, ils jugent que l’État doit pallier au manque de moralité de la population en général.
Prétendre que la population en général manque de moralité sous-entend que la moralité de ceux qui portent ce jugement est supérieure. C’est non seulement prétentieux, mais contradictoire. En effet, on ne peut pas utiliser la contrainte ou en préconiser l’usage pour arriver à ses fins et prétendre à la moralité en même temps. L’usage de la contrainte, de la force coercitive, à d’autres fins que la légitime défense ne peut d’aucune manière être considérée morale.
Il en est ainsi car la morale ne se trouve pas dans les fins elles-mêmes, mais dans les moyens utilisés pour y arriver. Lorsqu’un individu en dérobe un autre pour donner le produit de ce vol à une tierce personne, on peut qualifier l’aide apportée à celle-ci de solidarité, mais on ne saurait la qualifier de morale puisqu’elle est fondée sur le vol. Il en va de même du point de vue collectif. Lorsque l’État soutire à un individu le produit de son travail pour le donner à un autre individu, il peut toujours qualifier son action de solidarité, mais celle-ci ne demeure pas moins fondée sur la coercition.
Plusieurs individus refusent cette analogie, car, disent-ils, ce que fait l’État est légal et, de plus, en démocratie celui-ci a l’appui du peuple. Or, que l’État soit dictatorial ou démocratique, il ne taxe pas moins les individus sans leur accord explicite. Avoir l’appui d’un «grand nombre» d’individus pour justifier l’imposition de certaines gens ne change pas la nature coercitive de l’impôt et de la taxation. Crier que les services gouvernementaux doivent être payés ne la change pas davantage. Cela démontre plutôt son désarroi quant aux autres possibilités d’offrir ces services. Devant ce constat, et dans le but de réduire les prétextes pour imposer et taxer les contribuables, ne devrait-on pas limiter la définition de la solidarité aux actions volontaires?
Une «solidarité coercitive» ne constitue-t-elle pas une contradiction dans les termes? Une façon d’endormir la population? De la tromper? N’est-ce pas le propre du politique de tromper les gens? En utilisant les expressions qui relèvent de l’éthique, ou de la morale, la politique cherche à détourner l’attention de sa vraie nature. Celle-ci est entièrement basée sur la coercition, mais elle cherche constamment à cacher cette réalité. La politique est une perversion de l’éthique et non un champ différent d’elle.
De la justification pseudo éthique à la justification pseudo scientifique
Lorsque le discours éthique de l’État est critiqué, celui-ci s’en remet à un discours plus «scientifique», à tout le moins plus calculateur. L’État évoque constamment la rentabilité d’effectuer tel ou tel projet. Dans la ville de Québec, par exemple, on évoque la possibilité d’investir des fonds publics dans la construction d’un amphithéâtre sportif ayant la capacité de loger une équipe professionnelle de hockey. Il ne manque jamais d'experts pour dire que les impôts à prélever, des revenus engendrés par ces projets, permettront aux gouvernements de récupérer leur investissement sur une période donnée.
Que ces prédictions s’avèrent exactes ou non on ne devrait jamais effectuer ces investissements, car ils n’ont pas l’accord de chaque individu concerné. Dès lors que les politiciens obtiennent quelques appuis auprès de la population, ils cherchent à les traduire comme étant ceux de la majorité ou ceux d’un grand nombre d’individus. En complément à ces arguments ils invoquent la rentabilité de leurs projets. Ils les mettent de l’avant en taxant et en imposant des individus et des entreprises mal aimés. Ce processus est démocratique, mais il manque de rigueur, pour ne pas dire qu’il est hypocrite.
La priorité des politiciens n’est pas nécessairement celle des individus. Ce qui est rentable pour l’un ne l’est pas nécessairement pour l’autre. Les politiciens ont beau évoquer des retombées économiques et réduire l’importance des prélèvements à effectuer auprès des contribuables pour mieux vendre leurs projets, il ne demeure pas moins vrai que les quelques dollars en moins dans les poches d’un individu peuvent faire toute la différence dans la mise de l’avant de ses projets à lui. Pour cet individu, comme pour des milliers d’autres, les choix des politiciens ne se trouvent même pas sur sa liste de priorités et, en ce sens, ils ne sont pas rentables du tout.
Les priorités de chacun ne peuvent pas s’établir de manière démocratique. Au mieux ce processus les dilue et plus souvent qu’autrement il ne peut même pas en tenir compte tellement elles diffèrent d’un individu à l’autre. Plus les politiciens, et les groupes de pression qui tentent de les influencer, imposent leurs choix, moins il reste de ressources aux gens pour mettre en branle leurs projets personnels. En d’autres mots, la liberté individuelle écope. Parler de «rentabilité collective» ne s’avère donc qu’une autre façon d’endormir la population en substituant les choix des politiciens à ceux des individus qu’ils prétendent représenter.
Cela vaut pour tous les investissements gouvernementaux et non seulement pour la construction d’amphithéâtre sportif. La santé, par exemple, est importante de manière générale, mais pour la plupart des jeunes de 20 ans il n’y a pas lieu d’investir trop d’argent dans ce domaine, car à cet âge on a d’autres priorités. Pour le gouvernement, cependant, la santé est une priorité de sorte qu’il taxe et impose tout le monde sans égard aux priorités de chacun. Tout le monde pareil, solidarité oblige!
Si l’on cherche à combler les besoins de chacun on doit promptement laisser tomber l’idée d’établir, par la contrainte, des priorités collectives. Plus on tentera d’établir celles-ci de cette façon, plus on s’éloignera de ceux-là. Dans le but de tirer avantage d’un regroupement individuel quelconque on doit s’assurer qu’il soit établi volontairement. La rentabilité n’est pas d’abord une question de chiffre, mais une question de priorité individuelle. De même, la solidarité, en tant que précepte moral, relève des moyens à prendre pour aider son prochain, par conséquent de la liberté de conscience nécessairement individuelle. Seule cette définition de la solidarité s’établit au détriment de personne.
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