Par Raphaël Roger.
Un des aspects de la pensée hayékienne tombée en désuétude est bien sa vision du droit. Il s’agira dans une série d’articles d’observer sa conception du droit, principalement centrée sur le concept de l’ordre spontané. L’ouvrage de référence sera Droit, legislation et liberté, bien que l’on pourra aussi se référer à La Constitution de la Liberté ou encore à L’idéal de l’État de Droit.
Dans ce premier article, il s’agira de voir la vision du juge de Hayek des fonctions d’un ordre spontané, par principe évolutif.
La vision du juge d’Hayek
Le modèle du juge que prend Hayek est celui de la common law. En effet, dans ce droit principalement issu de la pratique, le juge détient un large pouvoir d’interprétation, lui permettant, via un raisonnement inductif, de partir de cas particulier pour établir des règles générales et ainsi articuler la vie en société. Dès lors, il est d’usage de dire que le droit de common law est évolutif, avec un langage qui lui est sien, lui permettant de s’adapter en fonction de l’évolution de la société. La loi ici n’intervient qu’en dernier recours ou si la jurisprudence est trop lente pour permettre l’adaptation du droit aux changements de la société.
Dans la vision hayékienne du droit, en partant de précédents qui lui ouvrent la voie, le juge parvient à dégager des règles de signification universelle qui peuvent ensuite s’appliquer aux nouveaux cas. En effet, le droit coutumier est, selon Lord Mansfield « constitué de principes généraux qui sont illustrés par des cas particuliers » (p.216).
Le cadre dans lequel intervient le juge influence beaucoup sa pratique, sa vision du droit et son office. En effet, dans un ordre spontané qui par essence est issu de la pratique et alimenté par le temps, donc un ordre évolutif, le juge interviendra pour corriger les perturbations qui pourraient survenir (p.231), perturbations ayant pour finalités de modifier la sécurité des prévisions économiques dans un ordre qui par nature, se caractérise par une connaissance décentralisée.
Dès lors, le juge est un élément clé de l’ordre spontané car il permet non pas la coordination des différents agents, mais par son intervention, il pacifie les différends qui pourraient survenir au sein de cet ordre.
En effet, selon Hayek :
« Le juge est, ce sens, une institution propre à l’ordre spontané. Il intervient toujours dans le cours du fonctionnement de cet ordre, c’est-à-dire dans un processus où chacun réalise ses plans dans la mesure ou il anticipe les actions d’autrui et a donc de bonnes chances de coopérer efficacement avec lui. »
Chez Hayek, un élément important dans l’ordre spontané est l’existence de règles. Ainsi, pour être respectées, les règles qui, devant faciliter l’ajustement et le repérage commun des anticipations qui conditionnent la bonne fin des projets, doivent faire l’objet d’un contrôle de la part du juge (p.236). Le rôle du juge est donc de veiller à leur respect afin de maintenir « un ordre permanent des actions » (p.237).
Quel rôle pour le juge ?
Dès lors, le juge utilisera son office afin de permettre le fonctionnement graduel des règles de juste conduite par la création de nouvelles règles (p.241). Hayek reconnaît une fonction créatrice importante au juge. Il ne peut selon cette conception être la « bouche qui prononce les paroles de la loi ». Il devra user de son pouvoir d’interprétation, être un juge-créateur, pour permettre la bonne tenue de l’ordre spontané. En conséquence de cela, il devra améliorer un ordre des activités données, en établissant une règle qui pourra prévenir le retour des conflits qui se sont produits (p.241).
Le juge doit donc servir à maintenir « la régularité d’un processus qui repose sur la protection de certaines des anticipations des personnes qui agissent, contre le trouble apporté par d’autres ». Dans le cadre d’un ordre spontané il se doit de réparer les atteintes portées à cet ordre, en limitant chacun dans ses droits (p.267). Pour résoudre ces différends, il doit se baser non pas nécessairement sur ce qui est juste, mais d’abord et avant tout sur ce qui est légitime (p.269).
Le juge doit utiliser son pouvoir d’interprétation pour sortir du corps de règles existantes, pour en créer d’autres, lui permettant de résoudre de manière efficace les litiges qui s’élèvent au sein de l’ordre spontané. Dès lors le juge doit être capable de s’écarter de la lettre de la loi pour juger efficacement (p.271).
Ainsi, il doit utiliser son pouvoir de création pour combler les manquements de la loi toujours afin de préserver le bon fonctionnement de l’ordre spontané. En effet, pris dans la perspective évolutionniste du droit, le juge utilise son pouvoir de création pour poser une norme, au travers de principes, comblant les lacunes de la loi ou l’absence de celle-ci.
Pour ce faire il doit bénéficier d’une grande liberté, lui permettant d’avoir des solutions contra legem quand la stabilité de l’ordre spontané l’exige. (p.271)
Rappelant que la fonction du juge a pour seul cadre un ordre spontané, c’est-à-dire « un ordre qui fonctionne sans que personne en ait eu le dessein, un ordre qui s’est formé de lui-même sans que l’autorité en ait eu connaissance et parfois contre son gré » et qui se repose sur les anticipations des individus et leurs ajustements, Hayek décrit mieux le rôle du juge.
En effet selon lui :
« Les efforts du juge sont une partie du processus d’adaptation de la société aux circonstances, processus par lequel se développe l’ordre spontané. Il participe au processus de sélection en donnant force exécutoire à celles des règles qui, comme celles qui ont fait leurs preuves par le passé, rendent plus probable l’ajustement des anticipations et moins probable leurs conflits. Le juge devient ainsi un organe de cet ordre. Mais même lorsque, dans l’exercice de sa fonction, il crée des règles nouvelles, il n’est pas créateur d’un nouvel ordre : il est le serviteur de l’ordre existant, chargé de le maintenir et d’en améliorer le fonctionnement ». (p.274)
Dans son pouvoir de création, le seul souci du juge lors de l’élaboration de règles de droit, « n’est ainsi rien d’autre que d’améliorer ces aspects abstraits et permanents d’un ordre des activités qui lui est donné et qui se maintiennent au travers des changements dans les relations entre les particuliers, tandis que certaines relations entre ces relations elles-mêmes restent inchangées ».
En conséquence de cela, ce que le juge doit prendre en compte dans une perspective à long terme c’est « l’effet des règles qu’il pose sur un nombre inconnu de situations futures qui pourront se présenter à un moment ou à un autre ».(p.277-278).
Ce droit, issu de la pratique, que Hayek désigne comme le nomos, qu’il qualifie de « droit de la liberté », est ce qui permet d’articuler l’ordre spontané. Le juge en est un des principaux organes et il aura pour fonction d’améliorer le système existant en posant des règles neuves. Il doit s’efforcer de rendre ses jugements prévisibles pour permettre un meilleur ajustement des comportements individuels.
Le juge doit aussi garantir le respect des règles du nomos, règles qui par principe sont découvertes soit du fait de leur usage répété ou simplement du fait qu’elles sont complémentaires à des règles existantes et qu’elles permettent leurs articulations et de régler les conflits qui pourraient exister.
Malgré tout, et on le verra dans un prochain article, chez Hayek, l’intervention du législateur se révèle nécessaire.
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