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16 mai, 2007

Santé publique ou danger publique !

Le dimanche 13 mai 2007
CHRONIQUE
Les fous de la santé
Alain Dubuc

Les progrès de la santé dans une société comme la nôtre ne sont pas seulement dus aux médecins que l'on consulte, aux médicaments ou aux hôpitaux.

La santé publique joue un rôle majeur, par ses interventions classiques, les mesures sanitaires, la prévention et la promotion de la santé, la lutte au tabagisme, mais aussi grâce à l'intégration aux politiques de santé de problématiques non médicales, comme la pauvreté ou l'environnement.
Cet élargissement du champ d'action de la santé publique a cependant eu des effets pervers. Il a amené des spécialistes à intervenir dans des domaines où ils n'avaient pas nécessairement de compétences. Pourtant, la nouveauté de ces missions aurait dû imposer au monde de la santé publique une certaine prudence et une certaine retenue.
Mais c'est le contraire qui se produit. Avec l'arrogance de ceux qui sont convaincus de faire le bien, la santé publique est en passe de devenir un danger public, qui va dans toutes les directions, en abusant de l'autorité morale et scientifique dont jouit le monde médical.
On a eu plusieurs signaux de cette dérive. Quand la Direction de santé publique de l'île de Montréal, dans un rapport sur les effets négatifs de l'automobile sur la santé, ce qui est de son ressort, a dénoncé l'incohérence du gouvernement Charest dans le dossier du pont de l'autoroute 25, ce n'était pas dans le champ de compétence d'un docteur sans expérience du transport. Même chose dans le dossier du casino, où l'organisme a grandement joué dans la mise à mort du projet, avec un avis défavorable qui péchait par son manque d'équilibre.
Mais la cerise sur le sundae, c'est l'avis que deux directeurs de santé publique, ceux de Québec et de Chaudière-Appalaches, ont déposé aux audiences du Bureau des audiences publiques sur le projet Rabaska, un terminal méthanier à Lévis. En refusant d'émettre un avis favorable, les nouveaux croisés du bien ont alors étalé toutes les dérives qui menacent sous prétexte de santé publique.
Entendons-nous. Ces professionnels ont leur place dans un débat sur un projet gazier majeur. Le BAPE, dans ses travaux, doit tenir compte des considérations économiques et énergétiques, mais aussi évaluer l'impact environnemental, les effets sur le milieu, notamment sur la santé. Les intervenants en santé publique ont des choses à dire sur le risque, les bruits, les émanations, les effets sur le mode de vie.
Mais le premier glissement, c'est que les directeurs de santé publique ont décidé de prendre la place du BAPE et de faire eux-même l'arbitrage entre toutes ces variables, de se prononcer sur la pertinence économique du projet, sur la place du gaz dans le bilan énergétique. Des domaines où les médecins ne savent pas de quoi ils parlent. Les docteurs se demandent si l'évolution du prix du gaz affectera la rentabilité du projet. Ils s'opposent au gaz, un combustible fossile, même si bien des environnementalistes acceptent que celui-ci prenne plus de place. Ils s'inquiètent même du risque d'un bris des lignes de transport d'électricité en cas d'accident et d'une autre crise du verglas, même si cela n'inquiète pas Hydro-Québec. De quoi se mêlent-ils?
Le second glissement, c'est la préoccupation des médecins pour les effets psycho-sociaux, qui les amène à se pencher sur l'acceptabilité sociale du projet, un concept fourre-tout qui tend à dire que si un projet suscite des débats et des divisions, cela créera des tensions dans le milieu et que ce peut être mauvais pour la santé de la population. Une approche qui amène les spécialistes en santé publique à devenir un porte-voix aux groupes de pression censés représenter le milieu.
Et surtout, c'est une approche qui mène à une logique circulaire. Si un projet est mauvais quand il suscite de l'opposition, comme on sait que les gens ont tendance à résister aux changements, cela signifie qu'au nom de la santé publique, on s'opposera à tout projet qui fait des vagues et devient une caution morale de l'immobilisme.
Le troisième glissement, c'est le ton du document. Son acharnement à trouver des poux (par exemple, le risque d'une crise du verglas) et la dramatisation des enjeux (dans un sondage, on a même demandé aux gens si le projet Rabaska avait affecté leur vie familiale), montrent que cet avis ressemble surtout à un exercice militant aux frais des contribuables. La santé publique a quitté le terrain de la rigueur scientifique pour choisir l'action sur le terrain, pour parler au nom du «peuple».
C'est très dangereux. Parce que la santé publique contribue à de mauvais choix. Mais aussi, parce qu'à force de jouer au loose cannon, à force d'abuser de son autorité, elle finira par perdre la crédibilité dont elle a besoin pour s'acquitter de sa mission.

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