Par Frédéric Mas.
L’illibéralisme du gouvernement de Poutine n’est pas seulement une faute morale, c’est un sérieux handicap dans la guerre qui l’oppose à l’Ukraine. La résistance des populations civiles face à l’offensive russe a paraît-il surpris le Kremlin.
Si l’on en croit certains commentateurs, Vladimir Poutine imaginait une victoire rapide et surtout un accueil chaleureux de la part des populations russophones « délivrées » par les bombardements et les colonnes de chars. Il aura sans doute été mal renseigné. Les services secrets moscoutaires, qui, avec le KGB, étaient parmi les meilleurs services de renseignement du monde, ne sont vraiment plus ce qu’ils étaient.
Procès du renseignement russe
Selon le Times, l’erreur d’appréciation tragique du FSB, ex-KGB, aurait plongé Vladimir Poutine dans une colère noire. Deux hauts gradés du FSB, Sergey Beseda et son adjoint Anatoly Bolyukh, auraient été mis aux arrêts. Le journaliste russe spécialiste des services secrets Andrei Soldatov estime que les deux personnages clefs du pouvoir ont été mis sur la touche pour deux raisons, à la fois la médiocrité des renseignements récoltés sur l’Ukraine et des soupçons de détournement de fonds publics.
Seulement, pour leur défense, faire partie du cercle rapproché d’un autocrate n’incite pas franchement à la franche discussion. À tout moment, on risque sa tête. La tentation devient grande de raser les murs pour ne pas trop déplaire à un patron plus familier du polonium 210 que du management bienveillant.
Certains se souviennent de l’audition publique de Serguei Narychkine, le directeur du Service des renseignements extérieurs à la veille de l’invasion ukrainienne. Blême de terreur face à Poutine, il balbutie et aligne les banalités, jusqu’à agacer le maître du Kremlin qui finit par l’interrompre. Narychkine n’a pas d’État de droit pour le protéger, pas de contre-pouvoirs pour tempérer les humeurs de l’exécutif, et donc pas vraiment d’incitation à donner trop d’informations déplaisantes au souverain Poutine.
Le despotisme n’est pas politiquement fiable
On le sait au moins depuis l’Antiquité, le despotisme n’est pas une méthode de gouvernement fiable, en tout cas beaucoup moins -en règle générale- qu’un gouvernement encadré par des lois, parce qu’il repose sur la défiance.
Le tyran Hiéron s’en était ouvert au poète Simonide dans un dialogue socratique mineur rapporté par Xénophon : le tyran vit dans la défiance généralisée, il n’a pas de véritable ami. Toutes ses relations sont marquées par le seul souci de conserver un pouvoir personnel que tout le monde cherche à lui ravir, imposant de fait un climat de guerre civile permanente. L’obéissance par la peur et le règne de l’arbitraire pur plutôt que par la loi ou la coutume font de la tyrannie le pire des régimes possibles. En termes modernes, la tyrannie tient davantage du gangstérisme que l’État de droit libéral.
Le despotisme est un handicap en temps de guerre
Le despotisme n’est pas fiable en temps de paix, et en temps de guerre, il devient carrément inefficace. Pour l’historien Victor Davis Hanson, c’est même la supériorité d’organisation politique, économique et culturelle capitaliste (entendue au sens large, c’est d’accord !) sur ses concurrents plus ou moins despotiques qui a assuré pendant deux millénaires la domination de l’Occident sur le reste du monde.
Rien ne vaut une civilisation qui encourage la discussion rationnelle, la liberté d’expression, la science, la propriété, valorise la confiance comme capital social et la résolution des conflits internes par le droit pour améliorer les capacités de l’État à faire la guerre.
Inversement, les régimes qui découragent l’autocritique dans le débat public, rendent impossible la constitution d’une économie puissante pour participer à l’effort collectif et sélectionnent les élites les plus incompétentes et les plus serviles sont mal partis dans la compétition pour la suprématie mondiale.
On ne peut pas gagner la guerre sans un minimum de confiance au sommet, minimum de confiance qui n’existe pas en régime autocratique ou despotique. Poutine est en train de découvrir une leçon que son ressentiment anti-occidental a dû lui masquer jusqu’à présent : le modèle politique capitaliste n’est pas seulement enviable pour ce qu’il vise à la liberté des citoyens, c’est aussi un outil plus efficace pour moderniser et pour dominer. Et il est essentiel pour gagner une guerre.
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