La responsabilisation des individus est un thème cher à magazine nagg. Le Québec croule sous une quantité inimaginable de lois et de règlements et pourtant cela n’a pas empêché la corruption dans l’industrie de la construction, les magouilles de Vincent Lacroix et d’Earl Jones, ni les abus de certains employés de CHSLD.
Les comportements irresponsables des individus sont à l’origine de la plupart des problèmes de la vie en société. Que ce soit dans le domaine public ou privé, on peut toujours retracer la source d’un problème à un ou des individus plus ou moins honnêtes, à la morale élastique, qui abusent de leur position de pouvoir à des fins personnelles.
Afin de limiter les abus, la société édicte des lois et règlements. Trop souvent ceux-ci sont le résultat de compromis pour amadouer les groupes d’intérêt. Le résultat : ils protègent indûment les individus irresponsables, voire sciemment malhonnêtes.
À ce sujet, le texte de Patrick Madrolle ici-bas est particulièrement éclairant. Il préconise que le concept de responsabilité limitée des entreprises est une invitation à la prise de risques inconsidérés de la part des dirigeants et actionnaires de ces entreprises.
Si le concept de responsabilité limitée des entreprises n’existait pas, il est probable que nous aurions évité les crises financières de 2 000 et de 2 007. Les dirigeants et les actionnaires des entreprises à l’origine de ces crises (entreprises technologiques en 2 000 et les banques en 2 007) auraient réfléchi deux fois plutôt qu’une avant de prendre des risques inconsidérés qui dégénérèrent en crises majeures.
Il est possible de trouver des parallèles à ce phénomène dans toutes les sphères de la vie en société.
Si les lois et règlements étaient conçus dans le but de responsabiliser les individus, le volume de lois et de règlements requis serait grandement réduit. De plus, les comportements douteux ou carrément frauduleux de certains individus seraient aussi grandement diminués, car les bénéfices anticipés d’une fraude seraient toujours moindres que leurs conséquences négatives.
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Responsabilisation contre réglementation financières : allons jusqu’au bout !
Patrick Madrolle - Le 31 octobre 2011. Et si outre la politique monétaire, outre la fiscalité des valeurs mobilières, un autre facteur d’irresponsabilité massive au sein du système bancaire prospérait sous nos yeux ? Si ce facteur d’irresponsabilité était la société anonyme, ou plus généralement la responsabilité limitée ? Créée en France en 1807, appliquée à la banque pour la première fois en 1852 au Crédit foncier de France. Si elle était, à y regarder de près, absolument contraire aux principes les plus élémentaires du capitalisme ? Si enfin pour les grandes sociétés, elle était remplaçable par une forme comparable à la responsabilité illimitée, ne serait-il pas absolument nécessaire de la remettre en cause ?
La responsabilité limitée est actuellement une propriété de la forme juridique d’une société. Si elle était une clause contractuelle, elle ne serait pas opposable dans le cas d’accident graves, dans l’industrie par exemple, à des victimes non contractantes, en vue de ne pas les indemniser. Elle est en fait la cause première de nombreuses réglementations sensées se substituer à des clauses contractuelles de répartition du risque et de l’incertitude. Réglementations sans lesquelles la responsabilité limitée ne pourrait exister tant il est contraire au sens commun de contracter avec un tiers qui pourrait, sans sanction, rompre unilatéralement, par liquidation, la totalité de ses engagements sans encourir la moindre sanction pénale, donc réglementaire.
