André Dorais
Le reportage «Le prix à payer» se présente comme un documentaire
portant sur l'évasion fiscale. Toutefois,
force est de constater qu'il s'agit plutôt d'un plaidoyer en faveur de l'État-providence
et de ce qu'il sous-entend, à savoir une juste répartition des richesses
établie par une juste contribution fiscale.
Le problème et sa solution sont identifiés dès le début. Les images et la musique qui l'accompagnent cherchent
à traduire une colère contenue, mais sur le point d'éclater. Une colère «collective» gronde, car l'État
n'arrive plus à bien redistribuer les richesses, voire à réduire la pauvreté.
On constate une inégalité croissante des richesses, on
identifie les coupables, ensuite on tente de les taxer pour réparer l'injustice. Face à cette vision du monde, quelques
questions me viennent à l'esprit: Y a-t-il vraiment augmentation des inégalités
des richesses? Si oui, est-ce une
injustice? Dans l'affirmative, est-ce
que taxer les entreprises constitue une bonne façon d'y remédier? Doit-on les taxer pour réduire la
pauvreté?
Y a-t-il augmentation
des inégalités des richesses?
Pour bien répondre à cette question, il importe de
distinguer les inégalités économiques entre citoyens d'un même pays et celles
entre citoyens de pays différents. Au 19e
siècle, les inégalités économiques étaient plus prononcées entre les citoyens d'un
même pays que celles entre citoyens de pays différents. Aujourd'hui, c'est le contraire, c'est-à-dire
qu'elles sont plus grandes entre les citoyens de pays différents que celles
entre citoyens d'un même pays (voir More
Evidence that Global Economic Inequality is Decreasing).
Il s'agit de la tendance lourde, soit celle de 1820 à
1980. Toutefois, depuis 1980 ces
tendances se sont inversées modérément, c'est-à-dire que les inégalités
économiques entre les citoyens d'un même pays tendent à s'accroître, tandis que
celles entre citoyens de pays différents tendent, au contraire, à baisser. L'ouverture de la Chine aux échanges
internationaux, depuis cette date, constitue certainement un élément de réponse
à ce revirement de tendance.
Un autre élément de réponse, qui expliquerait en partie l'augmentation
des inégalités entre les citoyens d'un même pays depuis 1980, est la croissance du secteur
financier dans l'économie. Si ce
constat me semble sans appel, attribuer ces inégalités entièrement aux paradis
fiscaux est, par contre, discutable; mais n'allons pas trop vite.
Le but de cette section était de déterminer s'il y a
augmentation des inégalités des richesses.
À la lumière des faits présentés, on doit conclure que, depuis 1980, il
y a augmentation des inégalités entre citoyens d'un même pays et, à l'inverse,
diminution des inégalités entre citoyens de pays différents. Ces tendances sont relativement récentes, car
elles en renversent d'autres vieilles de quelque 150 ans. À partir de ces données peut-on conclure à
l'injustice?
Les inégalités des
richesses constituent-elles une injustice?
Le fait de constater qu'il existe toujours de grandes
inégalités de richesse ne permet pas de conclure à l'injustice, à moins de
définir celle-ci comme étant elle-même l'inégalité des richesses. Comme le démontre Daniel Fernández Méndez,
dans le texte cité plus haut, une grande inégalité des richesses peut être
accompagnée d'une forte augmentation du niveau de vie pour tous les citoyens d'un
même pays, tout comme elle peut être le fruit de privilèges octroyés à une ou
quelques classes dominantes. À mes yeux,
seule l'inégalité fondée sur des privilèges octroyés par l'État à un groupe
plutôt qu'un autre devrait être considérée injuste et combattue
adéquatement. En ce sens, j'adhère à une
vision libérale du monde. Dans cette
optique, ce ne sont pas les inégalités de richesse qu'on doit réduire, mais la
pauvreté.
L'abolition des
paradis fiscaux est-elle une bonne façon de réduire la pauvreté?
Dans le reportage, on accuse les institutions financières et
les multinationales, notamment de l'Internet, de trop utiliser les paradis
fiscaux pour réduire leur charge fiscale.
