Au début des années 90, suite à la crise de balance des
paiements, l’Inde a résolument abandonné le modèle d’économie planifiée et
a libéralisé son économie.
N’en déplaise aux interventionnistes de ce monde, en moins
de vingt ans la richesse moyenne par habitant a quintuplé. L’Inde est devenue un
des moteurs de la croissance économique mondiale.
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C’est désormais un lieu commun d’affirmer que l’émergence de l’Inde
va changer la face du monde économique et géopolitique. Depuis
plusieurs années, en effet, l’économie indienne enregistre des
performances exceptionnelles. De pays très pauvre, cette zone est
devenue l’une des plus dynamiques du monde : la richesse moyenne
par habitant y a presque quintuplé en vingt ans (en
dollars courants)[1].
Les économistes s’accordent sur les
causes de ce décollage. Après une crise majeure de
balance des paiements en 1991, le gouvernement de P.V. Narasimha Rao a entrepris une série de réformes radicales
visant à libéraliser l’économie, tant sur le plan
interne qu’externe. Sur le plan interne, les principales restrictions légales à la
concurrence ont été supprimées dès 1991 :
abolition des licences industrielles et des monopoles d’Etat dans les
industries clés [2].
Sur le plan externe, des réformes graduelles ont été mises
en place pour ouvrir l’économie. Alors que le taux maximum de
droit de douane sur les produits non agricoles atteignait 355% en
1990, il est passé à50% en 1995 et à 10% en 2008. Les
exportations ont également été déréglementées : le
nombre de produits sujets à des interdictions d’exportation est passé
de 185 en 1991 à 16 en 1992. Quant au secteur des services, le gouvernement l’a
peu à peu libéralisé en permettant aux firmes étrangères d’y investir
leurs capitaux [3]. Il est désormais largement accepté que ces réformes ont eu
un impact positif sur l’économie indienne en libérant les forces
productives et en rompant avec vingt ans de planisme.
Pourtant, quelques voix dissidentes contestent cette
analyse. En effet, deux séries de critiques ont été avancées. La première,
associée à Dani Rodrik et Arvind Subramanian, consiste à nier que les réformes
de la décennie 1990 aient causé le décollage indien [4]. Selon ces deux
auteurs, la croissance indienne aurait décollé durant la décennie 1980,
c'est-à-dire avant la mise en place des politiques libérales.
Par conséquent, ces politiques ne peuvent pas être à l’origine de l’essor
économique. Cet essor, selon eux, s’expliquerait plutôt par une attitude plus
favorable vis-à-vis des entreprises en place, sous les gouvernements successifs
d’Indira Gandhi et de Rajiv Gandhi.
Pour plausible que cette critique soit au regard des
chiffres de la croissance (le taux de croissance annuel moyen de la décennie
1980 est proche du taux de la décennie 1990), elle ne résiste pas à l’analyse.
La croissance des années 1980 a été principalement tirée par des politiques
fiscales expansionnistes financées, entre autres, par emprunts de capitaux
étrangers. Ce comportement prodigue de la part du gouvernement a conduit à une
accumulation insoutenable de dette étrangère, et à la crise de la balance des
paiements de 1991. La croissance des années 1990 et 2000, en comparaison, a été
bien plus stable du fait des réformes structurelles accomplies [5].
Une deuxième série de critiques provient du mouvement
altermondialiste et des intellectuels qui lui sont associés. Bien qu’ils
reconnaissent l’impact positif des réformes sur la croissance du PIB, ils
dénoncent le bilan social de ces changements. Selon eux, les réformes libérales
auraient conduit à un accroissement de la pauvreté et de la précarité,
notamment en milieu rural.
L’analyse des données les plus récentes réfute ces craintes.
Le pourcentage de la population rurale vivant sous le seuil national de
pauvreté est passé de 39,1% à la fin des années 1980 à 27,1% en 2000. Sur
l’ensemble de la population, et sur la même période, le nombre d’individus
pauvres est passé de 320 millions à 260 millions d’individus [6], soit
l'équivalent de la population d'un pays comme la France. Les indicateurs de
développement humain se sont eux aussi améliorés. Selon Arvind Panagariya,
« des progrès considérables ont été réalisés concernant l’augmentation du niveau
d’éducation et l’élimination des inégalités filles-garçons d’accès à
l’école. » [7]. Le ratio fille/garçon ayant accès à l’éducation primaire
est passé de 0,76 en 1990 à 0,94 en 2002.
Certes, l’Inde n’est pas encore un idéal de liberté
économique : les secteurs agricoles et électriques restent très
réglementés, l’Etat est encore le producteur inefficace de nombre de services
sociaux (santé, éducation…), certaines barrières au commerce extérieur
subsistent… Toutefois, l’importance des avancées réalisées jusqu’à présent ne
doit pas être minimisée : une leçon pour l'Afrique.
Geoffroy Ele, économiste, le 27 février 2012.
Notes
[1] Les chiffres sont disponibles en ligne sur le site de la
Banque Mondiale :http://donnees.banquemondiale.org/
[2] voir Panagariya, A. (2008). India the Emerging Giant,
Oxford University Press, pp. 103-105.
[3] ibid., pp. 105-108.
[4] Rodrik, D. et Subramanian, A. (2005). « From Hindu
growth to productivity surge: the mystery of the Indian growth transition »,
IMF staff papers, vol. 52, n°2:http://www.imf.org/external/pubs/ft/staffp/2005/02/pdf/rodrik1.pdf
[5] Pour une critique de la thèse de Rodrik et Subramanian,
voir l’article de T.N. Srinivasan, « Comments on Dani Rodrik and Arvind
Subramanian »: http://www.imf.org/external/pubs/ft/staffp/2004/00-00/sriniv.pdf
[6] cf. Panagariya, A. (2008), op. cit., p. 137. Voir en
général le chapitre 7, « Declining poverty », du même ouvrage.
[7] ibid., p. 150.
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