par Samuel Furfari, 17 avril 2020
Professeur en géopolitique de l’énergie à l’Université Libre de Bruxelles
Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriel.
Les activistes environnementaux et les médias sont parvenus à introduire dans l’imaginaire collectif l’idée que le CO2 est mauvais, que c’est un polluant, que c’est le symbole du mal. On assiste, presque impuissants, à une manipulation du monde objectif probablement jamais égalée.
Le cycle biologique de notre vie dépend du CO2
Le CO2 c’est la vie! Il fait partie du cycle de notre vie. Les deux équations chimiques qui vont suivre sont à la base de la vie sur Terre. La première explique que le monde végétal est généré par la photosynthèse : du CO2 réagit avec de l’eau en présence de photons (lumière) grâce à la chlorophylle présente dans les végétaux pour produire des hydrates de carbone ou carbohydrates que constituent les sucres, la cellulose et l’amidon, tout ce qui est nécessaire à la vie des végétaux. Ils contiennent comme l’illustre la Figure 1 essentiellement des atomes de carbone, d’oxygène et d’hydrogène et leur formule globale est C6(H2O)6 ce qui justifie le nom d’hydrates de carbone ou carbohydrates.
Dans le cas spécifique du glucose (sucre) la réaction est :
6 CO2 + 6 H2O + énergie solaire = C6H12O6 + 6 O2 (1)
Lorsque nous mangeons ce sucre, les mitochondries de nos cellules, usines chimiques de notre organisme, transforment ce carbohydrate en… CO2 selon la réaction (2) inverse de celle de la photosynthèse (1):
C6H12O6 + 6 O2 = 6 H2O + 6 CO2 + énergie (2)
Ce CO2 produit dans nos cellules est transporté par le sang vers nos poumons et échangé avec l’oxygène que nous respirons (l’air contient 21% d’oxygène). Nous respirons de l’oxygène et nous exhalons du CO2. La photosynthèse génère donc de l’oxygène dont nous avons besoin pour respirer, brûler les aliments hydrocarbonés que nous absorbons à travers notre alimentation bien que la majorité de l’oxygène de l’atmosphère ne provienne pas du processus continu de la photosynthèse. C’est pour cela qu’il est inadmissible d’appeler le gaz de la vie un polluant. N’en déplaise à ceux qui ont oublié leur cours de biologie, le CO2 c’est la vie.
Mais c’est aussi la vie pour une autre raison.
La révolution énergétique a changé la vie
Avant la révolution industrielle, qui devrait plutôt être appelée la révolution énergétique, l’énergie dont l’homme a toujours eu besoin était l’énergie renouvelable (surtout le bois et un peu les moulins à vent ou à eau) et l’énergie animale (chevaux, bœufs, etc.) ou humaines (esclaves, enfants ou servant-e-s) [a]. Une tapisserie dans le palais provincial de la province de Gênes (Figure 2) illustre ce qui a été la réalité pendant des millénaires : on y voit un enfant transportant ce qu’on appelle aujourd’hui biomasse pour que des nantis puissent se chauffer, l’enfant-esclave tentant de bénéficier un peu de son travail. Se procurer l’indispensable énergie de chauffage était un véritable défi.
Par exemple, une « verrerie de moyenne importance en forêt vosgienne consommait dans les années 1780 environ 30 000 stères de bois par an, soit un peu plus de cent par jour ouvrable, et en 1744, pour six maîtres souffleurs et quatre ouvriers attiseurs et manœuvres, employait à temps plein huit bûcherons et quatre voituriers, sans compter leurs aides occasionnels et leurs familles »[1]. Le Roi Soleil dans toute sa splendeur à Versailles vivait bien mal par rapport à nous : il avait besoin d’un grand nombre de serviteurs pour mal chauffer son château à partir d’énergie renouvelable (le bois). Par rapport à ce type d’énergie du passé la puissance extraordinaire qui a été découverte d’abord dans le charbon et ensuite dans le pétrole et le gaz a révolutionné notre vie, notre espérance de vie, notre qualité de vie, nos relations sociales et, en fait, tout ce qui fait le monde. Depuis la révolution énergétique nous avons la chance de disposer d’énergies modernes, modulables à souhait, qui nous permettent de bénéficier dans les pays OCDE d’un confort inégalé.