On ne pose pas la question à savoir si les paradis fiscaux sont injustes
ou non, on affirme rapidement qu'ils le sont.
On souhaite donc leur abolition, ou à tout le moins, la réduction de
leur nombre. On présente bien quelques
individus qui pensent autrement, mais c'est pour mieux les dénoncer. On passe plus de temps à faire entendre son
indignation qu'à essayer de faire le tour de la question, ce qui est pourtant
le but d'un documentaire.
À titre d'exemple, on présente Margaret Hodge en 2012, alors
qu'elle était présidente de la Commission des comptes publics du parlement
britannique. Après avoir convoqué et
entendu quelques hauts dirigeants d'entreprises, elle les sermonne, allant même
jusqu'à en qualifier un d'immoral, parce qu'ils cherchent trop à réduire les
charges fiscales des entreprises qu'ils représentent. Elle sort de ses gonds lorsque Andrew Cecil
lui précise qu'Amazon, l'entreprise pour laquelle il travaille, paie beaucoup
de cotisations sociales. Elle lui fait
savoir que cela ne suffit pas. Elle
accuse Amazon de mettre les libraires en faillite, de ne pas payer suffisamment
les gens qui travaillent pour elle et rappelle à Monsieur Cecil que son
entreprise dépend des routes que le gouvernement finance pour assurer ses
activités...
Cette sortie de Madame Hodge a été diffusée et rediffusée
par les médias; elle exprime une colère envers les paradis fiscaux et les entreprises
qui les utilisent. À l'écoute de ce
reportage, on réalise assez vite que ses auteurs n'aiment pas les paradis
fiscaux et faute de pouvoir les abolir ou en réduire le nombre, ils souhaitent taxer
davantage les entreprises qui les utilisent.
Par contre, ils ne se posent pas la question à savoir si cela s'avère un
moyen efficace de réduire la pauvreté.
Taxer les entreprises
constitue-t-il la meilleure façon de réduire la pauvreté?
On a beau dire que les taxes, impôts et autres charges
sociales servent à établir la solidarité parmi les citoyens, ils et elles
demeurent des coûts. Les entreprises ne
peuvent pas se permettre de les absorber, en partie ou en totalité, sans
affecter d'une manière ou d'une autre leur compétitivité. Elles cherchent donc à les refiler soit à leur
clientèle, soit à leurs employés. On
doit rappeler que, à l'instar de l'État-providence, les entreprises cherchent à
rendre service. Par conséquent, plus on
les taxe, moins elles peuvent le faire.
Plusieurs individus n'aiment pas l'idée de faire trop de
place aux entreprises à but lucratif, car ils considèrent que leur quête de
profit n'est pas noble. D'autres
admettent leur utilité, mais considèrent que l'État a un rôle important à jouer
et conséquemment, il n'a pas le choix de taxer.
Ces derniers cherchent donc à déterminer le juste niveau de taxation
pour tout le monde. De ce point de vue,
ils concluent que les paradis fiscaux ne répondent pas à ce critère. Pour être plus précis, ils considèrent qu'une
trop faible taxation, non seulement de la part des paradis fiscaux mais en
général, constitue un manque à gagner pour l'État-providence.
Les auteurs du reportage, de même que la majorité des gens
qui y interviennent, adhèrent à cette seconde façon de penser, plutôt
idéaliste. C'est-à-dire qu'ils pensent ou
bien que les entreprises ne peuvent pas réduire la pauvreté, ou bien, s’ils
leur accordent cette capacité, ils n’encouragent pas l’État à leur céder les
secteurs d’activités qu’il contrôle. Ils
cherchent d'abord et avant tout à préserver les pouvoirs de l'État. C'est tellement vrai qu'après avoir réalisé
qu'ils ne peuvent ni réduire le nombre de paradis fiscaux, ni trop augmenter
les impôts des entreprises de peur de les perdre, ils se rabattent sur l'idée
de taxer les transactions financières, sans plus de précision. Chose certaine, ceux qui effectuent de telles
transactions sont beaucoup plus nombreux et beaucoup moins riches que les
soi-disant coupables, des augmentations et de la pauvreté et des inégalités,
que l'on identifie dans le reportage.
