Critique du livre Génération tonique de David Baverez
(Plon).
Par Thierry
Godefridi.
Forte de trente ans de
restructuration sociétale et économique, la Chine s’avère la grande gagnante de
la crise de 2008, que ce soit sur le plan géopolitique ou économique, avance
David Baverez dans le chapitre liminaire de Génération tonique (paru aux Editions Plon).
S’adressant à la génération des 20 à 30 ans, il la prévient
de la refonte nécessaire du modèle de société insoutenable de l’Europe des
dernières décennies et l’invite à comprendre les mutations, à résister à la
morosité ambiante et à se prendre en main. Ayant vécu à Berlin, Londres, New
York et Hong Kong, l’auteur semble mieux placé qu’un simple navetteur
Paris-Bruxelles-Strasbourg pour dispenser une vision panoramique du monde et
des idées toniques aux candidats entrepreneurs et investisseurs, toutes
générations confondues.
« Si l’Europe
représente à peine plus de 7% de la population mondiale, produit environ un
quart du produit intérieur brut global et doit financer 50% des dépenses
sociales mondiales, alors il est évident qu’elle devra travailler très dur pour
préserver sa prospérité et sa manière de vivre », avait déclaré Angela
Merkel dans une interview accordée au Financial Times en décembre
2012. David Baverez cite la chancelière allemande (tout en omettant
curieusement d’en reprendre la conclusion concernant l’âpreté au travail,
garant de la prospérité) et il applique son équation à la France : 1% de
la population mondiale, 4% du PIB global et 15% des charges sociales mondiales.
Faut-il s’étonner, ironise-t-il par ailleurs, du manque de sagacité à l’égard
des réalités nouvelles de la part des élites d’un pays, la France, qui fut la
seule à lutter contre la réunification allemande en 1989 et la seule à
reconnaître les généraux russes responsables de l’éphémère tentative de putsch
en 1991 ?
David Baverez voit dans les nouvelles réalités d’aujourd’hui
et de demain le résultat de trois révolutions concomitantes, celle de la mondialisation qui
a démultiplié le nombre d’acteurs économiques et de talents disponibles, celle
de l’énergie (domaine dans lequel il juge la politique de l’Europe comme la
plus funeste, rejoignant en cela l’argument développé par Corentin de Salle et
David Clarinval dans leur livre Fiasco Energétique) et celle des technologies de l’information
(domaine dans lequel il dénonce l’erreur stratégique que l’Europe a commise en
maintenant une fragmentation artificielle de son marché intérieur face aux
géants mondiaux que sont Google, