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26 janvier, 2017

L'ART ET LA PENSÉE DE L'ART (suite)


Louise V. Labrecque  


Il y a aussi cet artiste, dans ses ateliers, de vieilles granges sans chauffage, qui façonne l’hiver pour la millième fois, et avec des gestes herculéens, afin de peindre des tableaux arides, très élaborés, souvent de très grandes dimensions, tels ces panneaux géants, par centaine, afin de constituer l’immense «  Fresque de l’Humanité », ou comme l’écrivent parfois certains journaux : « Le grand film peint de la vie » ; de la même manière, il est difficile et périlleux de capturer la grande ourse, l’étoile scintillante; la voilà ainsi accrochée aux plafonds des vieilles églises, de même que l’artiste, afin d’y dessiner une fleur, d’y graver à la main des oiseaux, d’y peindre cet ange musicien, pas encore célèbre. De la même manière, une multitude de toiles, de dessins, de gravures, mettant en scène des chevaux, et toutes sortes de personnages mythologiques
.

Au passage, quelques notations plaisantes, car le beau temps a duré longtemps, l’automne dernier, et c’est là qu’il a pris naissance, très concrètement, le goût d’écrire sur l’art et la pensée de l’Art.  Je marchais lentement, ce jour-là, beaucoup plus lentement qu’à l’habitude, comme en contemplation, face à la rivière majestueuse, et plus loin, dans le petit parc où tout fleuri, au bout de la Promenade de la Cité de l’Énergie. De là, j’ai vu l’horizon un peu comme la mer; j’ai vu ainsi la belle saison odorante avancer avec moi, me conduisant doucement au bout du chemin, vers cet antre de l’oubli, où la vie se résorbe en un travail de création; oui, ce sont des surprises agréables. Toutefois, chez Dumoux, comme nous avons vu, mais encore suffisamment pressenti ses aptitudes : tout demeure là, dans ses ateliers;  tout déborde, « des stocks », pour reprendre le mot de Michel Leiris : cette accumulation, du banal au fantastique, est un contraste tout simplement génial, comme la terre et l’eau en fusion. Nous le voyons dans toutes ses couches successives et dans toutes ses transparences. C’est la dimension humaine de l’art, en même temps que sa part de sacrée, dans l’acte de saisie de soi-même, on se retrouve soudain chez soi, mais comme transfiguré. Or, l’acte créateur, c’est la transmission de cette part qui nous dépasse ; retrouver la source commune de nos racines, à la fois catholiques et françaises. C’est cette expérience (extra) sensible, (extra) lucide, afin de retrouver le sens de notre chemin, puis de notre Histoire. Bien sûr, force l’humilité et traverse nos préférences vers les Belles Lettres et les Beaux- Arts ; que d’émois dans sa réalité retrouvée, son temps perdu (puis retrouvé),  toutes ses dimensions, même si cela exige une urgence de vivre, et puis, plus tard, d’aimer, afin de coucher sur papier ces mots. Ainsi, du Québec à la Mère Patrie, nous relisons notre épopée populaire, avec en tête un bloc- note de références communes : les ressemblances et les différences; notre complexité  individuelle et collective. Quand bien même nous insistons sur les Classiques français et nos Humanités du Québec, le contexte suffit amplement à préciser le sens et l’usage; allez donc visiter les ateliers de Raymond Dumoux, entrez également dans les musées voir les Giotto, Renoir, Bosch, Rembrandt, Matisse, Dali, et les autres…  ! La compréhension sera saisissante ; le pays tout entier parle : roches, nature, culture, voyages, visages et gens. L’artiste, c’est un héros naturel. Il pourrait bien se contenter de lutter contre les aléas de l’hiver, l’indifférence, le mépris et la maladie ; oui, au fil du récit, il le fait, il lutte, afin de demeurer vivant dans la nécessité. Or,  je recherche, moi aussi,  à écrire comme si c’était un roman d’amour. L’art,  c’est toujours un exil par en dedans, en soi-même, vers le cœur amoureux. Il faut des braves, pour ce faire; il faut oser, afin de prendre une nouvelle fois des risques ; la conquête d’un nouveau monde, d’une nouvelle compréhension, oblige à ce retour sur soi ; un rapport au monde bienveillant. L’artiste, comme l’étoile splendide guidant les peuples, reviendra  ensuite lentement de sa lutte, parce qu’il est de ceux qui n’ont de maîtres qu’eux-mêmes.

