André Dorais
Pour relancer l'économie les gouvernements doivent-ils multiplier
les mesures d'austérité ou la stimuler davantage? Selon Reggie
Middleton, investisseur et blogueur populaire en Amérique du Nord, les
gouvernements doivent stimuler de nouveau l'économie, mais en prenant soin
d'injecter les fonds dans le secteur privé à but lucratif, à l'exception des
banques. Par cette prise de position qui,
disons-le tout de go, est peu élaborée, il croit se placer au juste milieu
entre les partisans de l'austérité et ceux de la prodigalité et, par là, détenir
la solution pour relancer l'économie. Cette
opinion mérite qu'on s'y attarde non pas pour son originalité, mais pour la
raison qui l'y conduit.
Plusieurs individus présentent leurs points de vue comme
étant un juste milieu entre deux extrêmes dans le but de paraître modéré aux
yeux d'autrui. Malheureusement, c'est
aussi souvent une façon de cacher son ignorance d'un sujet tout en laissant
entendre le contraire. Il est trop facile
de se présenter comme un modéré lorsqu'on dépeint en noir tous ceux qui ne
partagent pas son opinion. Le véritable
test pour déterminer si son opinion est modérée ou représente un juste milieu
est de démontrer pourquoi les opinions d'autrui, aussi radicales qu'elles
puissent paraître à première vue, sont mauvaises en soi.
Reggie Middleton ne passe pas ce test. Aux partisans de l'austérité il associe les
économistes de l'école autrichienne et aux partisans de l'augmentation des
dépenses, ceux de l'école keynésienne. Ces
associations ne sont pas erronées, mais elles manquent de subtilité. Par exemple, les économistes de l'école
autrichienne préconisent effectivement l'austérité pour relancer l'économie,
mais non comme elle est pratiquée à l'heure actuelle en augmentant la charge
fiscale. Ils préconisent plutôt une
forte réduction des dépenses sans aucune augmentation de taxe et d'impôt d'une
part et d'autre part, une libéralisation des normes du travail et de la
réglementation en général. Pour ces
économistes, le marché prendra la relève des services abandonnés ou réduits par
les gouvernements.
À l'instar de plusieurs individus, Monsieur Middleton
préconise l'intervention gouvernementale pour relancer l'économie et, en ce
sens, il s'éloigne des positions avancées par les «autrichiens». Néanmoins, ne se rapproche-t-il pas du même
coup de celles avancées par les keynésiens?
À son avis, les dépenses gouvernementales qu'il préconise sont mieux
ciblées, mais quand bien même on lui concéderait ce point, cela ne le rapproche
pas moins des keynésiens sur le plan idéologique. Il se présente comme un partisan du
libre-marché, mais il fait appel à l'État pour le corriger. Plusieurs individus ne voient pas là de
contradiction, mais ce n'est pas le cas des économistes de l'école
autrichienne.
Si Monsieur Middleton tient tant à ce que les gouvernements
dépensent davantage, mais de manière plus judicieuse, c'est qu'il a peur de la
déflation, cette grande inconnue de la science économique. En effet, plusieurs économistes ont peur de
la déflation, non pas comme probabilité à venir, mais comme phénomène en
soi. La source de cette peur provient principalement
de la compréhension, ou plutôt de l'incompréhension, que l'on a de la Grande
Dépression (1929-39).
L'argument de Middleton est le suivant: puisque les ménages,
et plus généralement le secteur privé à but lucratif, réduisent leurs dettes
plutôt que d'investir, il n'y a plus que le gouvernement pour dépenser et
conséquemment relancer l'économie. Dans
ces circonstances, si le gouvernement réduit également sa dette, alors
l'économie se retrouvera dans une spirale déflationniste à l'instar de la
Grande Dépression, ce que l'on doit à tout prix éviter. (Voir Obama's
Back In)
Il s'agit d'une opinion populaire, mais erronée. Avant d'analyser la déflation, on doit
souligner que cette opinion tend à confondre croissance et dépense d'une part
et d'autre part, croissance et inflation.
La première confusion a pour source la mauvaise habitude de calculer la croissance
comme on calcule les dépenses. On
rappelle ici simplement que le PIB comme mesure de richesse et conséquemment de
croissance économique est problématique à plusieurs points de vue. (Voir Une
idéologie coûteuse, Crise
économique ou crise de la science économique?, Peut-on
relancer l'économie par la consommation?, L'absurdité
des données officielles sur la croissance économique, Le PIB : un concept
économique inutile et néfaste, etc.)
On considère, à tort, qu'une économie en croissance est mue
par les dépenses et vient accompagnée d'une inflation contrôlée. Or, il ne suffit pas de dépenser pour obtenir
de la croissance, encore faut-il que ces dépenses soient créatrices de richesse
d'une part et d'autre part, qu'on ait les moyens de les effectuer. Le crédit disponible aujourd'hui ne garantit
pas à son échéance que les ressources le seront. À force de remettre à plus tard ses
obligations on risque de tout perdre.
