Sans connaître l’ampleur des coûts, des confinements à répétition reviennent à prendre une deuxième hypothèque sans même connaître le montant de la dette qui subsiste sur la première.
Un article de l’IEDM
Le gouvernement du Québec a annoncé des règles de confinement plus strictes avant la période des Fêtes. Or, les confinements à répétition, même partiels, sont susceptibles de transformer une crise temporaire comparable à une catastrophe naturelle en une dépression prolongée pour les petites et moyennes entreprises qui emploient près de 90 % des Canadiens qui travaillent dans le secteur privé(1).
Des études sur les catastrophes naturelles et sur les mesures fiscales temporaires suggèrent que le simple fait de prolonger la durée ou la fréquence d’une menace peut en amplifier considérablement l’incidence, voire la multiplier à long terme.
Le 26 octobre dernier, le Québec a prolongé de quatre semaines les confinements « partiels »(2), alors que les « quelques semaines » de restrictions initialement prévues(3)s’étendent maintenant sur huit mois. Hélas, le carnage que subissent les PME et les emplois qui en dépendent est tout sauf partiel.
LE BILAN ACTUEL DES DOMMAGES LIÉS AU CONFINEMENT
Le premier confinement de la Covid-19 a déjà eu un effet dévastateur sur l’économie canadienne. Le taux de chômage a atteint 13,7 %(4), un niveau sans précédent depuis la Grande Dépression.
Par ailleurs, des analyses économiques suggèrent que la prolongation ou la répétition des confinements, même modérés, pourraient paradoxalement causer davantage de dommages. En effet, même si les mesures de confinement ponctuelles détruisent la richesse, les incitations économiques demeurent en grande partie intactes.
En revanche, les confinements à répétition, même partiels, risquent de causer des dommages permanents, notamment pour les PME qui doivent désormais composer avec un risque de catastrophe continu.
Comme nous le verrons plus loin, une littérature économique considérable sur les catastrophes naturelles et les modifications fiscales suggère que la continuité peut à elle seule accroître considérablement les dommages, même si les confinements répétés ne sont que partiels.
Avant même que les présentes mesures de confinement partiel ne soient prolongées, les PME canadiennes se trouvaient déjà dans une situation précaire. Dan Kelly, président de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), a récemment publié un sondage qui révèle que huit PME canadiennes sur dix sont particulièrement préoccupées par la deuxième vague de confinements et que 56 % d’entre elles affirment qu’elles n’y survivront pas(5).
M. Kelly affirme avoir reçu 60 000 appels de propriétaires de PME inquiets et plusieurs d’entre eux ont même songé au suicide alors que leurs affaires s’effondraient(6).
On estime que neuf PME sur dix ont connu une baisse catastrophique de 70 % de leurs recettes en moyenne et que le nombre d’employés a été réduit de moitié, alors qu’une entreprise sur dix a dû licencier l’ensemble de son personnel. M. Kelly a souligné que la grande majorité des entreprises encore en activité perdaient de l’argent jour après jour en espérant une réouverture rapide, mais qu’une deuxième vague leur fera perdre tout espoir.
Entre-temps, les Canadiens sont de plus en plus pessimistes(7) à l’égard de l’économie, dans la mesure où les confinements se prolongent sans qu’on puisse en voir la fin. Après une légère reprise, l’indice de confiance canadien Bloomberg Nanos, qui mesure la santé financière et les perspectives économiques, recule de semaine en semaine pour atteindre des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis le mois d’août(8).
Devant la perspective d’un deuxième confinement, imposé par le Québec quelques jours plus tard, Goldy Hyder, président du Conseil canadien des affaires, prédisait que cette situation serait « catastrophique »(9).
Et ce ne sont pas seulement les emplois et les entreprises qui sont menacés, mais aussi le caractère même des villes canadiennes. Une étude récente de la Chambre de commerce de l’Ontario a révélé que les licenciements sont essentiellement concentrés dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement, des divertissements et des loisirs et du commerce de détail, lesquels forment ensemble le tissu urbain(10).
Même avant la pandémie, le déclin de zones commerciales comme le corridor de la rue Saint-Denis à Montréal(11)en raison de charges fiscales et réglementaires agressives et discriminatoires suscitait de vives inquiétudes, si bien que les confinements en cours risquent de décimer complètement ces entreprises déjà en difficulté.
