ÉLOGE
DE LA FAINÉANTISE
Par Louise V. Labrecque
Voici, pour compléter
le tableau déjà riche d’un essai portant le titre Éloge de la fainéantise, des
petites notes toutes simples, presque musicales, afin de vous inviter à une critique-découverte
des plus étonnantes (c’est-à-dire intéressantes) : un livre de langue
française traitant de la fainéantise, sujet audacieux qui invite souvent à
sourire et que l’on aborde rarement, souvent avec une telle désinvolture,
hélas, qu’il est beau de s’y pencher un peu mieux. De ce fait, je vous invite
également à découvrir l’un des écrivains les plus sensibles (donc, attachants),
l’un des plus sûrement dédié à l’art (et à l’art de vivre), l’artiste Henri
Gerardin, lequel nous ouvre, avec ce premier livre, un vaste horizon, un regard
en quelque sorte « en amont «, s’inscrivant dans une fin de cycle d’un
Québec qui peine à se doter d’un véritable projet national.
C’est que l’auteur a
compris la dualité du malaise social actuel, comme dans l’écriture, soit la difficulté
de lui donner la meilleure part de soi-même. La fainéantise devient, dans ce
prisme, une force, pour une nouvelle annexion au monde, et cela se fait sans
compromis, sans obsession, de manière naturelle, par notre conscience
historique la plus intime. Ainsi, avec un style personnel, l’auteur est
parfaitement d’équerre avec les nombreuses citations fleurissant son livre, ce
qui ajoute à la beauté du sujet. D’une générosité rare, il ajoute même,
souvent, des anecdotes, afin de sortir des mots, pour en comprendre l’essentiel.
Évidemment, bien que trop souvent mal compris, le sujet de la fainéantise
touche tout le monde, toutes les générations et toutes les classes sociales; si
peu abordé, toutefois, je n’ai trouvé aucun livre traitant sérieusement de ce
sujet, ce qui amène donc une fraîcheur certaine à cet ouvrage rigoureux, -et
c’est précisément ce que la fainéantise apporte au monde-. Ainsi,
individuellement et collectivement, cette exigence s’est perdue, parce que plus
personne n’a le courage d’y mettre vraiment toute sa vie, et de s’y perdre sans
espoir même de retour; la fainéantise devient donc aussi l’exigence de ce qui,
même dans le désespoir, est incapable de mourir. Cela est donc, en un sens, un
outil de résistance.
Fé-né-an-ti-z :
je recherche le sens étymologique de ce mot; je retrouve le mot « paresse
« ; ce n’est pas cela. Fainéanter; je
vois le mot « néant », je vois
le mot « hanter « ; je vois le mot « enfanter « ; nous y reviendrons.
Pour l’heure, Henri
Gerardin traite avec son livre Éloge de
la Fainéantise de la nécessité de vaincre la bêtise, celle de la bien-pensance.
Elle est observable partout : dans les rues, dans les villes et les
villages, dans les cafés, dans les bistros; oui, elle est réellement partout,
et elle se laisse voir pour peu que nous soyons sensibles aux autres. La classe
moyenne, la plus nombreuse, voit s’accumuler des dettes ; les travailleurs travaillent
souvent sous pression, parfois dans un climat malsain. Et que dire de toutes ces
familles endettées, ces chômeurs, ces vieillards, ces étudiants, ces
immigrants, ces divorcés ? Certains n’en peuvent plus; ils vivent dans des
conditions extrêmes, parfois ils habitent des taudis, que l’on tolère pour ne
pas avoir à construire quelque chose de mieux;
les lenteurs administratives accentuent le contraste entre cette misère
humaine et notre terre d’abondance. Cette
implacable inhumanité se frotte également aux interventions de la petite
politique partisane, laquelle ne reculera jamais, capable sans doute d’affamer
les gens si l’intérêt politique y trouve son profit. Mais, j’ai déjà parlé de
toutes ces choses, et j’en ai, je crois, assez dit. Nous sommes tous capables
de comprendre maintenant ; assez dit, donc, puisque nous voyons bien que nos
déclarations de principes sur la valeur de notre capital humain ne cadrent pas
toujours avec nos actes, tant nous sommes soumis aux faits. Ainsi, vous serez sans doute fascinés, vous aussi,
par cet exercice d’observation de notre prodigieux capital humain; ses
grandeurs et ses misères. Grand Corps
Malade chante cela : tous ces esprits affamés. Cela nous amène à parler de la grande pitié
de nos universités et de nos institutions d’enseignement supérieur; de la grande pitié de nos bibliothèques
scolaires, de nos médias, de nos écoles publiques, et de la faillite générale
de l’Éducation, au Québec. La grande pitié des belles choses « faites
pour durer «, trop souvent boudées devant toutes les nouvelles bébelles à la
mode; notre véritable Histoire, nos
généalogies ignorées, nos arts méprisés, et/ou soumis à toutes sortes de
coteries. Bref, la grande pitié des choses de l’esprit en général, qui non
seulement marchent à pas de tortue, mais
dont les joyaux dorment, en quantité, et depuis longtemps, dans les oubliettes
de l’Histoire.