Ce changement radical a eu des effets immédiats sur la pénibilité du travail. Ceux qui pensent que dans le temps la vie des agriculteurs était bucolique et naturelle n’ont jamais bêché leur jardin à la main. Je me souviens que dans mon village d’origine en Calabre beaucoup d’hommes avaient leur corps tordu, leur échine courbée par le travail agricole éreintant. Retourner la terre, même pour un animal, est un travail extrêmement pénible. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle on a créé par sélection les chevaux de trait que ce soit pour les travaux agricoles, les besoins militaires ou le halage de bateaux naviguant sur les canaux.
Dès que le moteur thermique fut disponible l’agriculture a été mécanisée précisément afin d’éviter cette pénibilité. Selon les dernières données de la Banque mondiale, en 2000 il y avait 25 millions de tracteurs agricoles en exploitation dans le monde. 20 ans plus tard, on peut raisonnablement estimer qu’ils sont à présent 30 millions. En convertissant, largement par défaut, une puissance moyenne de 100 CV [b] en W et en attribuant à un travailleur une puissance de 100 W, on arrive à plus de 22 milliards d’équivalent homme. La puissance des tracteurs dans le monde représente au moins l’équivalent de la puissance de trois fois toute la population mondiale, seniors et enfants compris. Grâce aux produits pétroliers! L’élimination du dur labour a contribué nettement à l’amélioration de la santé des ouvriers agricoles et partant à l’augmentation de leur espérance de vie. La même conclusion peut être tirée pour tous les métiers manuels, comme le sidérurgiste ou le maçon [c].
Revenons au roi Soleil. Cette fois non pas pour chauffer son château, mais pour prendre son bain. Des bûcherons vont devoir abattre et débiter des arbres, des charroyeurs vont transporter ce bois jusqu’au château, des enfants vont probablement le couper en petit bois de chauffage, des servantes vont prélever une eau probablement peu potable à la fontaine, elles vont devoir chauffer l’eau en brûlant le bois tout en respirant la fumée nocive et ensuite transporter l’eau chaude jusque dans l’espace qui servait de salle de bain. Le roi avait de l’eau chaude mais grâce à de nombreux serviteurs. Aujourd’hui des pompes électriques transportent de l’eau qui a été rendue potable par des dispositifs énergivores, du gasoil ou du gaz naturel chauffe l’eau pour qu’on puisse prendre son bain dans une pièce bien chauffé sans effort. Qui est le serviteur virtuel qui permet cela ? L’énergie moderne. On calcule qu’en moyenne chaque européen dispose grâce à l’énergie moderne de quelques 150 serviteurs virtuels. Nous sommes tous devenus des Roi-Soleil. Cela conduit à une hygiène de vie inégalée qui a eu pour conséquence d’augmenter l’espérance de vie des Européens.
Cela se traduit par une augmentation de la consommation d’énergie proportionnelle au niveau de revenus. La Figure 3 illustre que la demande en énergie par habitant suit la croissance du PIB, à l’exception de certaines périodes de crise que l’on peut déceler dans les creux (voire aussi dans les retours) de la courbe. Ce sera le cas bien entendu avec la crise du Coronavirus Covid-19, mais bien qu’il y aura une chute du PIB, celle de la demande en énergie ne sera pas proportionnelle car la demande dans les hôpitaux, pour l’alimentation et le chauffage ne sera pas aussi impactée.
L’énergie fossile a augmenté l’espérance de vie
Pour paraphraser Thomas Hobbes, la vie sans énergie moderne est pauvre, désagréable et brève. La diminution de la pénibilité du travail, l’amélioration de l’hygiène, et en ces temps de Coronavirus ajoutons avec reconnaissance, l’amélioration extraordinaire des soins de santé ont contribué en grande partie à augmenter l’espérance de vie à la naissance.
