André Dorais
Selon l’opinion populaire la «crise de la dette» n’est pas due aux mauvaises décisions gouvernementales, mais aux excès des financiers lors de la crise précédente. Les gouvernements se sont endettés, car ils n’avaient pas le choix de réparer les pots cassés. Dans ce but, ils ont augmenté la durée des prestations d’assurance-emploi, renfloué les banques, nationalisé quelques institutions financières, etc.
Les gouvernements ne peuvent pas faire autrement, car ces institutions sont trop grandes pour échouées. S’ils en laissent une tomber, ce sont toutes les banques qui risquent de tomber à leur tour. Ainsi est fait le capitalisme, du moins selon l’opinion populaire. L’État est donc nécessaire pour le corriger, ou pour reprendre le qualificatif utilisé par le président Sarkozy en 2008, le «moraliser». Les hommes de l’État ne lui viennent pas en aide de gaieté de cœur, mais parce qu’ils n’ont pas le choix.
Quatre ans après le début de la crise économique certaines banques manquent toujours de liquidités, d’où que l’État doit de nouveau leur venir en aide. En contrepartie de cette aide l’État s’arroge un plus grand contrôle des banques : il leur dicte le niveau de perte à encourir, leur impose des taux de solvabilité plus stricts, des taux moins élevés de réserve, etc. Il cherche également les moyens de les taxer davantage. Après tout, s’il doit faire le travail à leur place il faut que cela se paye! Considérant que l’indignation de la population est à son comble, ce ne serait que justice rendue de les taxer davantage.
Non seulement ces suggestions laissent entendre que les coupables de la crise de 2008 aient été clairement identifiés, mais elles cachent mal un désir de vengeance. Or, que les financiers en soient les seuls coupables et que l’État soit seul capable de corriger la situation ne tient pas la route. Non seulement la crise de 2008 n’est pas due aux banquiers véreux, mais les mesures prises depuis cette date par les gouvernements et les banques centrales aggravent la situation.
Petit retour sur la crise de 2008
Si, comme la majorité des gens semblent le croire, les financiers constituent la cause principale de la crise de 2008, alors pourquoi sont-ils plus cupides à certaines périodes que d’autres? Pourquoi leur cupidité exprimée lors des années 2000 à 2007 aurait-elle été plus élevée que la moyenne historique au point de conduire à la crise de 2008? Prétendre que les professionnels du secteur financier y soient attirés par l’argent ne répond pas à la question. Encore faut-il expliquer pourquoi cette période a conduit les financiers à être plus cupides qu’à l’habitude. Lorsqu’on cherche les explications d’une période de «grande cupidité», on ne cherche pas vraiment à découvrir la nature humaine, mais les raisons qui l’ont nourrie.
En se concentrant sur les années 2000 à 2007 on peut démontrer que le gouvernement américain a nourri les «spéculateurs» avec ses faibles taux d’intérêt et ses politiques dites «progressistes». Certes, les faibles taux d’intérêt ont permis l’essor de produits dérivés qui jusque-là étaient réservés aux «initiés», mais on ne peut pas blâmer ces produits pour la crise. La responsabilité revient à ceux qui les utilisent. Ces produits sont complexes, mais ils sont offerts à des prix alléchants, d’où leur popularité. Considérant que leurs prix se fondent sur les taux directeurs fixés par les banques centrales, on doit conclure qu’ils sont d’abord viciés par elles plutôt que les financiers, par la bureaucratie plutôt que le capitalisme.
En sus de ces interventions monétaires il y eut les interventions réglementaires. La «Loi de financement communautaire» (Community Reinvestment Act) avec l’appui du groupe de pression ACORN ont conduit les banques à baisser la garde. D’autant plus que Fannie Mae et Freddie Mac, à l’époque institutions quasi gouvernementales, avaient également baissé la leur dans le but d’accroître le nombre de propriétaires de maisons.
À ces commandes du niveau fédéral se sont ajoutées celles mises de l’avant par certains États américains pour «préserver» leur communauté. Malheureusement, tout ce que ces mesures ont préservé sont des terrains d’une vente potentielle. La contrepartie de ce «protectionnisme communautaire» fut une flambée des prix des terrains qui restaient à vendre et des maisons qui s’y rattachaient. Ce qui devait arriver arriva, c’est-à-dire que cette hausse fulgurante des prix s’est effondrée encore plus vite. Résultat prévisible pour tout bon économiste, mais inattendu pour les autres.
En somme, avant d’accuser les banquiers de la crise de 2008, on doit évaluer leur conduite à l’aune de toutes ces interventions gouvernementales. Dans cette perspective, il n’est pas toujours évident d’établir la démarcation entre une conduite raisonnable et une conduite abusive.
D’une crise économique à l’autre
Pour sortir de la crise de 2008 les gouvernements se sont endettés comme jamais auparavant. Hausse et prolongation des prestations d’assurance-emploi, dépenses en tout genre et, évidemment, hausse des taxes et des impôts. Le résultat de ces remèdes? En ce début d’année 2012 l’Europe est de nouveau en crise, le Japon et les États-Unis, dans la dèche, et les membres du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) fonctionnent au ralenti.
