par Aliénor Barrière
Le projet de loi de finance 2022 a été dévoilé fin septembre
2021, et il apparaît que le poids de l’aide au développement va encore
s’accentuer pour les Français. Une occasion de s’interroger sur le bien-fondé
de cette aide à plusieurs milliards d’euros.
L’aide au développement est définie par l’OCDE comme une
aide « fournie par les Etats pour améliorer le développement économique et
le niveau de vie des pays en développement ». Elle représente une charge
de plus en plus lourde pour les Français : presque
11Md€ rien qu’en 2019. Depuis 1970, les Etats se sont engagés à verser
0,7% de leur PIB pour cette cause. En pratique, rares sont ceux qui atteignent
cet objectif, et la France se cantonne quant à elle à 0,53% de son PIB en 2020,
dont 2,2Md€ rien que pour faire face à la crise du Covid-19. Cela la place tout
de même en 5ème position, après les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni et
le Japon. Néanmoins, Emmanuel Macron s’est engagé à grimper jusqu’à 0,55%
du PIB d’ici 2022 pour atteindre l’objectif de 0,7% en 2025.
Ces sommes peuvent être versées sous forme de prêts ou de
dons, mais face à l’insistance de l’OCDE, la France va augmenter la proportion
d’aides sous forme de dons, en imposant ainsi un généreux désintéressement au
contribuable. La nouvelle
loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte
contre les inégalités dispose ainsi que « les dons devront représenter au
moins 70% du montant total de l’aide publique française au
développement ».
Des objectifs de développement durable aussi flous
qu’idéologiques
Aujourd’hui, l’aide publique au développement s’inscrit dans
le cadre des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) définis par les
Nations Unies dans le but de « construire ensemble un monde pacifié,
prospère, égalitaire et durable ». Au-delà de ce slogan new age, ces
objectifs sont parfaitement illusoires : la prospérité et l’égalitarisme
sont incompatibles, la pacification du monde est en contradiction avec les
réalités conflictuelles qui l’animent, et son caractère durable ne figure que
dans les priorités des Etats qui ont déjà assis la puissance de leur
développement sur la scène internationale.
Il y a une très grande différence entre aider les peuples à
acquérir les biens essentiels à leur développement et lutter contre les
inégalités mondiales grâce à une répartition des richesses. Le premier objectif
est humanitaire et moral, le second, politique et idéologique. La dimension
politique de l’aide au développement est particulièrement prégnante dans le
nouvel objectif de réduction des inégalités non plus simplement entre Etats,
mais à l’intérieur même des Etats.
Ces ODD, qui couvrent des domaines extrêmement variés,
doivent être atteints d’ici 2030, et ce pour tous les pays du globe. Certains
objectifs, tel « éliminer la faim », commandent des interventions
manifestement urgentes ; d’autres relèvent d’ambitions beaucoup plus
utopiques comme « l’élimination de la pauvreté sous toutes ses formes et
partout dans le monde », voire totalement idéologiques telle
« l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du
développement durable ».
Cette aide au développement a beaucoup évolué. Alors qu’elle
avait initialement pour but de secourir les populations précaires, elle a
maintenant intégré l’environnement dans nombre de ses actions : préserver
les forêts et la biodiversité, protéger les mers et les océans, lutter contre
les changements climatiques…
Une efficacité impossible à prouver
Vaste programme… difficile à mettre en œuvre, difficile à
respecter, difficile à contrôler. Comment mesurer l’efficacité de l’aide visant
à lutter contre les changements climatiques ? Comment rendre des comptes
aux citoyens sur l’utilisation des fonds destinés à renforcer le partenariat
mondial ? Quant à l’exigence de gouvernance participative et transparente
des Etats… ! On nous dit qu’il s’agit de « mieux connaitre la
complexité des situations où les agences d’aide interviennent, d’anticiper les
impacts directs et indirects (institutionnels et non institutionnels) de leurs
financements sur l’évolution des rapports de force internes aux sociétés,
d’orienter leurs actions vers des solutions de compromis institutionnels et
d’égalité des opportunités, etc. ». Comprenne qui pourra.
