Il n’y a pas de vrais débats public-privé dans le domaine de
la santé au Québec. Avant même le début de l’introduction du sujet, les
insultes et les procès d’intention fusent de toute part. Sommes-nous condamnés
à perpétuer un modèle né dans les années soixante et qui a fait son temps ?
Peut-être pas, mais le parcours est parsemé d’embûches que
peu de politiciens sont prêts à affronter.
La politique est fondamentale en ce qu’elle permet de
décider de la direction d’une société. Mais ces décisions doivent, d’une part,
reposer sur une lecture juste et lucide de la situation, et d’autre part, des
conséquences probables de nos choix.
Pour assurer le bon fonctionnement d’une organisation,
petite ou grande, il faut clairement définir les rôles de chacun. Au niveau
d’une société, les rôles essentiels du gouvernement consistent à établir les
normes : les lois et règlements, et à les faire appliquer : la
sécurité et la justice. Le rôle de la société civile consiste à produire et
fournir les produits et services que les individus requièrent en respectant les
normes.
Dans le domaine de la santé, le gouvernement s’est arrogé
les deux rôles. Il définit les normes et surveille leur application, mais il
fournit aussi les services. D’un côté le ministre doit ménager la popularité de
son parti, de l’autre il doit dénoncer les lacunes du système. Les deux rôles
sont souvent en conflit. Les pressions pour maquiller les mauvais résultats et
les bévues sont inévitables. J’en veux pour preuve les horreurs quasi quotidiennes
qui trouvent une solution seulement après avoir soulevé l’indignation populaire
suite à leur divulgation dans les médias.
Le modèle suédois
Au milieu des années 90, le gouvernement suédois constate
que le système de santé accapare une portion démesurée des finances publiques
sans pour autant offrir des services de qualité en temps opportun. Si la
tendance se maintient, il engloutira l’ensemble des revenus de l’État dans
moins de vingt ans. Le premier ministre de l’époque, Göran Persson, entreprend alors de
négocier un consensus sociétal. Le système de santé québécois est
confronté au même dilemme.
Aujourd’hui, le système de santé suédois repose sur une
organisation décentralisée. Il y a une séparation entre le surveillant, l’État,
et les institutions fournissant les services. Ces dernières : hôpitaux,
cliniques, résidences pour personnes âgées, etc. sont régis par un régime de
permis. Elles sont publiques : organismes municipaux et régionaux et privés :
coopératives, organismes sans but lucratif et organismes privés à but lucratif.
L’État paie les services rendus par les institutions selon des barèmes préétablis.
L’universalité du régime est donc préservée.
Les utilisateurs sont une source de revenus pour les
institutions. Les gestionnaires sont donc motivés à fournir des services de
qualité pour les encourager à fréquenter leur institution. La décentralisation
laisse les coudées franches aux PDG. En contrepartie ils sont imputables. Ils
innovent tant du point de vue de l’organisation du travail que celui de
l’utilisation des dernières technologies. Le recours à des institutions
autonomes pour fournir les services de santé améliore l’accessibilité et la qualité
des soins et réduit les coûts à l’État.
C’est tout le contraire du système de santé québécois. Les
utilisateurs sont une source de coût. Les gestionnaires des institutions
rationnent l’offre de service et réduisent les dépenses pour respecter le
budget alloué par le ministre. Les conventions collectives négociées sur une
base nationale laissent peu de latitude aux gestionnaires. Les initiatives
innovantes se butent au parcours kafkaïen de la bureaucratie ministérielle et à
l’inertie des ordres professionnels. Les télécopieurs sont toujours présents
dans nos hôpitaux. Ça ne s’invente pas.
Historiquement, au Québec on utilise le privé prioritairement
pour réduire les coûts à l’État. Cette approche a des effets pervers qui
peuvent être dramatiques. Je prends pour exemple les résidences pour aîné non
conventionnées. Le gouvernement finance les CHSLD publics et les résidences
pour aînés conventionnées au taux moyen de 90 000 $ par résident par
année. Par contre, les résidences non conventionnées reçoivent en moyenne 20 %
de moins. Il arriva ce qui devait arriver. Les résidents sont mis à
contribution et les salaires des employés sont réduits au minimum pour combler
la différence. C’est un euphémisme d’affirmer que la qualité des soins en
souffre. Il ne faut pas s’en surprendre. C’est le contraire qui aurait été
surprenant.
Bien sûr, le système de santé suédois n’est pas parfait. Il
y aura toujours quelques gestionnaires incompétents, voire véreux, dans tous
les modèles d’organisation. Mais dans un système décentralisé à la suédoise, ces
cas n’affecteront que quelques institutions et un nombre limité d’utilisateurs.
Ces gestionnaires incompétents seront vite identifiés et remplacés. Dans un
système centralisé à la québécoise, un haut fonctionnaire incompétent nuit à
l’ensemble du système. L’imputabilité est une vue de l’esprit. Son emploi est
garanti à vie. Au mieux, il sera neutralisé par son personnel. Au pire, il sera
déplacé ailleurs dans la fonction publique.
Vous me direz, avec raison, que j’oublie tous les autres
défis menaçant la viabilité de notre système de santé : les conflits interprofessionnels,
la rémunération des médecins, la rigidité des conventions collectives, la
multiplication des niveaux organisationnels, etc. Ces défis ne sont pas les
causes de l’inefficacité du système de santé québécois, mais ses conséquences.
Sans le respect des rôles de l’État et de la société civile, ces autres défis
sont insolubles. Cela fait quarante ans que l’on s’y attaque sans succès. En
résumé, je cite Einstein : « La folie, c’est se comporter de la même manière
et s’attendre à un résultat différent. »
N’est-il pas arrogant de vouloir résumer en quelques
paragraphes toute la complexité d’un système comme celui de la santé. Sans
aucun doute, mais l’arrogance me semble préférable à la tolérance de l’intolérable.
Référence :
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