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26 février, 2020

Environnement : Retour sur 2019



par Samuel Furfari, Professeur à l’Université libre de Bruxelles
L’année 2019 aurait été celle de l’hystérie climatique. Les manifestations des jeunes qui ont suivi avec enthousiasme les conseils d’une jeune suédoise ont donné à des politiciens en quête de raison d’être une opportunité pour montrer qu’ils s’occupent de la jeunesse, mais aussi de l’environnement ou plus précisément de « sauver la Planète ».
Qui n’est pas en faveur de la protection de l’environnement ?
Qui n’est pas attentif à la santé ?
L’occasion rêvée pour redonner du sens à la politique était trop belle, d’autant plus qu’il y avait en 2019 l’élection d’un nouveau parlement européen. L’inflation de promesses inconsidérées ne s’est pas fait attendre. Elle a abouti le 11 décembre 2019 à la publication d’une nouvelle stratégie de la Commission européenne appelée « Green Deal » et à son adoption par le Conseil européen le 13 décembre, avec un parlement européen qui en veut encore plus.
L’inflation des promesses est à son comble, tout comme le budget qu’il va falloir débourser pour atteindre ces promesses, destinées en fait à redonner une raison d’être à une Union européenne en manque de projets enthousiasmants pour ses citoyens et ignorée par les pays qui dirigent  les grands enjeux géopolitiques comme l’a manifestement montré le camouflet infligé à Angel Merkel lors de la conférence sur la Libye à  Berlin le 21 janvier 2020 .
Pourtant, sur le front de l’énergie, et non des politiques énergétiques, le début de la révolution annoncée n’a même pas commencé. Au contraire, la toute-puissance des énergies fossiles a été confirmée voire renforcée. La nouvelle géopolitique de l’énergie, qui a été créée grâce à l’abondance des énergies fossiles, s’est affermie et est entérinée par une grande partie du business de l’ énergie.
J’ai récemment (janvier 2020) publié un livre reprenant 28 articles de 2019 sur le sujet [1] en vue de l’affirmation de la nouvelle géopolitique de l’énergie, celle où la peur de la rupture des approvisionnements ne formate plus la politique internationale, celle où les forces du Marché s’imposent grâce aux extraordinaires progrès technologiques.
Mes détracteurs me présentent comme un ‘défenseur des énergies fossiles’. Il est un fait que je leur ai consacré le début de ma carrière à la Commission Européenne, lorsque l’UE avait annoncé que le charbon et le nucléaire devaient représenter en 1990 « 70 à 75% » de la génération d’électricité, mais par la suite j’ai été ― entre autres ― responsable de l’environnement, des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. J’ai eu le temps d’étudier de manière approfondie toutes ces énergies et politiques énergétiques sous l’angle technologique, politique mais aussi géopolitique. J’ai pu ainsi me rendre compte de manière directe que si l’angle technologique était important, l’angle géopolitique l’était tout autant, si pas plus et ignorée par les pays qui dirigent  les grands enjeux géopolitiques comme l’a manifestement montré le camouflet infligé à Angel Merkel lors de la conférence sur la Libye à  Berlin le 21 janvier 2020
Ma connaissance non seulement des aspects proprement scientifiques de l’énergie et de la géopolitique de l’énergie, ainsi que ma longue expérience de la politique internationale me poussent à être fermement du côté du réalisme. Penser, comme le fait le GIEC, et l’UE à sa suite, que les énergies fossiles pourraient être abandonnées (quasi totalement) en un court laps de temps, au profit d’énergies renouvelables intermittentes relève de l’utopie. Les insuccès des COP 22 à 25 en sont d’ailleurs une forme de démonstration. J’y vois deux raisons : une première qui a un fondement rationnel et s’exprime en termes mathématiques et une seconde de nature géopolitique.
Concernant le fondement rationnel, C. Marchetti et Nebojsa Nakicenovic, chercheurs de l’IIASA à Laxenburg, en Autriche, ont montré à la fin des années 1970, que la transition d’un système énergétique vers un autre prenait naturellement environ un siècle pour permettre au nouveau système d’occuper une part de marché égale à 50%. Ceci semble avoir été totalement perdu de vue, malgré la solidité de l’étude sur le plan méthodologique. Renverser cette propriété décrite par une loi mathématique de type logique ne peut se faire que moyennant une distorsion profonde du mode de fonctionnement actuel de la société. D’ailleurs cela est confirmé par les faits, car alors que depuis 40 années l’UE finance de multiples politiques et mesures en faveur des énergies renouvelables, l’éolien et le solaire ne représentent respectivement que 1,9% et 0,5% de la demande en énergie primaire. L’Université de Frankfort a calculé qu’entre 2010 et la mi-2019 l’Europe a dépensé 700 milliards en faveur des énergies renouvelables [ici]. J’estime – par défaut – qu’entre 2000 et 2019 c’est plus d’un trillion d’euros (un million de million d’euros) les sommes dépensées par l’UE et ses États membres pour atteindre ce résultat dérisoire. Notons aussi qu’ils préfèrent parler d’électricité que d’énergie primaire, mais comme le montre la figure 1 du chapitre 2 cela ne peut tromper que les naïfs [2].