Le discours essentiel des artistes, le comment du pourquoi, c’est aussi cette question d’autrefois, qui se reconnaît en se nommant encore de nos jours « passion » ou « feu », dont je déduis l’inutilité à vouloir expliquer, consoler; l’œuvre qui vous console est trop souvent comme un livre qui se console; une très grande œuvre serait peut-être comme celui qui console sans se consoler. Ainsi, l’art dans cette posture devient salvateur pour nos Lumières; quelle belle façon en effet d’expliquer ainsi le mystère. En somme, un très grand artiste, avec ou sans son œuvre,  serait peut-être comme cette vapeur d’eau en fusion, ou comme la fabrication du verre, lorsque l’on souffle dedans, afin qu’ainsi née de la braise, l’œuvre se matérialise instant après instant. De la même manière, je pense aux grandes œuvres comme à des êtres transparents. Ils sont faits de cette vapeur, ils sont faits de cette fusion, ce feu;  de cette passion. Cela dépasse, en somme, notre entendement ; c’est comme une couleur, assez chatoyante, qui s’incarne dans l’Histoire littéraire et l’Histoire de l’art ; dans notre patrimoine et notre folklorique vocabulaire, venus également des gens simples, des gens d’outre mers; et deux pierres deux coups ! Ainsi, et c’est pratique : j’aime par exemple « Maria Chapdelaine », avec ou sans retouche du national, avec ou sans identification précise ; de l’autre côté, de toute manière, on y voit encore trop souvent que du feu, du bois, et des mouches noires. Aussi, j’aime « Le Survenant »; j’aime « La Petite Poule d’eau »; j’aime nos arts et nos littératures, sans risquer de comparaison à notre expression, à nos accents,  trop longtemps habitués, de toute façon, à s’examiner des pieds à la tête, car il est vrai : l’art est toujours une révélation,  comme une déclaration d’amour. 



*photo : Jérôme Dumoux


De plus, je ne sais pas si la confrontation avec l’art et la pensée de l’art, cette vague qui nous soulève, pourra  sauver réellement, elle qui devrait pourtant transformer le pays. Je voudrais en être, avec vous toutes et tous; avec les artistes géniaux et véritables, et aussi avec tous les entrepreneurs audacieux, capables de génie, tous les gens courageux en quête du meilleur, en somme avec tous les braves d’hier et d’aujourd’hui : ceux-là qui veulent faire quelque chose pour le Québec et la France, mais qui se réveillent aujourd’hui non pas comme dans les années soixante, alors que la confrontation du politique avec les arts était comme lorsqu’on regarde les étoiles et qu’on se sent envahi par une telle émotion. Or, la nouvelle réalité artistique, cela n’est pas qu’une affaire de conscience sociale; les arts ne cherchent pas de circonstance, ne sont pas opportunistes, ne sont pas politique. Ainsi, dans ce monde, une chose est encore perfectible. Et, il nous faudra bien nous rendre compte, un moment donné, que cela devient possible, qu’il y a des gens qu’il faut commencer à regarder avec le plus grand sérieux, sans se laisser toutefois influencer ; car l’art, c’est aussi comme un roman historique qui s’écrit; et si nous ne l’avons pas pris suffisamment au sérieux par le passé,  au lieu de tenter d’y faire entrer notre langage, nous devons maintenant l’observer avec un nouveau regard, une nouvelle maturité, afin de  comprendre, une bonne fois pour toute, d’où l’on vient, pour de se (re)demander ensuite, une nouvelle fois encore (et encore), où l’on va. 



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