Inversement, dans les pays peu développés ce confort qui nous est offert par l’énergie n’existe pas. Le travail agricole continue à être pénible : on estime qu’en Afrique seulement 15 % du travail agricole est fourni par des tracteurs, le reste étant encore le travail de l’homme et des animaux comme au XIXe siècle en Europe. Souvent en Afrique l’électricité fait défaut. Seulement 35% de la population subsaharienne a accès à l’électricité, qui plus est un accès totalement aléatoire et à très faible puissance. Souvent les personnes privilégiées qui sont connectées au réseau électrique disposent également chez elles d’un générateur électrique fonctionnant au diesel pour pallier les fréquents délestages ; l’Agence internationale de l’énergie estime que ces groupes électrogènes sont en croissance. Quant à la cuisine elle se fait encore essentiellement avec du bois (Figure 4), souvent du bois vert et/ou des bouses d’animaux, quand ce n’est pas en brûlant des bouteilles en plastique, ce qui créé des maladies pulmonaires et abrège la vie. Tout cela parce qu’il n’y a pas d’utilisation comme dans les pays OCDE d’énergie abondante et bon marché.
La Figure 5 compare l’évolution de la demande en énergie en Belgique (choisie comme exemple typique d’un État membre de l’UE) et en République Démocratique du Congo (RDC) (choisie comme exemple typique d’un pays africain). La demande en énergie par habitant n’a pas cessé de croître en Belgique, à l’exception de la période des crises pétrolières des années soixante-dix et de la crise post-subprimes. On observera à ce sujet qu’avant la crise pétrolière on gaspillait l’énergie de sorte que la demande était nettement plus élevée sans impact proportionnel sur l’espérance de vie. En Belgique on observe une assez bonne corrélation entre la consommation par habitant et l’espérance de vie. Bien entendu ce n’est pas le seul élément, puisque c’est avant tout le progrès de la médecine qui le permet .
Inversement en RDC la demande est pratiquement restée stable depuis l’indépendance à l’exception d’un petite hausse ces dernières années. D’évidence le pays n’a pas su se développer. On observe toutefois une augmentation de l’espérance de vie à la naissance malgré la stagnation de la consommation d’énergie grâce aux soins de santé de base, grâce aux progrès de la médecine (le plateau des années 1990 est probablement dû aux massacres au Kasaï et à la « guerre de libération »[d]).
Des corrélations entre espérance de vie et consommation d’énergie
Nous venons d’illustrer que l’espérance de vie n’est pas uniquement corrélée avec la consommation d’énergie. Mais il n’en demeure pas moins que la corrélation entre ces deux indicateurs existe bel et bien. Les graphiques suivants le montrent de manière irréfragable. La Figure 6 ne comporte pas les points pour les pays les plus pauvres, notamment ceux d’Afrique Subsaharienne, car leurs données sur la consommation d’énergie ne sont pas disponibles sur la base de données des Nations Unies. Autrement il y aurait beaucoup plus de points sur le côté gauche de la figure. La figure montre clairement avec la courbe de régression qu’il y a un plafonnement dans l’espérance de vie bien entendu. On observe qu’une augmentation très forte de la consommation d’énergie ne contribue en rien à l’augmentation de l’espérance de vie : le gaspillage d’énergie ne rallonge pas la vie.
Par contre pour le HDI on a de plus nombreuses données. L’indice de développement humain (IDH – HDI en anglais) créé par les Nations Unies est un indice composite mesurant les résultats moyens dans trois dimensions fondamentales du développement humain : une vie longue et saine, le niveau d’éducation et un niveau de vie décent. Ainsi la Figure 7 illustre bien l’impact de la consommation d’énergie sur une bonne qualité de vie.