Bref, à trop vouloir chiffrer la richesse on confond croissance et
dépense au risque de sacrifier l'avenir.
On associe également la croissance à l'inflation alors que
les deux phénomènes n'ont aucun lien. On
ne prend pas le temps d'expliquer la source principale de l'inflation, soit
l'augmentation de la masse monétaire, on se contente plutôt de noter là où il y
a augmentation de prix. De même, on ne
prend pas le temps d'expliquer ce qu'est la déflation, on se contente de
l'associer à la Grande Dépression, voire d'en être la cause. Dans cette optique, puisque la Grande
Dépression est à éviter, alors la déflation l'est tout autant. Or, une déflation peut indiquer une économie
vigoureuse, par conséquent il est important de la dissocier de la Grande
Dépression.
La déflation est à
distinguer de la Grande Dépression
Lorsqu'on parle de déflation on évoque généralement une
baisse plus ou moins généralisée des prix des biens et des services. Cette définition, cependant, manque de
rigueur, car elle ne permet pas de distinguer les multiples raisons qui
conduisent à une baisse des prix. Ces
raisons doivent être comprises pour être en mesure de différencier celles qui
sont à promouvoir de celles qui sont à éviter.
Il n'y a qu'une seule raison qui conduise à une baisse
généralisée des prix des biens et des services, soit une réduction de la masse
monétaire. Considérant qu'une
augmentation de la productivité est plus souvent confinée à quelques secteurs
d'activités, elle conduit à une baisse des prix des biens et des services
produits par ces secteurs, mais non à une baisse généralisée des prix. Si, aujourd'hui, on ne constate pas, ou peu,
de baisse des prix, ce n'est pas par manque de productivité, mais à cause d'une
inflation monétaire plus ou moins constante qui élimine, ou à tout le moins
diminue, la baisse des prix des produits offerts par ces secteurs d'activités.
En somme, on doit réaliser que la déflation n'est pas
mauvaise en soi. Une déflation des prix
due à une plus grande productivité est une bonne chose puisqu'elle permet
l'économie des ressources. Le véritable
problème ne réside pas dans la déflation, mais dans les raisons qui y donnent
lieu. Si l'on est incapable de
différencier les deux, alors on risque de combattre l'effet plutôt que la
cause, ainsi d'aggraver la situation.
Malheureusement, force est de constater que cette leçon demeure
incomprise. On tente d'éviter la
déflation coûte que coûte, car pour la majorité des gens, profanes et experts,
elle demeure synonyme de la Grande Dépression.
Il y a bel et bien eu déflation entre 1929 et 1933, mais
celle-ci est survenue non pas à cause du manque d'effort gouvernemental pour la
contrer, mais, au contraire, à cause des trop nombreuses et trop importantes
interventions gouvernementales mises en place pour la combattre. Si les interventions gouvernementales mises
en place après le krach boursier de 1929 n'avaient pas eu lieu, toutes choses étant
égales par ailleurs, on peut présumer que la déflation aurait été plus forte,
mais également plus salutaire. C'est
uniquement parce qu'on avait, et on a toujours, une peur bleue de la déflation
qu'on tente à tout prix de la combattre.
Dès 1930, les mesures protectionnistes mises en place dans
le but de favoriser l'achat local et l'emploi ont pratiquement fermé les
frontières, ce qui a entraîné une baisse marquée et des ventes et des prix des
produits agricoles. Il s'ensuivit la
faillite de plusieurs agriculteurs et de banques rurales. À son tour, la chute des banques a étendu la baisse
des prix à d'autres produits et services, mais cette fois à cause d'un pouvoir
d'achat accru, ce qui est une bonne chose dans les circonstances. À la chute des banques l'argent qu'elles détiennent
disparaît avec elles, ce qui accroît le pouvoir d'achat de l'argent qui reste. On doit donc réaliser que ce n'est pas la
déflation qui est à combattre, mais le protectionnisme. Malheureusement, les autorités de l'époque
ont combattu la déflation sous toutes ses formes sans jamais remettre en
question leurs interventions dans l'économie avec les résultats qu'on connaît.
Dans le but de contrer la baisse des prix le président
Hoover incitait, pour ne pas dire menaçait, les dirigeants des entreprises à
maintenir les salaires au même niveau, voire à les augmenter, ce qui fut fait
avec des conséquences évidemment tragiques.
Dans ces circonstances, seuls les individus qui ont réussi à garder leur
travail se sont enrichis, ou plutôt se sont moins appauvris que les autres
individus, car ils pouvaient, avec un même salaire, s'acheter plus de biens économiques
étant donné que ces derniers étaient rendus moins dispendieux grâce au pouvoir
d'achat accru. La contrepartie de cette politique
fut que des millions d'individus perdirent leur travail, car les employeurs
n'avaient plus les ressources pour les payer.