Le pire est que pour contrer cette nouvelle crise la plupart des experts réclament d’autres interventions gouvernementales, plus musclées. Il y a ceux qui ne jurent que par les politiques monétaires expansionnistes, c’est-à-dire une hausse de la base monétaire et le maintien du taux directeur à un niveau historiquement bas. Un taux directeur peu élevé encourage les gens à consommer, ce qui, à leurs yeux, est nécessaire pour relancer l’économie. En temps normal, les banques prêtent plus d’argent lorsque le taux d’intérêt est peu élevé et d’autant plus facilement que le taux de réserve est, lui aussi, peu élevé.
Le taux de réserve constitue la somme d’argent qui doit rester ou bien dans les voûtes des banques ou bien dans celles des banques centrales. Une réduction de ce taux constitue donc un incitatif pour les banques privées d’accroître la masse monétaire, ce qui, à son tour, tend à transférer leur risque d’insolvabilité aux autres agents économiques. Rappelons qu’une hausse du taux de solvabilité des banques est une condition mise de l’avant par les politiciens pour démontrer à leur électorat qu’ils agissent dans leurs intérêts. Malheureusement, pour rendre les banques solvables les autorités des banques centrales ne trouvent rien de mieux à faire que de réduire le pouvoir d’achat des consommateurs. Ces politiques ont quand même des avantages : elles permettent aux banques de survivre tout en permettant aux politiciens de se vanter auprès de la population en lui disant qu’ils leur serrent la vis...
Encore une fois, ces politiques inflationnistes sont mises de l’avant, car plusieurs experts les réclament. Ceux-ci font peu de cas des seuils de solvabilité, car ils peuvent être atteints facilement dès lors que les banques centrales substituent de l’argent neuf aux actifs bancaires de piètre qualité. Considérant que certaines banques centrales aient procédé de la sorte lors de la dernière crise économique, ils se demandent pourquoi elles hésitent à refaire l’opération. Après tout, se disent-ils, ce faisant les cibles de solvabilité seraient atteintes et les banques pourraient prêter de l’argent de nouveau sans soucis... Il va sans dire que cette façon de procéder soulève quelques questions dont une de nature éthique, mais puisque c’est légal ils ne semblent pas s’en faire outre mesure. C’est d’autant plus facile à faire avaler à la population que la majorité d’entre elle pointe du doigt les financiers pour la crise et revendique l’aide des gouvernements pour en sortir.
D’autres économistes et professionnels de la finance voient un risque de déflation si les autorités persistent à augmenter le seuil de solvabilité des banques. Selon eux, si les banques vendent leurs actifs en masse trop rapidement pour atteindre ledit seuil non seulement risquent-elles d’en obtenir un prix dérisoire, mais elles pourraient entraîner à la baisse l’ensemble des marchés. Leur raisonnement est le suivant : plus les banques vendent leurs actifs, plus leurs prix tendent à baisser et plus ils baissent, plus elles doivent en vendre pour rencontrer les seuils de solvabilité. Bref, pour ces experts il s’agit d’un cercle vicieux que l’on doit éviter. Leur solution? En sus de retarder l’entrée en vigueur des taux plus stricts de solvabilité, ils souhaitent que les gouvernements maintiennent ou augmentent leurs dépenses.
En somme, bien que ces professionnels de la finance critiquent les gouvernements, ils ne les implorent pas moins d’intervenir davantage pour sortir de la crise. Ils préconisent les mêmes remèdes que ceux utilisés en 2008, seule la dose recommandée diffère. Dire qu’on les qualifie d’experts du marché…
Les hommes de l’État sont ravis de ces critiques, car elles les encouragent à renouveler leurs interventions avec plus de vigueur. Dans ce contexte, on n’est guère surpris de constater qu’ils sauvent les banques de la faillite malgré qu’ils les considèrent coupables des crises économiques. Elles sont apparemment trop grandes pour échouées. Plusieurs entreprises ne seront jamais sauvées de la faillite par les gouvernements malgré qu’elles soient maintes fois plus grandes que la plupart des «grandes banques». Ce n’est donc pas tant la grandeur des banques qui fait problème que leur importance pour les gouvernements.
Les banques sont érigées en cartel par les gouvernements dans le but principal de contrôler l’émission de monnaie. Il s’agit ni plus ni moins d’un monopole camouflé derrière une concurrence de surface. On nage ici dans des eaux très «socialisées», c’est-à-dire où les gouvernements interviennent de plus en plus depuis des décennies. Malheureusement, à entendre la majorité des gens, profanes et experts, c’est le capitalisme qui est à blâmer! Ils supplient les gouvernements d’en faire plus et mieux, alors que, au contraire, ceux-ci devraient en faire moins.
