Par Vincent Geloso et Miguel Ouellette
Le 17 octobre est la Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté. Instituée il y a 27 ans par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies, cette journée a pour but de souligner tout le chemin qu’il reste à parcourir afin d’éradiquer la pauvreté. Cependant, il est très rare que l’on souligne les progrès considérables qui ont été accomplis depuis 1800.
Un examen des ouvrages d’historiens économiques qui quantifient les différentes dimensions du niveau de vie révèle l’absence de progrès soutenus sur ce plan durant les quelque 12 000 années précédant le début du XIXe siècle. Les mesures basées sur les salaires ou les revenus – généralement recréées à partir de livres de comptes de congrégations religieuses, de marchands, d’universités ou de municipalités – confirment effectivement ce constat. Des mesures approximatives du bien-être comme la taille humaine (qui capturent la relation entre le revenu et la nutrition et qui sont obtenues à partir de fouilles archéologiques) semblent aussi démontrer l’absence d’améliorations soutenues pendant ces douze millénaires.
Toutefois, depuis 1800, les progrès sont indéniables. Il suffit de regarder les statistiques de « pauvreté absolue » – le type de pauvreté qui nous place à la marge de la survie. Les estimations disponibles pour 1820 situent le pourcentage d’êtres humains en situation de pauvreté absolue entre 84 % et 94 % alors qu’aujourd’hui, aucun estimé sérieux ne dépasse 10 %.
Ces progrès vont de pair avec plusieurs autres statistiques. Le bien-être matériel de la personne moyenne sur terre est quinze fois plus important aujourd’hui qu’en 1800. Même la région la plus pauvre du monde, l’Afrique subsaharienne, est environ quatre fois plus riche qu’en 1800. Par ailleurs, le revenu moyen par habitant dans le monde a augmenté de plus de 359 % en tenant compte de l’inflation au cours des 70 dernières années. Ces gains se manifestent également dans une multitude de dimensions non matérielles. Par exemple, aucun pays sur terre aujourd’hui ne jouit d’une espérance de vie à la naissance inférieure à celle estimée pour 1820. Les données sur les tailles humaines rassemblées par des centaines d’économistes et de biologistes montrent que toutes les nations ont bénéficié d’une augmentation de stature moyenne – ce qui est synonyme d’une amélioration de la qualité et de la quantité de la nutrition disponible.
Afin de bien contextualiser l’aspect phénoménal de cette diminution continue de la pauvreté dans le monde, considérons l’entièreté de la vie humaine sédentaire (environ 12 000 ans). La période de progrès soutenus depuis 1800 représente à peine 2 % de la totalité de ces douze millénaires de sédentarité de l’homme.
Comment avons-nous réussi à réaliser autant de progrès aussi rapidement? Le lauréat du prix Nobel d’économie de 1993, Douglass North, avait exprimé la réponse en deux mots : échanges et institutions.
Sur l’étendue de sa carrière, North a élaboré un cadre analytique riche et nuancé soulignant que les sociétés qui s’enrichissent sont celles qui se dotent d’institutions qui permettent aux marchés de prospérer. Les institutions qui assurent la sécurité de la propriété privée et qui protègent les individus des violences arbitraires (tant de la part de l’État que des acteurs privés) sont celles qui permettent aux échanges de se multiplier. À leur tour, les échanges permettent la création de richesse puisque nous pouvons nous spécialiser davantage, faire des investissements qui augmentent la productivité du travail, développer de nouveaux produits, etc. En permettant les échanges, ces institutions, que North associe au concept de liberté économique, ont permis le recul indéniable de la pauvreté observé depuis 1800.
L’argument de Douglass North est empiriquement bien étoffé. Il a documenté à maintes reprises la manière dont les institutions nécessaires au développement des marchés ont émergé peu avant les améliorations soutenues du bien-être humain. Depuis, plusieurs économistes et historiens ont conçu des outils afin de mesurer les bénéfices associés à ces institutions et leur évolution au cours de l’histoire. Parmi ces outils, citons les indices de liberté économique, les indicateurs de protection des libertés civiles et des droits de propriété, les contraintes sur le pouvoir politique, la corruption, etc. Toutes ces mesures pointent dans la même direction : plus les institutions ressemblent à celles d’une démocratie libérale de marché, plus les sociétés sont riches et prospères.
Bien sûr, il reste des progrès à faire puisqu’environ 10 % de l’humanité vit toujours en situation de pauvreté. Cependant, si l’on veut éradiquer la pauvreté une fois pour toutes, les leçons du passé sont claires : la solution réside dans une plus grande liberté économique et dans l’amélioration de la qualité de nos institutions.
Vincent Geloso est professeur adjoint en économie à George Mason University et Miguel Ouellette est chargé de cours en économie à HEC Montréal et directeur des opérations de l’Institut économique de Montréal. Ils signent ce texte à titre personnel.
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