La réalité est la suivante: taxer davantage les
contribuables sans obtenir plus de services en retour équivaut à les appauvrir
davantage. C'est dire que ceux-là mêmes
qui cherchent à maintenir l'État-providence finissent par le détruire. Ils le détruisent sans le réaliser, alors que
le libéral veut le détruire consciemment.
En effet, si l'on veut réduire la pauvreté, alors on doit également
remettre en question sa capacité d'y parvenir.
Par conséquent, on ne doit pas nécessairement chercher à combler son
soi-disant manque à gagner.
Ce qui est considéré, par les intervenants du reportage, un
«manque à gagner» pour l'État n'est rien d'autre qu'une taxe potentielle. C'est-à-dire une taxe (impôt, cotisation,
etc.) qui ne s’ajoute pas encore à celles déjà imposées aux individus et aux
entreprises. Je rappelle que plus les
entreprises possèdent de ressources, plus elles sont en mesure d'en faire
bénéficier les consommateurs; et un consommateur satisfait est un consommateur
plus riche.
L'objectif des entreprises est de combler les besoins. Lorsque les besoins sont comblés, il n'y a
pas qu'elles qui s'enrichissent, mais également leur clientèle. En ce sens, il n'y a aucun doute que les
services qu'elles offrent réduisent la pauvreté. Malheureusement, l'État réduit cette capacité
en les taxant davantage. Par chance,
beaucoup de gens réalisent qu'à trop les taxer elles peuvent choisir de
s'établir ailleurs, voire fermer leurs portes, ce qui constitue un appel à la
modération aux dirigeants politiques.
Par conséquent, il est important de trouver d'autres moyens que la
taxation pour réduire la pauvreté. Pour
mieux dire, moins on l'utilisera pour atteindre cet objectif, plus on en
bénéficiera.
En somme, le reportage déplore la concurrence fiscale pour trois
raisons: elle constitue, pour l'État, un manque à gagner; elle affaiblit sa
capacité de réduire les inégalités et finalement, elle affaiblit sa capacité de
réduire la pauvreté. Les deux derniers
arguments mentionnés sont également considérés une injustice par la majorité
des intervenants du reportage.
Le deuxième argument est faux puisque l'État peut toujours
taxer davantage les «riches» pour réduire les inégalités. Je ne dis pas que c'est souhaitable, ni que
cela s'avère un moyen efficace d'y arriver, je dis plutôt que peu importe
l'argent en sa disponibilité, l'État peut, s'il le désire, réduire les
inégalités économiques sans avoir à tenir compte des paradis fiscaux. Ces derniers constituent plutôt une réponse
au premier argument mentionné, soit que l'État-providence a un manque à gagner,
entre autres raisons, parce que certaines entreprises les utilisent pour
réduire leurs impôts et autres charges sociales.
Les entreprises cherchent à réduire leurs coûts non
seulement pour engranger des profits, mais pour répondre à un plus grand nombre
de consommateurs. Ce faisant, elles
réduisent également la pauvreté. Si elles
savent comment s'y prendre, alors leurs dirigeants ont de bonnes chances de
devenir riches et conséquemment, ils devront payer beaucoup d'impôt dans les
pays (États) respectifs où ils habitent.
En effet, ce sont principalement les entreprises qui s'établissent dans
des paradis fiscaux, non leurs dirigeants.
Certes, on trouve des dirigeants malhonnêtes au sein
d'entreprises à but lucratif, mais on en trouve également au sein des
gouvernements et au sein des organismes sans but lucratif. On peut, voire on doit qualifier cette
malhonnêteté d'immorale, mais on ne peut pas qualifier d'immorale l'utilisation
des paradis fiscaux, car elle ne met pas en jeu l'objectif ultime de réduire la
pauvreté.
