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25 janvier, 2017

La détérioration des institutions politiques (1/2)


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“Political Order and Political Decay: From the Industrial Revolution to the Globalization of Democracy”, par Francis Fukuyama.

Il y a quelques mois, j’avais publié un article sur le premier volume du livre de Francis Fukuyama, The Origins of Political Order. Tel que promis, j’ai complété la lecture du second volume durant l’été. Le deuxième tome se lit beaucoup mieux que le premier, et le rend même inutile puisque l’introduction offre un résumé exhaustif du premier volume. Autrement dit, vous ne pourriez lire que le deuxième volume sans la moindre confusion.

Et je dois dire que Political Order and Political Decay est un excellent livre, l’un des meilleures que j’ai lu à ce jour. Il forme selon moi un trio de lectures incontournables en ce qui concerne le développement économique avec The Mystery of Capital et Why Nations Fails.
Le déclin politique (ou political decay) résulte de la « repatrimonialisation » des institutions gouvernementales. Selon Fukuyama, ce phénomène s’est produit aux États-Unis durant la seconde moitié du 20e siècle, tout comme en Chine à la fin de la Dynastie de Han, ou le régime Mamelouke durant le siècle ayant précédé sa défaite aux mains des Ottomans, ou encore en France sous l’Ancien Régime.

La repatrimonialisation se manifeste souvent par le clientélisme politique et/ou le patronage au sein de la fonction publique. L’une des explications des problèmes de pays tels que la Grèce et l’Italie est que ces deux pays ont utilisé la fonction publique comme source de patronage politique (c’est-à-dire en distribuant les emplois aux amis du parti au pouvoir, créant souvent de nouveaux postes superflus pour faire de la place, ce qui est amplifié quand les syndicats rendent les nouveaux postes permanents), menant à des services publics inefficients, une bureaucratie étouffante et des déficits gonflants.

Entre 1970 et 2009, le nombre de fonctionnaires en Grèce a été multiplié par cinq. La Grèce a adopté un système démocratique avant que ne soit apparue une classe d’entrepreneurs industriels qui aurait pu créer des emplois à plus forte valeur ajoutée, ce qui ne laissait que la fonction publique comme moyen de s’enrichir. En échange du patronage et d’une liberté d’intervention au niveau des administration locales, les élites politiques ont toujours fourni leur support inconditionnel au parti bénéficiant d’une majorité parlementaire, peu importe son programme.

En revanche, l’Allemagne a hérité d’une bureaucratie moderne, autonome et méritocratique avant son passage à la démocratie parlementaire grâce aux réformes Stein-Hardenberg de 1807. L’Angleterre et les États-Unis ont débuté le 19e siècle avec un gouvernement s’adonnant au patronage. Cependant, contrairement à la Grèce et l’Italie, ces deux pays ont réussi à réformer le gouvernement et à bâtir une bureaucratie moderne. En Angleterre, les aristocrates qui agissaient comme haut-fonctionnaires ont été remplacés par des professionnels sur une période de 15 ans avant que la démocratie ne remplace l’oligarchie restrictive qui prévalait (suite au rapport Northcote-Trevelyan de 1854). Aux États-Unis, le processus de réforme fut beaucoup plus long car la démocratie y fut adoptée 60 à 70 ans avant l’Angleterre (nous y reviendrons). En 1883, les États-Unis ont adopté le Pendleton Act, qui allait exiger que les postes gouvernementaux soient attribués en vertu des compétence technocratiques plutôt que par patronage politique. Cette loi allait mettre la table pour l’Ère Progressive qui allait suivre.

Le déclin politique aux États-Unis
Le concept clé évoqué par Fukuyama est le phénomène de « repatrimonialisation », qui est selon lui une cause profonde du déclin politique. Aux États-Unis, il se manifeste par le clientélisme politique accru observé ces dernières années, de même que la capture de larges pans du gouvernement par des groupes d’intérêt bien organisés et financés.

Aux États-Unis, cela inclue le collège électoral, le système des primaires, certaines règles du Sénat, le système de financement des campagnes (voir ceci) et plus d’un siècle d’enchevêtrements de règlementation produite par le congrès qui rendent les fonctions gouvernementales inefficaces. Le système américain permet aux tribunaux de s’insérer dans la fonction de législation, voire même dans les tâches administratives, choses inobservables dans la plupart des démocraties des pays développés. On pourrait aussi parler du « gerrymandering » (redessiner la carte électorale à son avantage) et du « filibustering » (monopoliser le temps de débat parlementaire pour qu’on ne puisse pas voter un projet de loi).

Mais cela n’est pas un phénomène récent. La démocratie américaine est née sous la forme d’un système de patronage, c’est-à-dire que les électeurs votaient pour le candidat qui leur offrait le plus d’avantages directs, plutôt qu’en fonction de ses politiques générales. Selon Fukuyama, le clientélisme politique (qu’il différencie nettement de la corruption) est une forme relativement efficiente de mobilisation politique pour une société faiblement éduquée et constitue souvent la première forme de démocratie. Pour lui, vaut mieux une démocratie clientéliste que pas de démocratie du tout.