Il est utile de rappeler que responsabilité et sanction pénale n’ont rien à voir. La première consiste à dédommager les victimes de nos actes, la seconde punit un comportement jugé déviant selon une règle établie a priori. Il est important de noter que dans un monde d’incertitude et d’ingéniosité, le législateur ne sera jamais en mesure d’établir une liste exhaustive des infractions futures possibles et cela bien qu’il y passe un temps considérable se traduisant par des dizaines de milliers de pages de réglementations sans cesse renouvelées, à l’échelle nationale ou internationale. Est-ce seulement souhaitable …
L’effet principal de la responsabilité limitée est un biais majeur en faveur des arbitrages à risques élevés. Chaque risque pris implique un gain ou une perte, mais dans ce cas, si les bénéfices sont pleinement reçus, seules les pertes mineures, inférieures aux apports sont subies par l’entrepreneur. Le résultat secondaire est une incitation des marchés à ne pas prendre ces risques en compte dans l’évaluation des titres, et pour les actionnaires, dans le choix des dirigeants et des statuts.
Pire, en matière bancaire, elle permet une création monétaire bien supérieure à la quantité de monnaie de base disponible, qu’elle soit métallique ou de banque centrale. Monnaie créée dans une proportion étroitement liée à la confiance des déposants, donc très variable dans le temps, et non bornée par un quelconque capital existant.
Condamner la responsabilité limitée pour ses défauts n’est pas suffisant, elle a une qualité certaine : attirer les petits détenteurs de capitaux en vue de constituer les entreprises de taille nécessaire à des investissements lourds. Il faut donc, pour que la critique ne soit pas vaine proposer un substitut viable à la société anonyme, capable d’assurer la responsabilité illimitée sans sacrifier cet atout. J’entends par responsabilité illimitée une forme de société pour laquelle les statuts prévoient, qui des dirigeants et des actionnaires, et dans quelle proportion, se répartiront la dette restante en cas de liquidation.
Un exemple traditionnel, ayant largement fait ses preuves est la société en commandite par actions, pour laquelle il est établi de par la loi, que seul les commandités, généralement pleinement détenteurs des pouvoirs de direction (de l’usus, de la garde), sont responsables de la totalité des dettes sur leurs biens propres. Ce cas particulier à néanmoins un défaut. Les commandités doivent avoir les épaules financières assez larges pour faire face aux dettes de la société en étant raisonnablement sur de ne pas y laisser leur dernière chemise. Pour la banque dont par définition le passif est cousu de dettes et l’actif de créances à long terme, la commandite conduit à limiter fortement la taille de ces établissements.
Admettons conformément à nos valeurs que tout propriétaire est responsable de ses biens, de ceux dont il a la garde. Puisque les actionnaires sont propriétaires de la société, on doit donc considérer qu’ils l’ont par défaut. S’ils transfèrent la garde à un autre, désigné comme dirigeant, on se retrouve dans la situation de la commandite. Mais qu’est ce qui empêche, à part la loi, dirigeants et actionnaires, de se répartir cette responsabilité illimitée d’une manière moins manichéenne, afin que les seconds, par leur grand nombre, permettent au premier de ne pas avoir à « garantir » sur ses biens personnels toute la dette d’un établissement bien trop grand pour son patrimoine ?
Disons pour illustrer qu’il soit voté que les 50 actionnaires d’une Banque acceptent de garantir sur leurs biens propres, jusqu'à 1000€ de dette. Le dirigeant ne serait alors lui-même garant que des dettes dépassant 50 000€. C’est une modalité parmi d’autres à valider en assemblée générale.
Pour qu’une telle solution fonctionne bien, il faut encore trois conditions. Premièrement, que la répartition de la dette entre les actionnaires se fasse en proportion de leurs droits de votes, afin qu’une cotation des titres reflète cette information. Secondement, qu’un certain nombre d’actionnaires (ou toute autre groupe de personnes prévu dans les statuts) puisse avoir un droit d’initiative en assemblée générale. Troisièmement, que les actionnaires ou dirigeants sous forme de personnes morales à responsabilité limitée payent jusqu'à liquidation et en cascade. Que, au delà, leurs dirigeants assument la responsabilité personnelle de ces dettes. A chaque dirigeant d’avoir la politique contractuelle et managériale appropriée pour réduire ces risques.
Patrick Madrolle est analyste à l'Institut Turgot.
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