Par Peter Jacobsen.
Ces derniers mois, j’ai lu Le monde de Narnia avec mes filles qui a fait du moment du coucher une joie que j’attendais avec impatience, tout comme elles.
Il est intéressant de noter que tout au long de la série j’ai remarqué que l’auteur, C.S. Lewis, a glissé une bonne dose de commentaires politiques dont la plupart sont anti-gouvernement.
Lewis est avant tout connu en tant que théologien et Narnia est avant tout une allégorie sur la relation entre Jésus et ses disciples. Mais Lewis a également écrit sur la politique, en particulier la pensée chrétienne, notamment dans The Abolition of Man.
J’ai dressé une liste de huit des meilleurs commentaires politiques que j’ai découverts en relisant les Chroniques de Narnia. Certains mettent en évidence le côté sombre du gouvernement ; d’autres mettent en lumière ce à quoi ressemblerait un meilleur gouvernement. Et bien sûr, il y a quelques coups de gueule contre les politiciens.
Je mets en garde les lecteurs sur la présence de quelques spoilers. J’ai essayé de les limiter au maximum mais un certain contexte est nécessaire pour que chaque commentaire ait un sens. Donc si vous voulez lire la série (que je recommande vivement) sans les spoilers, passez votre chemin dès maintenant.
Pour vous situer le contexte de base : les histoires racontent les voyages et les aventures de divers enfants issus de notre monde qui voyagent dans le pays magique de Narnia.
1. Un gouvernement bien fait
À la fin du premier tome, The Lion, the Witch, and the Wardrobe, nous avons un aperçu du règne bienveillant des quatre enfants (Peter, Susan, Edmund et Lucy) en tant que rois et reines de Narnia. Appréciez vous-même.
Ils firent de bonnes lois et maintinrent la paix, évitèrent que les bons arbres soient inutilement abattus, libérèrent les jeunes nains et les jeunes satyres de l’école, et d’une manière générale, mirent fin à l’agitation et à l’ingérence et encouragèrent les gens ordinaires qui voulaient vivre et laisser vivre. Et ils repoussèrent les féroces géants […] au nord de Narnia lorsque ceux-ci s’aventurèrent au-delà de la frontière. Et ils ont noué des amitiés et des alliances avec des pays au-delà de la mer.
C’est un gouvernement si bienveillant qu’il ne pourrait être qu’utopique. La paix est au centre du règne. Le conflit n’existe que pour se défendre.
Le respect de la nature est coutumier chez Lewis, mais les lecteurs doivent faire attention à ne pas prendre un message écologiste radical avec le discours sur la protection des arbres, car les bons arbres de Narnia sont des êtres sensibles.
Lewis est un fidèle critique de l’école traditionnelle et de son effet abrutissant sur les enfants. Aussi le passage sur la libération des jeunes est-il à la fois drôle et rafraîchissant. Enfin, le penchant contre les fouineurs et les perturbateurs met en lumière une source essentielle de mauvaise politique.
2. Le côté obscur de la bureaucratie et de la technocratie
Dans le troisième tome, The Voyage of the Dawn Treader, le roi Caspian de Narnia revient sur l’une des îles de Narnia après une longue absence. Il y trouve des strates de bureaucratie paperassière qui perpétuent le mal.
À l’arrivée de Caspian sur l’île, le « gouverneur » tente de le dissuader : « pas d’entretiens sans rendez-vous, sauf à neuf et dix heures les deuxièmes samedis ». Le mépris de Lewis pour les blocages arbitraires dégouline de la page.
Mais Caspian n’en tient pas compte et va droit au but. Le gouverneur soutient le commerce des esclaves contre les anciennes coutumes de Narnia. Quand on lui demande pourquoi, il répond que c’est une nécessité économique inévitable.
Le jeune âge de votre majesté ne lui permet guère de comprendre le problème économique en cause. J’ai des statistiques, des graphiques, j’ai…
Caspian ne se soucie pas des statistiques ou des graphiques et proposer la création d’une commission d’enquête ne l’intéresse pas. Lorsque le gouverneur Gumpas déclare qu’il ne peut pas prendre part à cet affront au « progrès et au développement », Caspian le renvoie sur le champ.
3. Les pires sont au sommet
Le quatrième tome de Narnia, The Silver Chair, se conclut par la meilleure blague de la série. Mes filles ne comprenaient pas pourquoi je riais autant.