Plus les confinements se prolongent, plus le risque est grand de se réveiller à Montréal, Québec ou Toronto avec l’impression de se retrouver dans une « ville fantôme » où les restaurants, les arts et les commerces de détail se font de plus en plus rares.
Radio-Canada rapportait récemment que cet effondrement à petit feu est déjà en cours dans le Vieux-Québec, alors que de nombreux commerces ferment leurs portes définitivement. Quelque 22 d’entre eux avaient déjà jeté l’éponge(12)et plusieurs autres sont susceptibles d’en faire autant. Quelques jours plus tard, Time Out Montréal rapportait deux fois plus de fermetures définitives de restaurants montréalais emblématiques(13).
Dans le même ordre d’idées, les experts mettent en garde contre un tsunami de faillites, tant pour les particuliers que pour les PME, alors que les tribunaux rattrapent le retard accumulé en raison de la Covid-19(14).
LE DANGER DES CONFINEMENTS PROLONGÉS
La solution est pourtant simple : il faut cesser d’imposer des mesures de confinement aux PME. Une vaste littérature économique démontre que les changements permanents ont une incidence bien plus importante que les changements temporaires.
La théorie du revenu permanent(15)et celle du cycle de vie(16), élaborées dans les années 1950 par les lauréats du prix Nobel Milton Friedman et Franco Modigliani respectivement, sont à la base de décennies de recherche. Ces deux modèles postulent que les changements temporaires sont « amortis » sur une plus longue période, voire sur toute une vie, de sorte que leur incidence demeure relativement faible, tandis que les changements permanents ont une incidence beaucoup plus importante(17).
Au cours des 70 années suivantes, ces théories ont été appliquées à un nombre de réalités économiques, de l’épargne à la consommation, en passant par les catastrophes naturelles et les impôts.
Par exemple, un article de 2009 concluait que les catastrophes naturelles modérées seraient susceptibles de promouvoir la croissance à long terme. Ainsi, les inondations seraient particulièrement utiles, les tremblements de terre auraient un effet mitigé et les tempêtes stimuleraient temporairement le PIB, probablement en raison des travaux de réparation(18).
Un article antérieur avait établi que les catastrophes naturelles favorisent la croissance à long terme en provoquant une mise à jour du stock de capital(19), tandis qu’un article de 2018 avait constaté des effets positifs lorsque des biens durables étaient détruits (voitures, meubles, etc.), et des effets négatifs lorsque du capital productif, comme des entreprises ou des usines, était détruit(20).
De manière générale, les études démontrent que les catastrophes naturelles de courte durée ont un effet remarquablement faible sur la production économique.
Bien entendu, les catastrophes naturelles ne sont pas positives pour autant, dans la mesure où même les voitures et les maisons endommagées sous-entendent une destruction de la richesse, un argument clairement formulé il y a deux siècles par Frédéric Bastiat et aujourd’hui connu sous le nom de sophisme de la vitre cassée(21).
Il n’en reste pas moins que les conséquences d’un événement ponctuel sont étonnamment faibles selon la littérature économique.
Il existe également une vaste littérature sur les effets économiques des modifications fiscales et des subventions gouvernementales. En bref, les changements temporaires ont peu de répercussions sur les comportements, si ce n’est sur l’épargne, tandis que les changements permanents entraînent une modification beaucoup plus importante des comportements du fait de leur incidence sur les incitations(22).
Par exemple, une étude révèle qu’une réduction permanente du taux d’imposition des sociétés entraîne un effet de croissance supérieur de 39 % après un an par rapport à une réduction temporaire. Cet écart se multiplie par 26 sur une période de dix ans en raison des effets négatifs de la réduction temporaire par rapport au scénario de base après quelques années (voir la Figure 1).
Ainsi, les réductions temporaires ne parviennent pas à provoquer les changements de comportement à long terme observés avec les réductions fiscales permanentes(23).
De la même manière, les paiements de relance temporaires, souvent présentés comme un moyen de stimuler les dépenses en période de récession ou de crise, ne parviennent généralement pas à modifier les habitudes de dépenses et tendent à se traduire par une augmentation de l’épargne.
Lors de la récession de 2001, à peine 22 % des paiements fédéraux de relance aux États-Unis ont été dépensés(24), alors que cette année, tout juste 27 % des paiements liés à la Covid-19 l’ont été(25).