La différence entre les États-Unis et d’autres pays tels que la Grèce et l’Italie est que durant l’Ère Progressiste (1890-1930), les États-Unis ont grandement diminué le clientélisme bureaucratique (i.e. l’octroi de postes aux amis du parti). D’autres formes de clientélisme ont cependant subsisté (subventions, crédits d’impôts ciblés, barrières tarifaires, etc). L’un des grands problèmes ayant affecté la politique américaine depuis quelques années est la capacité d’acheter un politicien à travers les Super PACs (voir ceci), ce qui contribue évidemment au déclin politique.
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Aux États-Unis, le système de « checks and balances » rend les grands changements bien plus difficiles. En d’autres mots, il y a une séparation des pouvoirs entre le législatif (Congrès), l’exécutif (Président) et le judiciaire (Cour Suprême). L’interférence du Congrès et des cours de justice dans le processus exécutif est un problème aux États-Unis et rend le système ingérable. Le problème est donc une trop grande responsabilité des cours de justice et des politiciens, plutôt que de confier l’exécution des tâches aux bureaucrates professionnels. Les tribunaux ralentissent le processus d’exécution tandis que les politiciens le manipulent à leur avantage. Ce système est pratiquement unique en son genre.
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Aux États-Unis, les leaders de comités du congrès ont la capacité d’introduire des modifications aux projets de loi, ce qui en fait des cibles de choix pour les lobbyistes. Dans un système parlementaire comme celui du Royaume-Uni, les MPs suivent la ligne de parti, il est donc inutile de faire du lobbying auprès d’eux. Aux États-Unis, le passage du budget est un long et fastidieux processus qui donne aux membres du Congrès d’innombrables opportunités d’y greffer des requêtes visant à aider leur comté. Au Royaume-Uni, c’est le parti au pouvoir qui rédige le budget et le soumet au vote, sans qu’aucune modification ne puisse y être négociée.

Par exemple, l’Affordable Care Act (ACA ou Obamacare) n’a pas été rédigé par Barrack Obama. Il est plutôt passé entre les mains de multiples comités du Congrès, qui ont pu le forger à leur guise. Le résultat final était possiblement bien loin de ce que le Président avait en tête, tant en matière de complexité, du nombre d’exceptions, d’amendements et de compromis qui y ont été insérés après négociation avec les lobbys.

Aux États-Unis, le système politique octroie un droit de veto effectif à un grand nombre d’intervenants, lesquels sont souvent en conflit d’intérêt. Les possibilités de veto sont tellement nombreuses aux États-Unis que Fukuyama surnomme ce système « vetocratie ».

L’une des conséquences de ce système politique déficient est que la règlementation augmente de façon exponentielle aux États-Unis. Par exemple, le secteur financier est règlementé par les instances suivantes, lesquelles adoptent souvent des mesures contradictoires:

  • Federal Reserve Board
  • New York Federal Reserve Bank
  • Treasury Department
  • Securities and Exchange Commission
  • Federal Deposit Insurance Corporation
  • National Credit Union Administration
  • Commodity Futures Trading Commission
  • Office of Thrift Supervision
  • Federal Housing Finance Agency
  • Divers procureurs généraux des états

Selon Fukuyama, les deux meilleures  bureaucraties des États-Unis sont la Federal Reserve et les Centers for Disease Control (CDC). La première est dirigée par des Ph.D en économie tandis que la seconde par des docteurs et chercheurs en médecine, lesquels forment une technocratie compétente. Autrement dit, ces agences ont réussi à évincer le patronage (je ne suis pas d’accord!).

Le manque d’autonomie est l’une des causes majeures de mauvais gouvernement et résulte en une fonction publique dirigée par des règles strictes et inflexibles. Ces règles prolifèrent à un tel point que leur application intégrale devient impossible, ce qui confère un pouvoir arbitraire aux bureaucrates et politiciens puisque ceux-ci peuvent décider de quelles règles ils appliqueront et envers qui.

Plus une bureaucratie devient efficace, plus elle peut et doit être autonome des pouvoirs politiques. Cependant, ces technocrates doivent être imputables face à aux résultats de leurs décisions. Mais pour développer cette efficacité, il faut un système universitaire capable de former les administrateurs correctement. Le Pendleton Act peut être considéré similaire aux réformes Stein-Hardenberg en Allemagne (1807) ou encore Northcote-Trevelyan en Angleterre (1854), ou même Meiji au Japon. Ces trois derniers cas ont nécessité le développement de systèmes universitaire adéquats de manière à former des bureaucrates professionnels compétents. Cet influx de compétence allait donner à ces bureaucraties la capacité à avoir plus d’autonomie. On pourrait aussi mentionner l’École Normale Supérieure et la Polytechnique, fondées par le gouvernement révolutionnaire de France en 1794, dont l’objectif était de former des fonctionnaires compétents.

Selon Fukuyama, la qualité de la fonction publique américaine est en déclin depuis les années 1970s, car les syndicats de fonctionnaires ont graduellement éliminé l’aspect méritocratique de cette bureaucratie, ce qui contribue au déclin politique du pays. Ces fonctionnaires font d’ailleurs largement partie de l’électorat du parti Démocrate, ce qui empêche ce parti de procéder à toute réforme. Fukuyama va même jusqu’à affirmer que les États-Unis n’ont jamais réussi à établir un gouvernement d’aussi bonne qualité que les démocraties ayant émanés de régimes absolutistes, telles que l’Allemagne et la Suède.

La plupart des problèmes institutionnels des États-Unis pourraient être résolus en adoptant un système parlementaire du type Westminster. Le système Westminster de l’Angleterre favorise la prise de décision rapide et sans obstruction politique. En 1850, il n’existait pas de cour suprême pouvant invalider une loi ou encore de séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif. Il n’y avait pas non plus de partis politiques disciplinés et polarisés.

Fukuyama infère même que les États-Unis souffrent d’un surplus de démocratie, car la séparation des pouvoirs résulte en une forme de stagnation et d’inefficacité du gouvernement.

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