Dans le livre, nos personnages principaux affrontent les brutes de l’école dans notre monde, accompagnés par le créateur de Narnia (un lion nommé Aslan). Le directeur de l’école (le chef) qui permet aux brutes d’agir, entre en scène, voit Aslan et appelle la police. Appréciez ce qui se passe par la suite.
Lorsque la police est arrivée et n’a pas trouvé de lion […] et que le directeur se comportait de faon étrange, une enquête a été ouverte sur toute l’affaire. Elle a révélé toutes sortes de choses sur [l’école] et une dizaine de personnes ont été expulsées. Après cela, les amis du directeur ayant réalisé son inutilité à poste, ils l’ont fait nommer inspecteur afin qu’il intervienne auprès des autres directeurs. Et quand ils ont constaté qu’il n’était pas non plus très bon même à ce poste, ils l’ont fait entrer au Parlement où il a vécu heurex pour toujours.
Comme beaucoup de politiciens le directeur a gravi les échelons.
4. Le désir de régner est le tueur de monde
Dans le sixième tome, une préquelle intitulée The Magician’s Nephew, les personnages Digory et Polly explorent de nombreux mondes différents. L’un de ceux qu’ils explorent, Charn, a connu un sort funeste. Toute vie y a été détruite sauf celle d’une reine endormie prénommée Jadis. Une fois réveillée, elle explique ce qui s’est passé.
Jadis a découvert un mot magique qui, une fois prononcé, extermine toute vie sur la planète sauf la sienne. Alors que sa sœur était sur le point de la renverser, Jadis a prononcé ce mot et a exterminé toute vie afin de conserver son pouvoir.
Digory et Polly sont horrifiés et demandent comment elle a pu faire cela à tous ces innocents, ces personnes ordinaires. La reine Jadis a une réponse éloquente :
J’étais la reine. Ils étaient mon peuple. Ils n’étaient là que pour accomplir ma volonté. J’avais oublié que tu n’étais qu’un garçon ordinaire. Comment pourrais-tu comprendre les raisons de l’État ? Tu dois apprendre, mon enfant, que ce qui serait mal pour toi ou pour n’importe quel peuple n’est pas mal pour une grande reine comme moi. Le poids du monde est sur nos épaules. Nous devons être libérés de toutes les règles. Notre destin est grand et solitaire.
Cet état d’esprit maléfique n’est pas limité à Charn. Aslan prévient Digory et Polly plus tard dans le livre :
Il n’est pas certain que quelque méchant de votre race ne découvre pas un secret aussi maléfique que le mot déplorable et ne l’utilise pas pour détruire tous les êtres vivants. Et bientôt, très bientôt, avant que vous ne soyez un vieil homme et une vieille femme, de grandes nations de votre monde seront dirigées par des tyrans qui ne se soucieront pas plus de la joie, de la justice et de la miséricorde que l’impératrice Jadis.
The Magician’s Nephewa été publié en 1955 et se déroule au début du XXe siècle. Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit d’une mise en garde contre les régimes maléfiques de l’Allemagne nazie et de la Russie soviétique et la menace d’une guerre nucléaire qui éradiquerait le monde. Lewis, un vétéran britannique de la Première Guerre mondiale, semble particulièrement conscient de la menace existentielle que représente la guerre pour l’humanité.
5. L’incitation d’un gouvernement tyrannique à effacer l’histoire
Dans Prince Caspian, des envahisseurs règnent sur Narnia. Le roi Miraz est un usurpateur déterminé à préserver le trône du véritable héritier, le jeune Caspian. Le seul ami de ce dernier semble être sa nourrice, qui lui raconte des histoires de l’ancien Narnia. Un jour, Caspian commet l’erreur de confier à Miraz qu’il aimerait vivre dans l’ancien Narnia, en compagnie d’animaux qui parlent, d’Aslan et des anciens souverains de Narnia.
Miraz lui répond :
« Que je ne vous surprenne plus jamais à parler – ou à penser – à toutes ces histoires idiotes. Ces rois et ces reines n’ont jamais existé. Comment pourrait-il y avoir deux Rois et Reines en même temps ? Et il n’y a pas de personne telle qu’Aslan. Et les lions n’existent pas et à aucun moment les animaux ont pu parler. Vous entendez ? »
Lorsque Miraz découvre que l’infirmière a enseigné à Caspian la véritable histoire de Narnia, elle disparaît.