Donc, fainéanter :
ne rien faire. Pendant plus d’une décennie, j’ai publié des articles pour un magazine destiné
aux parents de jeunes enfants; parallèlement, j’enseignais en classes spéciales
et régulières et j’étais également assistante de recherche en psychoéducation,
pour un centre de recherche de réputation internationale. Mes conclusions vont vous paraître étonnantes
; par exemple, les renvois aux japonais et à la vision de l’éducation nippone ;
pour eux, « ne rien faire «, cela n’est pas de la paresse;
lorsqu’on ne fait rien, il se passe en réalité « quelque chose « de très
important : nous touchons précisément, par cet état d’esprit, à la source vitale
de notre pouvoir créateur et ainsi, un nouveau paradigme se met en place, pour l’avènement
d’un regard neuf, prédisposant à une capacité de concentration accrue. De cette
expérience, « élever l’élève « prend ainsi tout son sens.
Cherchez
l’erreur : c’est peut-être pour cela que certains hommes politiques ont
jugés devoir préconiser des programmes du ministère remplis de tartufferie, des
réformes et évaluations inutilement compliquées, pour une justice sociale
discutable. Pourtant, l’éducation se fonde sur des principes simples, surtout
pour un enfant, lequel aime apprendre dans la joie et la liberté, afin d’être
heureux de se découvrir, à chaque jour
de sa vie. Mais, tous ces politiciens sont allés à la mauvaise école, puisque
chaque dimanche, ils se retrouvent trop souvent à la télévision pour la messe de
fin de soirée. À force d’en parler, tout le monde finira peut-être par se convaincre
de penser tous de la même manière, à défaut d’être souverain dans sa façon d’être.
Nous oublions, trop souvent, l’importance de cultiver la fainéantise comme
rempart contre la bêtise, par exemple la nécessité de cultiver la préséance de
l’humain sur le capitalisme sauvage. Peut-être faudra t’il, pour y arriver, une
réorganisation sociale complète, ce qui amènerait, peut-être, à un genre de
conversion chez nos dirigeants ? Pour ce
faire, il faudrait pouvoir jouir collectivement du luxe de la fainéantise, avec
une action portée vers un idéal social et politique réaliste, mais encore
faudrait-il que nos dirigeants cessent de donner leurs âmes aux dieux
capitalistes, pour aller également à la bonne école de la vie, afin de
rencontrer l’esprit humain, celui qui fait de nous, justement, des êtres
humains digne de ce nom. Pour ce faire, je vous propose ce projet :
(ré)enchanter le monde !
Personnellement, pour
comprendre tout cela, il a fallu m’exiler de ma ville natale; j’y suis revenue
des années plus tard, avant de repartir sans doute bientôt, ailleurs, afin de
comprendre encore, comprendre autre chose qui manque; il manque toujours
quelque chose. Ainsi, nous devons toujours tendre vers le meilleur de ce que
nous portons en nous-mêmes, individuellement et collectivement. Cet exil
intérieur, je ne m’en suis pas plainte outre mesure car chaque fois qu’on
a voulu opprimer la vérité, tuer la beauté et chasser la liberté; elle a
rejaillit plus forte.
« Je suis une bête de la Nature
De corps et d’esprit sans chaîne
Le nez au flair de l’aventure
Le cœur léger sans nulle haine
Sur mon séant je néantise
Absent comme un loup solitaire
Parfois je hurle et poétise
J’exprime ma beauté héréditaire « [i]
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