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01 septembre, 2020

Uber et Lyft : la « Gig Economy, » le droit du travail doit vivre avec son temps

 Tenter d’appliquer obstinément au forceps une distinction entre employés et indépendants que la gig economy a rendue caduque est contre-productif.

Par Eline Chivot.

Une cour d’appel californienne a récemment accordé un sursis aux services de taxi alternatif Uber et Lyft, leur permettant de poursuivre temporairement leurs opérations en préservant le statut d’entrepreneur indépendant de leurs conducteurs. Cette décision fait suite à une injonction qui ordonnait aux deux entreprises de requalifier leurs chauffeurs en employés sous 10 jours, afin qu’elles se conforment à une nouvelle loi.

Il s’agit d’un revirement inattendu, qui fut pour le moins bien accueilli : Uber et Lyft avaient auparavant déclaré qu’elles auraient été forcées d’interrompre leurs activités en Californie, menaçant ainsi des dizaines de milliers d’emplois et réduisant les options pour autant d’usagers.

Malgré ce développement significatif dans le bras de fer opposant la justice californienne à ces deux plateformes, la bataille judiciaire se poursuivra en octobre. Bien qu’un référendum prévu en novembre pourrait renverser la loi, l’issue de l’affaire demeure incertaine et la remise en question du modèle économique des deux plateformes est désormais établie.

Cela pourrait inspirer et enhardir d’autres juridictions et responsables politiques, avec des conséquences similaires pour les autres acteurs de la gig economy (économie à la demande).

UN RELIQUE CENTENAIRE

 

Contraindre les plateformes à catégoriser leurs travailleurs en tant qu’employés ou indépendants sur la base d’une relique centenaire du droit du travail n’est pas la bonne approche.

Cela pourrait condamner un modèle économique dont profitent travailleurs comme consommateurs. Une approche plus avisée serait de réfléchir à des configurations de travail plus diversifiées procurant à tous le degré de flexibilité essentiel dans une économie en perpétuelle évolution.

Les plateformes en ligne de la gig economy telles que Uber et Lyft offrent un moyen efficace de mettre en rapport des individus, ceux qui souhaitent délivrer un service personnalisé et ceux qui le recherchent.

Ce type d’intermédiation apporte une flexibilité qui se trouve être une priorité pour des individus qui n’aiment pas avoir un supérieur hiérarchique, ne fantasment pas sur le travail à temps plein et horaires fixes, ou préfèrent organiser leurs emplois du temps indépendamment de celui d’un employeur traditionnel.

La croissance exponentielle de ces entreprises est la preuve qu’elles ont amélioré la vie de leurs travailleurs. D’après une étude, 80 % d’entre eux se déclarent satisfaits de leur statut, et 59 % de leur situation financière. Un récent sondage commissionné par Lyft démontre que 71 % des personnes interrogées considèrent que les avantages procurés par le statut d’indépendant sont supérieurs à ceux dont bénéficient les employés.

Par ailleurs, certaines plateformes ont récemment aménagé leurs accords, accordant à leurs conducteurs des protections sociales renforcées et davantage de contrôle sur les tarifs, les trajets, et l’utilisation de leur système. Mais la loi actuelle décourage ces efforts en augmentant la probabilité que les régulateurs considéreront les travailleurs comme des employés.

POPULARITÉ DES PLATEFORMES

 

Le succès des plateformes de l’économie à la demande est aussi gage de leur popularité auprès des consommateurs. Ils ont accès à un choix élargi de différents types de voitures avec chauffeur (VTC), peuvent en faire usage facilement grâce à la simplicité d’une application, et à un tarif souvent moins élevé que les taxis traditionnels.

Faire des conducteurs des employés traditionnels impliquerait que les intermédiaires tels que Uber et Lyft mobilisent des ressources humaines et administratives plus importantes, accroissant leurs coûts. Cela aurait également pour effet de supprimer la flexibilité associée avec ces emplois, favorisant l’émergence de nouveaux exclus du marché du travail, et cela, comme indiqué dans cette récente enquête, sans tenir compte de leurs préférences.

Il serait plus raisonnable et clairvoyant d’aménager la loi en intégrant davantage de flexibilité dans les structures d’emploi, et d’encourager des configurations alternatives, plus pertinentes et en rapport avec les réalités d’un marché du travail qui, comme les inclinations de ses acteurs, a rapidement évolué.

Tout d’abord, les lois régissant le travail sont relativement rigides, voire périmées, car elles ne reflètent pas les besoins d’une catégorie de travailleurs ne correspondant pas à la relation traditionnelle employeur-employé, ou ne se retrouvant pas dans celle-ci. L’idée qu’un juge ou un responsable politique se fait des droits des travailleurs ne devrait pas négliger les préférences de beaucoup de conducteurs, qui ont besoin d’indépendance et de liberté pour travailler s’ils le veulent, quand et où ils le veulent.

Par ailleurs, la distinction actuelle entre employés et indépendants est archaïque, pêche par manque d’orientations et de directives efficaces pour guider les entreprises et les travailleurs, et ne bénéficie pas nécessairement à ces derniers alors qu’elle prétend les protéger.

Pour y remédier, il faudrait créer une exception dans la loi pour cette catégorie de plateformes, afin qu’elles puissent expérimenter de nouvelles façons de soutenir leurs travailleurs, par exemple en leur fournissant des conseils de carrière, une aide à la formation, à la planification des activités commerciales, ou en matière de déclaration fiscale.

Uber a notamment publié une proposition visant à étendre les protections juridiques de leurs conducteurs et leur permettre de choisir les prestations ou bénéfices qu’ils considèrent importantes—une initiative massivement soutenue par ces derniers… et les électeurs.

IMPORTANCE DES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

 

La bonne conduite des activités d’autres applications de services de taxi ou livraison alimentaire dépend largement de ces travailleurs indépendants. Ce régime n’oblige pas les plateformes à se conformer à toute une série d’avantages réservés aux employés traditionnels et à couvrir les charges salariales qui en découlent.

Mais s’il s’agit de protéger les travailleurs, les décideurs politiques devraient se garder de les faire entrer au chausse-pied dans un modèle unique employeur-employé.

Cela réduirait l’accès à la flexibilité que certains réclament ainsi que leur bien-être au travail. Tenter d’appliquer obstinément au forceps une distinction entre employés et indépendants que la gig economy a rendue caduque est contre-productif. La question serait plutôt de savoir si s’adapter n’est pas une solution qui bénéficie en général au plus grand nombre.

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