Si vous voulez comprendre comment fonctionne le « capitalisme de connivence » je vous recommande fortement le film de Charles Ferguson « Inside Job »:
Oubliez les documentaires comme Capitalism: A Love Story (Michael Moore, 2009) ou les fictions comme Krach (Fabrice Genestal, 2010) et Wall Street: Money Never Sleeps (Oliver Stone, 2010): voici Inside Job, de l'Américain Charles Ferguson, le film essentiel que l'on attendait sur la dernière crise économique qui a ébranlé, bien plus que l'Amérique, la planète tout entière. Grâce à un travail d'investigation et d'enquête rigoureux, Ferguson retrace ici la genèse de la crise, explicite les nombreuses relations qui unissent Wall Street à la Maison Blanche et démontre la véritable folie de ces dirigeants irresponsables. Un documentaire épique, éminemment nécessaire et terriblement choquant, par ailleurs narré par l'acteur Matt Damon. --- Guillaume Fournier
Une économie de menteurs
Gerald O’Driscoll – Le 26 avril 2010. Les libres marchés nécessitent de « dire la vérité » : les prix doivent refléter les évaluations des consommateurs ; les taux d'intérêt doivent être des guides sûrs pour que les entrepreneurs allouent correctement le capital dans le temps, et les comptes d’une entreprise doivent refléter sa valeur réelle. Plutôt que de dire la vérité, nous devenons aux USA une économie de menteurs. La cause en est simple: le « capitalisme de connivence ».
Les agences de réglementation financière n'ont pas appliqué les lois et règlements contre la fraude. Bernard Madoff est le cas paradigmatique du fraudeur et la Securities and Exchange Commission (SEC), le cas paradigmatique de l’échec du régulateur. On sait que la fraude est difficile à déceler, mais comme nous le savons maintenant, pas celle de Madoff. La SEC a choisi d'ignorer les éléments de preuve portés à son attention. C’est aussi la réglementation bancaire qui a permis à une sorte d’hypothèques surnommées « prêts menteurs » de s'épanouir. Et ainsi de suite.
Nous avons appris aujourd'hui de quelle manière « créative » Lehman Brothers avait caché son effet de levier par l'utilisation de pensions livrées, le « Repo 105 ». Le « Repo 105 » permettait à Lehman de temporairement troquer des actifs (comme les obligations) pour du cash. Un « repo » est une mise en pension d’actifs, ou accord de rachat. Il représente un moyen d'emprunter de l'argent. Mais une règle comptable a permis à Lehman de camoufler cette transaction comme une vente et de réduire ses emprunts comptabilisés, selon un rapport le mois dernier d’un auditeur de faillite de Lehman, ancien procureur fédéral, nommé par le tribunal. Faut-il croire que les régulateurs ne savaient pas ? Mi-avril, Goldman Sachs a été accusé d’avoir trompé de nombreux clients au profit d'un autre, le hedge fund dirigé par John Paulson. [Et ce n’était que le début des « révélations »].
L'idée que la multiplication des règles et des textes peut protéger les consommateurs et les investisseurs est certainement l'un des grands échecs intellectuel du 20ème siècle. Toute règle statique sera contournée ou manipulée de manière à se soustraire à son application. Au lieu de multiplier les règles, la comptabilité financière devrait être régie par le principe traditionnel que l'on a une obligation positive de présenter l'état réel des finances de façon juste et précise – quoi que puissent permettre par ailleurs les règles. Et les institutions financières devraient avoir une obligation de diligence envers leurs clients. Certains avocats soutiennent que cela nous rapprocherait de la vision de la fraude dans la common law.
La théorie des choix publics a identifié les causes profondes de la défaillance de la réglementation : la « capture » des régulateurs par l'industrie réglementée. Les organismes de réglementation commencent à s'identifier avec les intérêts des réglementés plutôt que de ceux du public qu'ils sont chargés de protéger. Dans un document pour la conférence Jackson Hole de la Fed en 2008, l'économiste Willem Buiter a qualifié de « capture cognitive», ce processus par lequel les régulateurs deviennent incapables de penser en d’autres termes que ceux du secteur qu’ils doivent réglementer. Le 5 avril dernier, le Wall Street Journal publiait une chronique sur le « tourniquet » entre le secteur et le régulateur, intitulée « employé un jour, adversaire le lendemain. »
Les comités du Congrès qui supervisent le secteur succombent à l'attrait des contributions de campagne, des sollicitations des lobbyistes du secteur, et du chant des sirènes d'experts devant leur existence au secteur. Ainsi, les intérêts du secteur et de l’administration s’entremêlent, et la réglementation les relie. Le secteur gagne à s'entendre avec les politiciens et les régulateurs, et vice-versa. On n’appelle pas ce système le libre marché, mais le capitalisme de connivence. Il doit plus à Benito Mussolini qu’à Adam Smith.
Le lauréat du prix Nobel Friedrich Hayek a décrit le système de prix comme un mécanisme de transmission des informations. L'interaction entre les producteurs et les consommateurs établit des prix qui reflètent la valeur relative des biens et services. Or, les subventions faussent les prix et entraînent une mauvaise affectation des ressources. Les prix ne transmettent alors plus les vraies valeurs, mais les valeurs distordues. Le mentor de Hayek, Ludwig von Mises, a prédit dans les années 1930 que le communisme serait voué à l'échec parce qu'il ne reposait pas sur les prix pour allouer les ressources. Il a eu raison.
Aux États-Unis aujourd'hui, nous nous reposons de moins en moins sur des prix « honnêtes ». L’État fédéral contrôle 90% du financement du logement. Les programmes encourageant l'accession à la propriété demeurent effectifs, et davantage ont même été ajoutés. La politique de taux d'intérêt faible de la Fed génère une mauvaise affectation du capital dans le temps. Les taux d'intérêt faibles influencent tout particulièrement le logement parce qu'une maison est un actif de long terme dont la valeur est renforcée par des taux d'intérêt bas.
Les prix et les taux d’intérêts distordus ne peuvent plus servir d’indicateurs précis de l'importance relative des biens. Le capitalisme de connivence assure un accès spécial au capital pour les entreprises et secteurs protégés. Les entreprises qui se trouvent en difficulté, dans ce processus consistant à faire ce qui est favorisé politiquement, sont renflouées. Cela conduit à l'aléa moral et davantage de sauvetages à l'avenir. Et on peut permettre à ceux qui perdent de l'argent de le cacher par des subterfuges comptables.
Si nous voulons restaurer notre liberté économique et récupérer un marché libre incroyablement productif, nous devons rétablir la vérité sur les marchés. Cela signifie la fin des subventions qui faussent les prix - ce qui comprend les taux d'intérêt artificiellement bas. Personne n’admet préférer le capitalisme de connivence, mais pourtant un État fortement régulateur entretient cette pratique.
Empiler toujours plus de règles et de textes ne produira rien de différent que par le passé. Il est préférable de se fonder sur les principes positifs de bilans comptables qui « disent la vérité » et sur une obligation de diligence. La déréglementation n'est pas une sorte de slogan ultralibéral mais une nécessité absolue si nous voulons sortir du capitalisme de connivence.
Gerald O’Driscoll est vice-président de la Federal Reserve Bank à Dallas et analyste au Cato Institute à Washington DC. Cet article est une traduction partielle de l’original anglais publié dans le Wall Street Journal (avec permission de l’auteur). _______________
Aucun commentaire:
Publier un commentaire