Le quotidien Les Échos titrait, ce jeudi 19 novembre 2020 : « Made in France : les premiers projets de réindustrialisation se concrétisent ». Le gouvernement vient en effet de dévoiler, par la voix d’Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’industrie, une liste de 31 projets industriels subventionnés par l’État dans le cadre du plan de relance. Ce dernier doit mobiliser 600 millions d’euros sur trois ans pour soutenir des projets industriels. Ces 31 premières usines se répartiront ainsi 140 millions d’euros pour créer 1 800 emplois directs.
Des projets qui n’ont pas besoin de subventions
Les projets aidés sont très divers, de la chimie à la production d’aluminium, en passant par la fabrication d’équipements électroniques, d’arôme de vanille ou l’élevage d’insectes. S’agissant de cette dernière activité, le plan de relance va permettre, selon Les Échos, à InnovaFeed, « spécialiste de la transformation d’insectes » de créer une usine dans la Somme d’une capacité de production de 10 000 tonnes de protéines d’insectes grâce à l’utilisation des déchets de l’amidonnerie voisine du sucrier Tereos.
Encore une fois, nous nous posons la question de l’utilité de ces subventions. Car si l’on en croit le journal Le Monde daté du 21 janvier 2020, la construction de l’usine d’InnovaFeed était en train de s’achever. Elle aurait même démarré la production avec une trentaine de salariés selon la radio France Bleu Nord et aurait été inaugurée il y a quelques semaines. On apprend aussi, par L’Usine nouvelle cette fois, qu’InnovaFeed vient de lever 140 millions d’euros auprès de fonds d’investissement et de banques.
Le plan de relance consécutif à la crise pandémique subventionne donc une usine sortie de terre depuis 10 mois et une entreprise qui, manifestement, a déjà beaucoup d’argent. N’est-ce pas là jeter l’argent par les fenêtres ? Les autres projets industriels financés en sont-ils au même stade d’avancement ? Le plan de relance ne serait-il qu’une vaste opération de communication pour faire croire que le gouvernement agit ? Avouez que ces questions méritent d’être posées.
Les investisseurs étrangers ne sont pas près de revenir en France
Dans la même édition des Échos, il est question d’une étude d’EY menée auprès d’investisseurs internationaux qui révèle que les investissements étrangers en France pourraient chuter de 35 % à 50 % cette année. Rien d’étonnant à cela, à vrai dire. En période de crise, les projets sont nécessairement réévalués sur le plan de leur rentabilité. Et, comme l’explique EY, ce ne sont pas les plans de relance qui vont décider les investisseurs à investir ici ou là, mais bien « la sécurité sanitaire, l’anticipation des crises futures et la dynamique des marchés domestiques ». Des sujets sur lesquels la France ne peut pas s’enorgueillir d’être en tête des classements.
Il serait donc illusoire d’attendre de grands miracles de ce plan de relance, d’autant plus que la localisation des industries sur notre territoire entraîne immanquablement une hausse des prix des produits, le coût du travail y étant élevé, que les consommateurs, en période de crise, ne sont pas nécessairement prêts à absorber.
La France, exportatrice nette d’investissements
Dans une étude qui vient de paraître, réalisée à partir des investissements en Europe d’entreprises non européennes, France Stratégie a cherché à comprendre quels sont les facteurs qui déterminent les choix de localisation de ces entreprises pour leurs activités de production, d’innovation et de siège social (les services et la logistique ne sont pas pris en compte).
Mais avant cela, il est fait un tableau des investissements directs étrangers (IDE) entrants et sortants. On y remarque que la France, si l’on rapporte les stocks d’IDE au PIB, est un investisseur net à l’étranger, comme d’autres pays voisins (Allemagne, Italie), mais de manière bien plus prononcée.