6. Le portrait d’un vrai chef
Plus loin dans le livre, Lewis nous donne une autre image de ce à quoi ressemblerait un meilleur gouvernement. En un mot, il est caractérisé par l’humilité. Aslan demande à Caspian s’il se sent capable d’être roi. Caspian répond : « Je ne pense pas, Monsieur. Je ne suis qu’un enfant. » Ce à quoi Aslan répond : « Bien. Si tu t’étais senti capable, ça aurait été la preuve que tu ne l’étais pas. »
Notre monde serait bien meilleur si nos dirigeants se croyaient incompétents. Un ami proche de Lewis, J.R.R. Tolkien, a partagé cette pensée en disant que le travail le plus inapproprié de tout homme, y compris un saint (qui de toute façon n’était pas disposé à l’assumer), est de diriger d’autres hommes. Pas un sur un million n’est fait pour cela et encore moins ceux qui en cherchent l’opportunité.
7. Comment les tyrans manipulent le langage
Dans le dernier tome, The Last Battle, Narnia est à nouveau confronté à des envahisseurs, cette fois-ci aidés par des quislings. Shift, un singe doué de parole vend ses compatriotes comme esclaves. Un vieil ours le défie. « Nous ne voulons pas faire tout ça. Nous voulons être libres. » Le singe sournois répond : « Que savez-vous de la liberté ? Tu penses que la liberté signifie faire ce que tu veux. Eh bien, tu as tort. Ce n’est pas la vraie liberté. La vraie liberté, c’est de faire ce que je te dis. »
Méfiez-vous lorsque quelqu’un en position d’autorité vous dit d’un mot qu’il a un sens différent ou surtout le contraire de ce qu’il a toujours signifié. Le désir de contrôle est probablement à l’origine de ce changement.
8. La tentative du gouvernement de niveler toutes les sources concurrentes de vérité
Nous n’avons pas fini de parler du détestable Shift. Il a réussi à convaincre ses compatriotes narniens d’écouter ses ordres en créer un faux Aslan en utilisant une peau de lion. Shift dit que la volonté d’Aslan est qu’ils soient vendus au pays voisin, Calormen. Mais certains animaux avisés qui connaissent le véritable Aslan interrogent Shift.
Un agneau répond :
« Qu’avons-nous à faire avec les Calormènes ? […] Ils ont un dieu nommé Tash. Il paraît qu’il a quatre bras et la tête d’un vautour. Ils tuent des hommes sur son autel. Je ne crois pas qu’il existe un tel Tash. Mais si c’était le cas, comment Aslan pourrait-il être son ami ? »
Shift répond :
« Que comprenez-vous à ces choses-là ? Tash n’est que l’autre nom d’Aslan. Cette vieille idée que nous avons raison et que les Calormenes ont tort est absurde. Nous sommes mieux informés maintenant. Les Calormènes utilisent des mots différents mais nous voulons tous dire la même chose. Tash et Aslan ne sont que deux noms différents pour vous savez qui. »
Shift a besoin de nier l’unicité et l’importance d’Aslan. Au lieu de cela, il déclare que tout le monde a raison sur ce qu’est la vérité. Mais pourquoi ? Si tout le monde a raison sur l’identité d’Aslan, alors personne n’a raison.
L’agneau a raison de dire qu’Aslan ne serait jamais l’ami d’un dieu qui demande des sacrifices humains. Cette source d’autorité est une compétition pour le Shift. Si les Narniens acceptent Aslan comme l’autorité ultime, ils ne peuvent accepter celle de Shift. Celui-ci tente donc de priver les Narniens de la vérité en prétendant que tout le monde a raison. Dès lors, il désigne son faux amalgame de dieux par le néologisme « Tashlan ».
Cette manœuvre sournoise ne relève pas de la fiction. Les régimes autoritaires, dont l’Allemagne nazie, la Russie soviétique et la Chine communiste, tentent fréquemment d’utiliser la force de l’État pour changer ou détruire les églises. Il ne peut y avoir de sources de vérité concurrentes si les régimes autoritaires veulent réussir.
Voyez par vous-même
J’encourage tout le monde à lire les Chroniques de Narnia. Ce sont des livres parfaits pour tous les âges. Pour les enfants, Narnia présente un pays fantastique captivant, plein d’aventure et de liberté.
Mais plus on avance dans le livre, plus tout devient profond. Les lecteurs plus âgés se trouveront aux prises avec des thèmes bien plus sérieux qu’ils ne le pensaient. C’est une série merveilleuse pour les parents qui veulent la lire à leurs enfants pour cette raison précise.
Et vous pouvez faire bien pire qu’un auteur ayant l’esprit et la sagesse dont fait preuve Lewis sur la politique et la vie en général.
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