Si les dirigeants de l’UE semblent pour l’essentiel d’accord d’imposer un changement radical, auront-ils le courage d’expliquer aux citoyens européens la portée concrète et quotidienne du changement imposé et celui d’en assumer les conséquences ? On observe déjà certaines de ces conséquences dans les mouvements sociaux apparaissant çà et là, notamment suite au renchérissement des prix de l’énergie. Observons , par exemple, la réactions des syndicats de Bulgarie qui sont très préoccupés car – malgré qu’ils veulent bien protéger l’environnement – ils estiment que ce qui est envisagé est destructeur d’emplois actuels pour d’autres hypothétiques pas pour la même catégorie de travailleurs. D’ailleurs même la Banque nationale belge s’interroge sur les conséquences économiques de ces annonces politiquement correctes mais qui vont détruire des secteurs entiers de l’économie. Si les directives du GIEC sont suivies, la résistance aux attaques contre le pouvoir d’achat que ces directives induisent ne fera évidemment que se renforcer et prendre des formes violentes. C’est la raison essentielle de mon hostilité à l’égard de cette utopie.
D’un point de vue géopolitique, dans d’autres régions du monde, en particulier les plus pauvres, l’imposition des directives du GIEC rencontrera encore plus d’opposition : celle des pays détenteurs de richesses pétrolières et gazières qui y verront un appauvrissement, et celle des pays qui n’en ont pas et dont la pauvreté rendra la chose encore plus insupportable. Il est illusoire de croire que les sommes astronomiques (les COPs parlaient de 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 mais nous sommes déjà en 2020 !) censées être versées par les pays riches aux pays pauvres (en ce inclus la Chine, qui veut sa part du gâteau) dans le cadre du fond vert confirmé dans l’accord de Paris suffiront à sortir ceux-ci du marasme. Pour ne parler que de l’Afrique, comme je le montre dans mon livre paru en décembre 2019 « L’urgence d’électrifier l’Afrique » [2], le véritable problème (avec des variations de pays à pays) est celui de la bonne gouvernance et de l’infrastructure technico-économique. De nombreux chefs d’État africains ne se soucient guère ― hélas ― du bien-être de leur population. En d’autres termes, les sommes versées seront essentiellement détournées par les détenteurs du pouvoir. Les ONG environnementales sont complices involontairement car elles souhaitent que ces sommes aillent au bénéfice des énergies vertes intermittentes plutôt que d’électrifier massivement l’Afrique comme il est urgent de faire. Est-il concevable de revenir à une forme de colonialisme pour éviter que la situation économique des populations concernées n’empire sous l’effet des mesures imposées ? Poser la question revient à y répondre. Je rappelle que le projet Desertec porté par la politique et l’industrie allemande a été rapidement qualifié « d’éco-colonialiste ». Ce ne fut pas là la seule raison de son échec retentissant ; à cet égard, j’aurais espéré que ceux qui l’ont vanté lors de son annonce aient le courage de reconnaître et d’annoncer aussi l’échec énorme qu’il a été.
En plus, Chine et Inde sont les nouveaux géants de la consommation d’énergie. « L’atelier du monde » et « le bureau du monde » consomment de plus en plus de charbon, et si les progrès de la production en énergies renouvelables est une réalité cela ne change en rien la croissance indispensable de la consommation des énergies fossiles. Les statistiques pour 2019 ne seront disponibles que dans quelques mois, mais assurément elles montreront, encore une fois, que la croissance de la demande en énergies fossiles est supérieure à celle des énergies renouvelables. Sur les huit dernières années, les énergies renouvelables n’ont pris que 22% de la croissance de la demande mondiale en énergie primaire. Le fossé entre énergies renouvelables et énergies fossiles s’élargit donc, contrairement à ce que certains voudraient nous faire croire.
Est-ce à dire qu’il ne faut rien faire et laisser la situation actuelle en termes de rejets de gaz à effets de serre se dégrader ? Certainement pas, mais le réalisme plaide pour une transition, là où la chose est possible, des combustibles fossiles les plus néfastes en termes de rejets de CO2 vers des combustibles moins pénalisants. Il s’agit tout d’abord du gaz naturel, notamment grâce à sa surabondance depuis la production du gaz de roche mère, du nucléaire et des énergies renouvelables non intermittentes. Nombreux sont les scientifiques et experts (en particulier André Berger, éminent climatologue s’il en est et qui a co-signé un des articles repris dans cette anthologie [1 ]) qui considèrent que cette option est la plus raisonnable et est celle qui provoquera le moins de ‘destruction sociale’, à savoir la moins pénalisante pour les citoyens, notamment les plus pauvres. C’est cette option pour laquelle je me bats de toutes mes forces et qui me donne l’énergie pour décrire ce qui est. L’énergie c’est la vie et restreindre la consommation d’énergie conduira à une plus grande perte d’influence de l’UE dans le monde avide de consommation d’énergie.
Notes
[1] Furfari S. Energie 2019. Hystérie climatique et croissance des énergies fossiles. ISBN 9781652319436, Amazon Fulfillment, 222p.
[2] Furfari S. 2019. L’urgence d’électrifier l’Afrique. ISBN: 978234316202, Harmattan, 242p.

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