Puisque les énergies fossiles émettrices de CO2 représentent 80% de la demande en énergie mondiale, ces deux corrélations se déclinent également pour les émissions de CO2 (Figure 8 et Figure 9). De manière irréfutable il apparaît que l’augmentation de l’espérance de vie et de la qualité de vie exprimées selon l’indicateur des Nations unies s’accompagnent d’une augmentation des émissions de CO2. Bien que, comme on l’a vu au début, on qualifie les émissions de CO2 de pollution, c’est bien le contraire qui est la réalité : les habitants des pays qui émettent peu de CO2 ont une vie pauvre, désagréable et brève. Inversement, pour améliorer nos conditions de vie il importe de consommer de l’énergie et partant d’émettre du CO2. C’est une lapalissade…
L’électricité, un indicateur irréfutable de la qualité de vie
Nous avons mentionné au début la profonde transformation de l’arrivée du moteur thermique dans l’agriculture. C’est aussi vrai pour l’arrivée de l’électricité comme l’illustre la Figure 10. L’électricité a changé la vie et l’a prolongée. Nous allons le voir avec une autre série de graphiques (Figure 11 et Figure 12) qui corrèlent l’espérance de vie à la naissance et le HDI avec cette fois l’électrification en milieu rural. Les points très en dehors de la ligne de régression s’expliquent souvent à cause de circonstances particulières comme par exemple le Nigeria qui grâce à ses richesses en hydrocarbures électrifie le pays plus que d’autres.
On observe que l’espérance de vie et la qualité de vie sont nettement plus faibles dans les pays où l’électricité pénètre moins. D’après les courbes des deux graphiques on constate que les deux indicateurs varient énormément pour une électrification de 100% ; c’est normal car bien entendu l’électrification n’est qu’un des paramètres qui ont un impact sur la qualité de vie et l’ espérance de vie à la naissance.
Les 10 premiers pays ayant une espérance de vie élevée sont dans l’ordre Hong Kong, Chine, Japon, Suisse, Espagne, Singapour, Italie, Australie, Islande, France et Israël. De l’autre côté, les espérances de vies les plus brèves sont au Burundi, Guinée-Bissau, Sud Soudan, Lesotho, Côte d’Ivoire, Nigeria, Tchad, Centre Afrique et Sierra Leone.
Nous devons constater sur base des données des Nations Unies que contrairement à une idée très répandue dans certains pays de l’UE que l’utilisation de l’énergie, l’électrification et les émissions de CO2 qui en résultent sont sources de vie : ils procurent une longue vie et une vie de qualité. Vouloir à tout prix réduire les émissions de CO2 et dire aux peuples en développement qu’ils ne doivent pas suivre notre modèle de développement est d’évidence un objectif de certains Européens ; ce n’est certainement pas le cas des Africains.
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Le dernier ouvrage de Samuele Furfari est « Énergie 2019, Hystérie climatique et croissance des énergies fossiles »
Références
[a] Energy, Richard Rhodes, Simon & Schuster, May 2018
[b] Les motoculteurs amateurs ont une puissance de 5 à 10 CV tandis que les gros tracteurs utilisés dans les grandes propriétés agricoles, par exemple aux USA ou en Argentine, ont une puissance de 600 CV.
[c] Ces dernières années on a interdit les sacs de ciment et autres produits de la construction de 50 kg comme ils existaient depuis toujours ; on a limité leur poids à 25 kg parce que cela a moins d’impact sur la santé.
[d] En 1992, dans la province du Katanga, il y a eu une campagne d’épuration ethnique à l’encontre de l’ethnie baluba, originaire de la province du Kasaï. On estime le nombre de morts entre 50.000 à 100.000 et plusieurs milliers de déplacés. En 1996-97, Guerre dite de “libération par les troupes de Laurent Désiré Kabila” contre le régime de Mobutu a fait d’autres milliers de morts.
[e] Dans « European Electricity – Flashback on a momentous era, spotlight on an exciting future, Eurelectric, 2007.
[1] Hémery Daniel, L’avenir du passé, La dépendance charbonnière de la société mondiale, Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), Ecologie & politique, 2014/2 N°49 | pages 23 à 41
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