Sur le plan du PIB, une étude a révélé que des paiements de relance temporaires équivalant à 3 % du PIB annuel sur un an ne réduisent le chômage que de 1 %, ce qui signifie que plutôt que de modifier les comportements, la majeure partie de ces paiements a simplement été épargnée(26).
Bien que les économies soient nécessaires à la croissance de l’économie à long terme, ces conclusions, combinées à la littérature sur les catastrophes naturelles, suggèrent que les changements temporaires ont une incidence bien moindre sur le comportement que les changements permanents.
Dans le contexte de la Covid-19, il en ressort que des confinements répétés, même s’ils sont plus modérés que les premiers, risquent de transformer une crise temporaire en une catastrophe beaucoup plus importante. Le risque inhérent aux confinements répétés oblige les PME à assumer des coûts permanents en matière de mitigation, mais aussi à gérer un risque continu de catastrophe qui pourrait dissuader bon nombre d’entre elles de reprendre leurs activités.
Au moment d’évaluer les dommages, il est important de se rappeler que l’ampleur véritable des retombées économiques liées au premier confinement est encore loin d’être connue. Ceci est dû à la quasi-fermeture des tribunaux de la faillite pendant la Covid-19 ainsi qu’aux prestations d’urgence qui permettent d’éviter les faillites, mais qui ne sont pas fiscalement viables(27).
Les experts en faillite ont mis en garde contre une « augmentation importante des défauts de paiement et des faillites des particuliers » à mesure que la PCU et d’autres mesures d’aide prennent fin(28).
Sans connaître l’ampleur de ces coûts, des confinements à répétition reviennent à prendre une deuxième hypothèque sans même connaître le montant de la dette qui subsiste sur la première.
Une telle mesure est d’autant plus imprudente que les données sur les avantages du confinement sont limitées. L’Organisation mondiale de la santé a longtemps déconseillé de telles mesures, estimant que les coûts énormes n’en valaient pas la peine(29). En effet, tout porte à croire que les confinements liés à la Covid-19 n’ont pas réduit le nombre de cas critiques ou de décès de manière importante aux États-Unis et en Europe (voir la Figure 2), pour la simple raison que la distanciation sociale était essentiellement volontaire(30). Qui plus est, les confinements ont ciblé les travailleurs qui sont généralement plus jeunes donc moins vulnérables.
Un nombre croissant de publications considèrent que les confinements sont susceptibles de coûter plus de vies qu’ils n’en sauvent, du fait des « maladies du désespoir » liées au chômage de masse et aux faillites, notamment les suicides, la violence conjugale et les surdoses mortelles(31). Lorsqu’il s’agit de gérer la crise de la Covid-19, nous ne devrions pas perdre de vue que le chômage de masse et la pauvreté sont également mortels.
Dans la mesure où les Canadiens n’ont jamais imposé de confinements de cette envergure, nous ignorons encore la gravité de la situation et la valeur du « multiplicateur de permanence ».
Toutefois, sur la base de 70 années de littérature empirique et de théories économiques éprouvées, nous pouvons affirmer avec certitude que des confinements répétés, même modérés, sont susceptibles de se révéler chaque fois plus dévastateurs pour les PME confrontées à des choix difficiles dans un contexte de catastrophe qui tend à se perpétuer.
Pour toutes ces raisons, nous devons mettre un terme définitif aux confinements généralisés et concentrer nos efforts sur la protection des populations et des entreprises vulnérables face à la pandémie et aux politiques coûteuses et contre-productives qui en découlent.
- Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Principales statistiques relatives aux petites entreprises, Gouvernement du Canada, novembre 2019, p. 13.
- Adam Kovac, « Quebec’s red-zone restrictions extended another 28 days: Legault », CTV News, 26 octobre 2020.
- The Canadian Press, « Officials say efforts by Canadians to flatten the curve of COVID-19 are working », CTV News, 2 mai 2020.
- David MacDonald, « Canada’s job losses reach Great Depression levels. Here’s how we move forward », Behind the Numbers, 5 juin 2020.
- Hilary Punchard, « 56 % of small businesses won’t easily survive a second COVID lockdown: Survey », BNN Bloomberg, 8 octobre 2020.
