Entrevue avec l’auteur Pierre-Olivier
Drai
L’ouvrage de Pierre-Olivier Drai met en évidence le rôle
fondamental que chacun joue dans la sécurité commune.
Self-sécurité de Pierre-Olivier Drai, publié récemment
aux Belles Lettres dans la collection « Les Insoumis », explore la
reprise en main des questions de sécurité par les citoyens, en collaboration ou
indépendamment des services publics. Il y montre que l’individu n’est pas sans
moyen ni défense face à la violence ordinaire. Le retour de l’ordre public,
aujourd’hui si mal assumé par les États, passe par une réappropriation de leurs
responsabilités par les citoyens.
Pierre-Olivier Drai est un politologue français, spécialiste
des questions de sécurité personnelle. Il travaille dans la veille
informationnelle, la protection contre l’espionnage industriel et la
sécurisation des expatriés. Ses travaux couvrent principalement la sécurité
privée, les architectures de défense, la criminalité et la cartographie
criminelle. Interview.
Votre livre promeut
la responsabilisation de l’individu en matière de sécurité. Ne craignez-vous
pas que cela conduise à des lynchages ?
Pierre-Olivier Drai : justement, non. La sécurité
individuelle n’est pas l’auto-justice. Ce sont des processus différents qu’il
convient de réellement garder séparés. Intervenir ne veut pas dire se faire
justice. L’aboutissement de l’action est de prévenir le danger et, le cas
échéant, faire appel à la puissance publique en dernier ressort, c’est-à-dire,
à sa juste place, celle de la justice. L’autre jour, je surprenais un voleur de
voiture en pleine action ; j’ai donc avisé les agents de police dans la
rue à côté qui y sont allés. Mon rôle a été celui du donneur d’alerte et du
témoin. Ce sera à la justice de décider si le voleur de voiture était mal
intentionné ou bien s’il ne s’agissait que d’une personne qui avait oublié ses
clefs. On l’oublie trop souvent, mais la « confrontation » avec la
délinquance ne se résume pas au moment de l’échange de coups de poings. La
« confrontation » commence en réalité bien en amont, par l’alerte, la
prestance, la démarche, le comportement, l’utilisation de l’espace,
l’observation ; or on ne retient que la phase terminale, celle du choc.
En agissant durant ce temps, il est possible de prévenir plus d’actes de
délinquance qu’en agissant au dernier moment.
De façon assez éclairante, le terme de
« lynchage » démontre bien la confusion qui existe entre auto-défense
et auto-justice. Lyncher est, qu’on l’apprécie ou non, une action de
justice ; le terme tire son origine d’un juge Lynch dans l’Ouest américain
qui était prompt à la pendaison. Il s’agit donc réellement, d’une décision de
juge et non d’une action d’autodéfense.
Vous évoquez le monopole
par l’État de la violence légitime, cela n’est-il pas en contradiction avec un
rôle accru de l’individu ?
C’est un commentaire que j’entends souvent et la réponse est
non. Le propre du monopole est justement de pouvoir déléguer son pouvoir. Dans
le cas d’espèce, c’est exactement ce dont je parle. La sécurité privée ou bien
la sécurité de l’individu sont, dans nos sociétés, l’expression du monopole de
la violence légitime par l’État. En fait, l’individu « confie » à
l’État son droit inhérent à la violence légitime ; son droit naturel à se
défendre. L’État, en retour, détermine les modalités de ce droit. L’État n’a de
monopole de violence légitime, non parce qu’il est État, mais parce que les
citoyens lui prêtent, littéralement, ce pouvoir.
D’un point de vue social, cette question me fascine toujours
tant elle revient et tant elle montre combien les citoyens ont intégré une
forme de devoir de soumission à l’autorité de l’État et à sa violence
inhérente. Dans mon livre, je ne parle d’intervenir que dans le cadre des
modalités fixées par la loi. En aval donc du droit naturel et dans un cadre
déjà déterminé par le législateur. Je ne parle que de ce que les gens ont le
droit de faire. Or, pour beaucoup, agir selon leurs droits est déjà remettre en
cause le monopole de l’État. Je trouve ce positionnement intellectuel assez
dangereux et pour tout dire, un peu servile.
À vous lire, on a le
sentiment qu’un crime peut se dérouler à chaque coin de rue. Pensez-vous que
nous vivons dans une époque plus violente ?
On pourrait aussi avoir le sentiment qu’un héros est aussi
présent à chaque coin de rue ! Plus sérieusement, la violence n’est pas un
fait nouveau dans la société. En France, les Blousons Noirs ont succédé aux
Apaches et cela fait bien longtemps qu’on met en garde contre le fait de sortir
la nuit. Il n’y a qu’à écouter les chansons de Renaud ou l’opéra-rock Starmania
pour avoir conscience de la délinquance des décennies précédentes. En revanche,
on rapporte mieux les faits de violence et ceux-ci disposent d’une grande
couverture médiatique. Voila pour l’impression.
En ce qui concerne les faits, les sociétés européennes
connaissent une criminalité plus élevée qu’aux États-Unis. Nous vivons
indubitablement une période très difficile, la crise économique a ravivé les
querelles sociales et généralement on observe un déplacement de la violence de
la rue à la sphère intime. Je pense en particulier aux cours d’école avec des
jeux mortifères (jeu du foulard) ou bien au sein des couples (jeux érotiques).
Ce glissement me semble aller de pair avec une dé-légitimation croissante de
l’idée même de violence au sein de la société. Toute violence est dangereuse,
il faut donc la bannir. Nous vivons dans une société libérale jonchée
d’interdictions. Et tant pis pour les conséquences psychologiques de cette
contradiction apparente ! Sauf que la violence est inhérente à la
condition humaine, nous sommes, après tout, des prédateurs sociaux et
omnivores, autrement dit des animaux particulièrement dangereux. À chasser le
naturel, il revient par la fenêtre, dirait Freud. Il est donc impératif d’être
attentif aux nouveaux tabous.
Pierre-Olivier Drai, Self-sécurité,
collection « Les Insoumis », Les Belles Lettres, mai 2015, 110 pages.
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