Par conséquent, si la France se glorifie à juste titre, d’attirer sur son territoire les centres de R&D en nombre plus important depuis 2016, et même d’avoir été en Europe le pays le plus attractif sur ce plan en 2018, il ne faut pas omettre de regarder l’autre face de la pièce qui montre que les investissements français à l’étranger sont également très nombreux. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, mais cela relativise l’attractivité de notre pays puisque nombre de résidents investissent à l’étranger plutôt que sur leur sol.
Stocks d’investissement direct entrants et sortants en 2019
(en % du PIB)
Il faut dire que la France cumule quelques handicaps comme le met en exergue France Stratégie. En effet, notre pays est celui où le taux d’imposition sur les sociétés est le plus fort. S’agissant des impôts de production, il occupe la deuxième marche du podium derrière la Grèce. Le coût du travail n’est pas traité, mais nous savons que la France est également mal classée sur ce plan. En revanche, notre pays est le premier de la classe en ce qui concerne les aides fiscales aux dépenses de R&D. C’est d’ailleurs grâce à cela – le crédit d’impôt-recherche (CIR) – que la France accueille en nombre les centres de recherche et d’innovation.
Baisser tous les impôts pour être vraiment attractifs
Le gouvernement a annoncé qu’il allait baisser de 20 milliards d’euros les impôts de production en 2021 et 2022 à raison de 10 milliards par année. C’est une bonne nouvelle, mais aux effets limités. Car, comme le montre les calculs réalisés par France Stratégie, une baisse des impôts de production de 5 milliards d’euros conduirait à une augmentation de 2,3 % de la probabilité qu’une entreprise localise un centre de production en France. Ce n’est pas grand-chose ! Avec les 20 milliards d’euros de baisse promis, on peut espérer que les chances d’attirer des usines en France augmente en proportion. Mais il faudrait pousser le curseur beaucoup plus loin pour se distinguer. Selon France Stratégie, rejoindre le niveau de l’Allemagne (où les impôts de production ne pèsent que 0,6 % du PIB), c’est-à-dire baisser les impôts de production de moitié, augmenterait la probabilité de localisation de centres de production en France de 25 %. Voilà qui commencerait à avoir un effet notable !
Toujours selon les calculs de France Stratégie, une baisse de l’impôt sur les sociétés de 5 milliards d’euros entraînerait une hausse de 8 % de la probabilité pour les multinationales extra-européennes de choisir la France pour y établir leur siège social. De même, une hausse équivalente des aides fiscales à la R&D se traduirait par une hausse de 43 % de de la part des investissements d’innovation reçus par la France.
Hausse de la probabilité de choisir la France comme pays d’investissement
L’étude nous apprend également qu’une implantation en entraîne souvent une autre. En effet, les entreprises cherchent à faire des économies d’échelle et préfèrent localiser leurs unités sur un même territoire plutôt que les éparpiller dans des pays différents. Ainsi, l’existence d’un centre de production en France augmente de 74 % la probabilité pour l’entreprise d’y installer un centre d’innovation.
Par conséquent, inciter les entreprises étrangères à implanter leurs centres de R&D comme le fait la France avec le CIR a des effets positifs sur l’implantation d’usines et de sièges sociaux. Mais ne pourrait-on pas favoriser davantage encore ces co-localisations ? Pourquoi ne pas attirer à nous les sièges sociaux, ce qui favoriserait, par un effet d’entraînement, l’implantation d’usines et de centres de R&D ?
C’est donc tous les impôts qu’il conviendrait de baisser : les impôts de production, l’impôts sur les sociétés, les charges sociales, etc. La suppression de nombre de réglementations aurait également un effet bénéfique.
Si la France alignait ses différents impôts pesant sur les entreprises sur la moyenne européenne, elle pourrait augmenter de 130 % l’implantation de sièges sociaux sur son territoire, et de 17 % celle d’usines.
Des mesures simples, bien plus efficaces que le plan de relance, et bénéficiant à toutes les entreprises, existantes ou en projet, françaises ou étrangères.
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