Si l’agence française de développement peut facilement
mesurer l’efficacité d’actions directes telles que la construction de routes ou
d’écoles, elle reconnaît que cette vérification est beaucoup plus compliquée en
ce qui concerne « l’aide sur la construction institutionnelle des pays
bénéficiaires », c’est-à-dire l’occidentalisation par la démocratisation
des pays.
Le suivi des aides se fait grâce à 230 indicateurs mis en
place par un groupe international d’experts et validés par la Commission des
statistiques des Nations Unies. Il y a donc 230 indicateurs pour 17
objectifs : une usine à gaz qui n’est même pas gage d’efficacité, comme
l’expose le spécialiste Hubert de Milly :
De nombreuses questions se posent sur les indicateurs :
un assez grand nombre d’entre eux n’est pas encore défini avec précision, et
l’on ne sait guère le temps que prendra le travail approfondi qui reste à
effectuer ; il n’est pas précisé si la définition des indicateurs est
évolutive, révisée régulièrement pour tenir compte des progrès de la science et
du recul de l’observation, ou si elle va être bloquée pour les quinze
prochaines années, afin de respecter l’intégrité des séries et la crédibilité
des engagements ; enfin la mesure du progrès vers les ODD est en principe
de la responsabilité de chaque gouvernement, mais on ne sait pas si une
supervision sera assurée par un groupe scientifique international indépendant.
A cela s’ajoute « la faiblesse des appareils
statistiques des pays en développement, notamment en Afrique ». Pour tenter
d’obtenir tout de même des données fiables sur l’efficacité de l’aide au
développement, un « partenariat mondial pour les données sur le
développement durable » a été engagé ; il est international,
multi-acteurs et réunit le public et le privé. Pour autant, Hubert de Milly
doute de l’efficacité de cette nouvelle initiative.
Une chimère qui ne laisse guère d’espoir sur son
aboutissement
L’objectif poursuivi par l’aide au développement est exprimé
par Hubert de Milly en ces termes : « Efficace pour les pays qui en
bénéficient, l’APD favorise globalement la paix et la stabilité. Et mieux le
monde se portera, plus la paix, la prospérité mondiale et la défense de
l’environnement seront une réalité, plus les intérêts de la France et des
Français seront servis. C’est un cercle vertueux au niveau planétaire. »
Il s’agit là d’une chimère déconnectée d’un monde régi par les règles de la
polémologie : le recours courant au terme de « puissance »
étatique signifie qu’il y a un dominant et un dominé. C’est sûrement ce que
François Mitterrand avait en tête lorsqu’il déclara que « le véritable
ministre de la Cohésion, c’est le PDG d’Elf » …
Concernant la stabilité, cet objectif est d’autant plus
caricatural que l’aide au développement est versée à des gouvernements très… instables,
notamment en Afrique. En outre, elle est censée profiter à des causes excluant
tout aspect militaire ; pourtant, plus de 40% des fonds sont utilisés pour
l’achat d’armements et le maintien au pouvoir des dictateurs. On peut également
s’interroger sur l’utilité de continuer à déverser des milliards en Afrique
alors que la croissance du PIB par habitant en
Afrique sub-saharienne est de -4,9% en 2020, de 2,7% en 2010, et de
0,8% en 2000. Sur les mêmes périodes, la zone
Asie de l’Est et Pacifique a connu une croissance respectivement de 3%,
0,6% et 3,9%.
Dans son ouvrage Reinventing Foreign Aid (2008),
l’économiste américain William
Easterly juge les ODD « incohérents, impossibles à mesurer et
irréalistes dans leurs ambitions ». Il estime que l’aide au développement
est un énorme échec : rien n’aurait été démontré quant aux liens entre
aide et croissance. Ainsi, les pays qui ont connu le plus grand développement
sont ceux qui ont reçu le moins d’aides, et inversement, les pays qui
s’enlisent dans la pauvreté sont abreuvés d’aides internationales à grande
échelle. L’annulation de la dette des pays pauvres constituerait même une
« prime à l’inefficacité, voire à la corruption ». Un ouvrage qu’on aurait
bien envie d’offrir aux candidats à la présidentielle.
Pour aider les peuples à sortir de la pauvreté, mieux vaut
favoriser les initiatives privées et les échanges internationaux qui déjà ont
permis de réduire au cours des quarante dernières années la grande pauvreté de
40% de la population mondiale à moins de 10%.
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