- Liz Braun, « Another COVID lockdown will crush small businesses: Survey », Toronto Sun, 9 octobre 2020.
- Shelly Hagan, « Canada becomes a country of pessimists with economic gloom deepening on rising virus cases », Financial Post, 26 octobre 2020.
- Shelly Hagan, « Canadians are feeling worse every week about the state of the economy », Financial Post, 19 octobre 2020.
- Larysa Harapyn, « A second lockdown would be catastrophic for Canadian businesses », Financial Post, 29 septembre 2020.
- Ontario Chamber of Commerce, « Grim view on economy, but businesses cautiously optimistic about their outlook, survey reveals », 8 octobre 2020.
- Ville de Montréal, « Le Plateau-Mont-Royal dévoile un plan d’action complet de relance de la rue Saint-Denis, une première à Montréal », 19 août 2019.
- Jonathan Lavoie, « 22 commerces fermés dans un Vieux-Québec ébranlé par la pandémie », Radio-Canada, 15 octobre 2020.
- JP Karwacki, « 31 notable Montreal restaurants and bars that have permanently closed », Time Out, 19 octobre 2020.
- Pete Evans, « Personal bankruptcies fell to record low in April, but could be poised to soar », CBC News, 4 juin 2020.
- Milton Friedman, Theory of the Consumption Function, Princeton University Press, 1957.
- Franco Modigliani, The Collected Papers of Franco Modigliani, Volume 6, The MIT Press, juillet 2005.
- John B. Taylor, « Why Permanent Tax Cuts Are the Best Stimulus », The Wall Street Journal, 25 novembre 2008.
- Thomas Fomby, Yuki Ikeda et Norman Loayza, « The Growth Aftermath of Natural Disasters », Journal of Applied Econometrics, vol. 28, 28 octobre 2011, p. 422-430.
- Mark Skidmore and Hideki Toya, « Do natural disasters promote long-run growth? », Economic Inquiry, vol. 40, no 4, 2002, p. 676.
- Holger Strulik et Timo Trimborn, Natural Disasters and Macroeconomic Performance, Environmental and Resource Economics, vol. 72, no 4, 7 mars 2018, p. 1093.
- Claude Frédéric Bastiat, « The Broken Window », Mises Daily Articles, 2009.
- Charles Steindel, « The Effect of Tax Changes on Consumer Spending », Current Issues in Economics and Finance, vol. 7, no 11, décembre 2001, p. 5.
- Calculs de l’auteur. Alan Cole, « Why Temporary Corporate Income Tax Cuts Won’t Generate Much Growth », Tax Foundation Fiscal Fact, no 549, juin 2017, p. 4.
- Matthew Shapiro et Joel Slemrod, « Consumer response to tax rebates », National Bureau of Economic Research, décembre 2001, p. 15.
- Olivier Coibion, Yuriy Gorodnichenko et Michael Weber, « How Did U.S. Consumers Use Their Stimulus Payments? », National Bureau of Economic Research, août 2020, p. 11.
- Laurence S. Seidman et Kenneth A. Lewis, « A Temporary Tax Rebate in a Recession: Is It Effective and Safe ? », Business Economics, vol. 41, no 3, juillet 2006, p. 37.
- Pete Evans, op. cit., note 14.
- Idem.
- Organisation mondiale de la santé, Global Influenza Programme, Non-pharmaceutical public health measures for mitigating the risk and impact of epidemic and pandemic influenza, 2019, p. 3.
- Rabail Chaudhry et al., « A country level analysis measuring the impact of government actions, country preparedness and socioeconomic factors on COVID-19 mortality and related health outcomes », EClinicalMedicine, vol. 25, 1er août 2020, p. 5; Sumedha Gupta, Kosali Simon et Coady Wing, « Mandated and voluntary social distancing during the COVID-19 epidemic », Brookings Papers on Economic Activity, 25 juin 2020.
- Dominik A. Moser et al., « Years of life lost due to the psychosocial consequences of COVID19 mitigation strategies based on Swiss data », European Psychiatry, mai 2020, p. 13; Frederik Feys, Sam Brokken et Steven De Peuter, Risk-benefit and cost-utility analysis for COVID-19 lockdown in Belgium: the impact on mental health and wellbeing, PsyArXiv, 22 mai 2020, p. 3-12.
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