Les interventions du gouvernement Hoover ne se limitaient pas
au secteur législatif. Sur le plan
fiscal, il est intervenu en augmentant de 160 % la tranche d'imposition
supérieure des particuliers, en abolissant et réduisant des crédits d'impôt et
des exemptions en tout genre, de nouvelles taxes furent établies, des tarifs
augmentés, etc. Enfin, les dépenses publiques représentaient
16,4 % du PIB en 1930 et 21,5 % un an plus tard, ce qui conduit Franklin Delano
Roosevelt, alors candidat à la présidence, à déclarer que l'administration
Hoover était «la plus dépensière de toute l'histoire». Malheureusement, ce record fut battu haut la
main, et à plusieurs reprises, par Roosevelt lui-même dès qu'il prit le pouvoir
à la fin de 1932. (Voir La Grande Dépression
démystifiée)
Dans le même but de contrer la baisse généralisée des prix
des biens et des services, la Réserve fédérale, de son côté, s'est mis à faire
fonctionner la planche à billets à plein régime dès 1929. Entre la fin de 1929 et décembre 1931 le
crédit offert par la Fed a augmenté de 17 % sur une base annualisée. Pis encore, de mars à décembre 1932, le
crédit offert par la Fed a augmenté de 76 % sur une base annuelle. C'est uniquement parce que les investisseurs retirèrent
leur argent des banques et que celles-ci réduisirent leur crédit aux
consommateurs qu'on a assisté à une déflation monétaire nette, non pas par
manque d'effort des autorités monétaires pour la contrer comme on le pense
généralement. (Voir Money
and Gold in the 1920s and 1930s)
En somme, tant et aussi longtemps qu'on ne différenciera pas
les raisons qui ont conduit à la Grande Dépression de celles qui ont conduit à
la déflation, on risque d'obtenir les deux et de chercher des boucs émissaires
pour un résultat qu'on cherche à éviter.
Il est évident que l'on doit éviter une autre dépression, mais ce qui
l'est moins est que pour ce faire on doit cesser de combattre la déflation. L'une des meilleures façon d'y parvenir est
de réviser sa compréhension et de la Grande Dépression et de la crise de
1920-21 qui l'a précédée.
En effet, la dépression de 1920-21 aux États-Unis bouscule énormément
les solutions que l'on préconise aujourd'hui pour sortir d'une crise
économique. Plutôt que d'accroître les
dépenses on les réduisit, plutôt que de combattre la baisse des prix, y compris
les salaires, on les laissa tomber, on baissa les impôts plutôt que de les
augmenter, etc. Bref, on fit tout le
contraire de ce qu'on fait aujourd'hui. Le
résultat fut que cette dépression n'a duré qu'un an. Les politiciens rejettent-ils cette façon de
faire parce qu'elle leur donne moins d'ouvrage et les met moins à la une des
médias? Toujours est-il qu'ils préfèrent
mettre en place les politiques utilisées lors de la Grande Dépression. C'est peut-être souhaitable pour eux, mais
certainement pas pour les consommateurs.
(Voir Warren
Harding et la dépression de 1920-21 et Dépression
de 1920-1, 1929-45, 2008-?)
En réalité, je ne crois pas qu'on doive blâmer uniquement
les politiciens. Les économistes, de
manière générale, sont aussi à blâmer, car ils sont censés être les experts du
marché. Or, plusieurs d'entre eux ne
semblent même pas se donner la peine de le comprendre. Il en va de même pour la majorité des
historiens qui ne fait qu'apprendre et répéter la version populaire de
l'histoire économique du 20e siècle. On
va à l'école, on obtient de gros diplômes, mais uniquement en crachant les
réponses exigées. On oublie l'esprit
critique. Les seules «critiques» qu'on
semble capable de faire est de lancer des cailloux sur les autos-patrouille et les
baies vitrées des commerces. De manière
plus civilisée, on suggère au gouvernement et à la banque centrale de s'y
prendre autrement, mais en prenant soin de ne pas remettre en question leur
pouvoir, ce qui ne fait que déplacer le problème plutôt que de le résoudre.
On ne doit pas avoir peur des ses opinions, aussi radicales
qu'elles puissent paraître aux yeux de la majorité. Pour ma part, la seule façon de sortir de
cette crise économique qui n'en finit plus, et de repartir sur des bases
solides, est de mettre en place les mesures d'austérité telles qu'entendues par
les «autrichiens». Malheureusement, je
ne vois nulle part la volonté politique nécessaire pour ce faire, sauf
peut-être en Estonie et cela de manière très réduite (Voir Why
Estonia Is Beating the Eurozone). On
ne doit pas s'en surprendre, car pour avoir ce courage il faut d'abord avoir la
compréhension de la chose économique qui n'y est pas. Comme on dit chez nous, on n'est pas sorti du
bois!
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