Les journalistes, les chroniqueurs et les éditorialistes n’y ont vu que du feu. Les politiques interventionnistes québécoises permettaient de créer 500 emplois haut de gamme. En réalité, le programme d’aide à l’emploi a simplement permis à Morgan Stanley de transformer 200 emplois non subventionnés en emplois subventionnés. Pour le reste, on verra plus tard!
..... et on se demande pourquoi les Québécois ne font pas confiance aux politiciens.
Sophie Cousineau, Cyberpresse, Samedi le 3 mai 2008
Morgan Stanley : pécher par omission
Mea Culpa. Si j’aime tenir un blogue pour avoir le pouls des lecteurs, j’ai toujours douté de leur utilité pour dénicher de l’information exclusive. Plus maintenant.
C’est “v-go” qui m’a fait changer d’avis. J’ignore qui se cache derrière ce pseudonyme, mais “v-go” est mon nouvel ami. C’est lui (ou elle) qui a écrit un commentaire mettant en doute la création de 500 emplois par la banque d’affaires Morgan Stanley à Montréal.
Après quelques coups de fils, mon collègue Hugo Fontaine a - malheureusement - confirmé ces soupçons. La bonne nouvelle que le Québec a claironnée jeudi est pas mal moins spectaculaire que ce que le premier ministre Jean Charest, ses principaux lieutenants et Morgan Stanley l’ont laissé entendre.
Ainsi donc, le gouvernement va appuyer la “création” de 200 emplois qui existaient déjà. Ces salariés étaient employés de la firme de services informatiques Compuware, mais se consacraient exclusivement à Morgan Stanley. Au bout du compte, ils ne feront que changer de bureau!
Malgré tout, Québec paiera 30% de leur salaire, jusqu’à concurrence de 20 000$ par année. Pour ces quelque 200 emplois maintenus, l’aide pourrait atteindre 4 millions de dollars par année. En six ans, la durée du programme, on parle donc d’une aide de près 24 millions de dollars. Juste pour garder des jobs qui sont déjà là, au risque de me répéter.
À la lumière de ces informations, devrait-on vraiment subventionner Morgan Stanley ? La banque d’affaires américaine a déclaré un profit de 3,4 milliards sur des revenus de 28 milliards US à son exercice financier 2007. Et encore, c’était une très mauvaise année en raison des radiations liées aux prêts hypothécaires à haut risque, le fameux “subprime”.
L’ironie, c’est que la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, se félicitait jeudi d’avoir réformé en profondeur le programme d’aide du Québec à l’industrie des technologies de l’information. Elle a qualifié le précédent programme mis au point par le Parti québécois de “programme de développement immobilier”, parce que l’aide était rattachée à des sites désignés comme la Cité du multimédia.
Il est bien documenté que ce programme avait engendré toute une série d’effets pervers, comme la hausse des loyers et du déplacement de personnel d’un quartier à l’autre de Montréal. Ainsi, 55% des 22 000 emplois créés dans ces sites avaient tout simplement déménagé d’une rue à une autre, d’après les calculs du gouvernement en 2006.
Or, en déménageant les employés montréalais de Compuware chez Morgan Stanley, on arrive drôlement au même résultat!
Dans le communiqué qu’elle a publié jeudi, la firme Morgan Stanley affirme qu’elle s’appuie sur le succès du projet pilote qu’elle menait avec Compuware. “Le projet ayant été couronné de succès, Morgan Stanley établit maintenant un centre permanent”, écrit la banque d’affaires.
Interrogé par un reporter du National Post à savoir s’il s’agissait d’emplois nouvellement créés ou d’emplois transférés d’ailleurs, Jim Rosenthal, chef de la technologie et des activités mondiales de Morgan Stanley, a toutefois répondu: “Nous procéderons à des embauches”.
Quand une journaliste de The Gazette a ensuite demandé à Jim Rosenthal combien de personnes le bureau montréalais de Morgan Stanley emploierait au départ, le dirigeant américain a répondu ceci. “Initialement, nous aimerions commencer avec 300 employés sur les 500. Mais ce n’est pas tellement une question de nombre. Cela dépend de notre aptitude à recruter du personnel.”
“Donc, au début, nous allons commencer avec un employé.”
Les nombreux journalistes qui assistaient à cette conférence de presse sont tous repartis en croyant que Morgan Stanley créerait jusqu’à 500 emplois à Montréal - pas qu’elle en maintiendrait 200 et qu’elle en créerait peut-être 300 autres avec l’argent du gouvernement. Surtout que les ministres présents se faisaient fort de souligner que cet investissement était l’aboutissement de quatre années de démarchage d’Investissement Québec.
Cette impression a d’ailleurs été confirmée par la publicité du gouvernement dans La Presse d’hier. Dans cette publicité d’une pleine page qui souligne l’arrivée de Morgan Stanley, Investissement Québec affirme que l’entreprise américaine “créera jusqu’à 500 emplois”.
Si Jean Charest, Monique Jérôme-Forget et Raymond Bachand savaient que 200 emplois étaient transférés et que seulement 300 autres pouvaient être créés, tout ce beau monde a péché par omission en n’en soufflant pas mot jeudi.
Il est sidérant de constater que le gouvernement libéral et Morgan Stanley pensaient enjoliver les retombées de cet investissement tout en croyant que la réalité ne finirait pas par les rattraper.
Le plus absurde de l’affaire, c’est que même en le dégonflant à des proportions plus justes, l’investissement de 200 millions de dollars de Morgan Stanley reste une bonne nouvelle. Mais, à l’évidence, ce n’était pas assez séduisant pour un gouvernement minoritaire qui rêve de se faire réélire.
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