Si l’entreprise Walmart déclare faillite entraînera-t-elle les autres détaillants dans son sillage? Si Exxon Mobil (Esso au Canada) déclare faillite, est-ce que les autres pétrolières feront faillites à leur tour? Si la réponse est négative, alors pourquoi doit-on craindre la faillite d’une «grande banque»? Les politiciens ont raison de craindre un effet domino suivant la faillite d’une grande banque, mais on doit se poser la question à savoir pourquoi cet effet est possible uniquement dans ce secteur d’activité? La réponse courte est que ce secteur manque de concurrence et s’il manque de concurrence, c’est parce qu’il est sous le contrôle de l’État.
Non seulement plusieurs États résistent mal à la tentation de sauver leurs grandes banques, mais ils garantissent l’argent des déposants. Or, puisque cette garantie s’appuie sur un fonds de secours pratiquement inexistant, c’est la taxation, l’imposition et l’inflation qui en tiennent lieu. Considérant que les revenus tirés de ces sources proviennent davantage des tiers partis que des clients eux-mêmes, il s’ensuit que responsabiliser les banques et les investisseurs s’avèrent un objectif pratiquement impossible à atteindre. Finalement, si on ne peut responsabiliser ni les banques, ni les investisseurs par cette façon de se financer, alors on doit s’attendre à d’autres crises économiques tôt ou tard.
Le monopole d’État sur la monnaie rend irresponsable à la fois les banques, investisseurs et politiciens. Les banques deviennent irresponsables, car les gouvernements sont toujours prêts à les renflouer. Les investisseurs deviennent irresponsables, car les gouvernements leur garantissent la valeur nominale de leurs dépôts. Enfin, les gouvernements deviennent irresponsables, car les banques sont toujours prêtes à leur acheter leurs dettes, dites «souveraines».
L’interventionnisme de l’État, en finance comme ailleurs, rend irresponsable et là où il y a irresponsabilité, il y a appauvrissement. Personne n’y gagne, si ce n’est qu’à court terme et au détriment d’autrui. Dire que l’interventionnisme de l’État s’appuie, entre autres choses, sur la démocratie n’est pas faux, mais cela ne le légitime pas pour autant. L’interventionnisme de l’État s’appuie en dernier lieu sur le pouvoir de taxer et d’imposer, c’est-à-dire sur la coercition. Une coercition qui a l’appui de la majorité n’en demeure pas moins de la coercition. C’est être peu exigeant que de s’en contenter. C’est l’équivalent de dire qu’on a toujours besoin d’imposer à autrui son idée du bien.
La différence entre cette façon de procéder et une dictature en est une de degré, non de principe. Ou bien l’on tend vers plus de libertés individuelles, ou bien vers le socialisme. Il n’existe pas de juste milieu en praxéologie (économie), mais des tendances ou des directions. Les tendances constatées en ce moment, dans la plupart des démocraties dites «avancées», sont centralisatrices. De plus en plus de décisions échappent aux individus au profit d’une poignée d’autres individus qui soi-disant les représentent. Peu de respect est accordé à la propriété et à la liberté individuelles.
L’option libérale
Lorsque des individus exigent plus d’interventions des politiciens et que ceux-ci s’empressent d’y répondre favorablement, il y a lieu de s’inquiéter. On doit rappeler qu’il existe une autre vision économique, plus libérale, mais également plus exigeante pour chaque individu. Elle n’exclut pas la solidarité, mais il est vrai qu’elle ne l’oblige pas non plus. Elle n’est pas aussi injuste qu’on veuille bien la dépeindre. Elle est surtout mal comprise. Ceci étant dit, elle sera toujours détestée par ceux et celles qui croient être en mesure de modeler l’homme à leur image.
Du strict point de vue économique on parle plus volontiers de capitalisme plutôt que de libéralisme, mais on hésite toujours à utiliser cette expression, car pour la plupart des gens elle a une connotation négative. Faut-il rappeler qu’à chaque crise économique, c’est le capitalisme qu’on pointe du doigt? Comment s’en surprendre lorsqu’on sait que cette expression fut popularisée par nul autre que Karl Marx?
À l’instar de l’ex-Premier ministre du Canada, Jean Chrétien, qui qualifiait les souverainistes de séparatistes, Marx traitait les libéraux de son époque de capitalistes dans le même but, soit de faire peur à la population. Les libéraux ne parlent que de capital, ceux qui le détiennent sont des capitalistes et des exploiteurs, par conséquent les libéraux sont des capitalistes, disait-il en substance. «Oui, nous sommes des séparatistes» avait répondu l’ex-chef des souverainistes, Lucien Bouchard, «et après?» Les véritables libéraux pourraient répondre de même façon à leurs détracteurs, mais cela demeure insuffisant pour sortir de la crise. Discréditer ses opposants soulage ses bas instincts, mais ne règle rien.
Les démocraties s’endettent à un rythme fou notamment à cause du monopole d’État sur la monnaie. Par conséquent, il est temps de le remettre en question. Il est aussi temps de remettre en question l’interventionnisme à tout crin et la facilité qu’ont les politiciens à piger dans les poches des contribuables. Trouver des boucs émissaires pour les crises économiques n’est qu’une façon d’éviter le sujet. Cela ne permet ni de les régler, ni de les éviter.
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