Le troisième argument présenté par les auteurs du reportage ne
fait aucun doute. C'est-à-dire que la
concurrence fiscale affaiblit la capacité de l'État de réduire la
pauvreté. En contrepartie, elle augmente
celle des entreprises de la réduire, ce que le reportage ne dit pas. Il n'en dit pas mot, car son objectif est de
préserver l'État-providence sous prétexte qu'il est seul à pouvoir atteindre
convenablement cet objectif. C'est plutôt
le contraire qui est vrai. On doit
réduire le rôle de l'État dans tous les secteurs d'activités et conséquemment
laisser aux entreprises le soin d'offrir aux consommateurs les services qu'ils
désirent. Qu'elles n'aient pas le
pouvoir de taxer les consommateurs pour rendre service constitue un avantage
majeur sur l'État que l'on devrait réaliser et se servir.
Il reste à clarifier pourquoi les inégalités se sont accrues
au sein d'un même pays depuis 1980. Les interventions
de plus en plus grandes des banques centrales constituent, à mon humble avis,
la principale source des inégalités croissantes de richesse depuis 1980 entre les
individus d'un même pays. Que ces
interventions soient sur le taux directeur, la dette ou la monnaie, elles
tendent à favoriser les mieux nantis au détriment des plus pauvres, car
l'argent n'est pas neutre; il favorise ceux qui y ont accès en premier. Puisque le secteur financier travaille
étroitement avec les gouvernements, il se trouve aux premières loges. Du moins, certains individus de quelques institutions
financières comptent parmi les premiers récepteurs de ce nouvel argent.
Je rejoins donc le point de vue de plusieurs intervenants du
reportage lorsqu'ils disent que plusieurs nouveaux riches proviennent du
secteur financier. Cependant, je ne
partage pas leur conclusion d'attribuer cette nouvelle richesse à la seule utilisation
des paradis fiscaux, car le système monétaire actuel favorise les dirigeants du
secteur financier peu importe où ils s'établissent.
On a précisé, plus tôt, que dans la mesure où tout le monde
bénéficiait d'un accroissement des richesses, les inégalités économiques ne
constituaient pas un problème. On a
également précisé qu'il y a injustice uniquement si ces inégalités sont le
fruit de privilèges octroyés par l'État à certains individus plutôt que
d'autres. Or, le système monétaire actuel,
contrôlé par l'État par l'entremise de sa banque centrale, privilégie le
secteur financier. On doit corriger
cette situation non seulement parce qu'elle facilite l'accumulation de fortune pour
les individus qui travaillent dans ce secteur, mais parce que ce système, qui
monopolise l'émission de monnaie et dicte les taux d'intérêt, réduit la
richesse globale en falsifiant involontairement les prix qui permettent
d'établir où investir et quoi consommer.
Si les interventions de plus en plus musclées des banques centrales constituent une source d'appauvrissement, l'expansion de l'État en général en constitue une autre. Plus l'État s'accroît, moins il est apte à réduire la pauvreté, car pour ce faire il doit ou bien s'endetter davantage ou bien taxer davantage. À procéder ainsi, tout le monde y perd. À trop défendre l'État-providence on devient aveugle. On s'arroge la morale et on cherche des coupables ailleurs qu'en son propre raisonnement, ses propres croyances.
Si les interventions de plus en plus musclées des banques centrales constituent une source d'appauvrissement, l'expansion de l'État en général en constitue une autre. Plus l'État s'accroît, moins il est apte à réduire la pauvreté, car pour ce faire il doit ou bien s'endetter davantage ou bien taxer davantage. À procéder ainsi, tout le monde y perd. À trop défendre l'État-providence on devient aveugle. On s'arroge la morale et on cherche des coupables ailleurs qu'en son propre raisonnement, ses propres croyances.
Si l'on cherche à réduire la pauvreté, alors l'État ne doit
pas chercher de nouvelles façons de taxer, il doit, au contraire, réduire sa
taxation au sens large du terme: impôt, contribution, cotisation, etc. Si l'un des buts de vivre en société est de
réduire la pauvreté et d'accroître la richesse pour tous, alors on doit faire
exactement le contraire de ce que préconise le reportage. On doit demander non pas moins de concurrence
fiscale, mais plus. À son tour, cela
signifie une réduction du rôle de l'État pour laisser aux entreprises plus de moyens
d'offrir des services. Celles-ci peuvent
tout faire en autant que les États ne les empêchent pas. Et n'en déplaise à Madame Hodge et autres partisans
de l'État-providence, cela comprend également les routes et leur
financement.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire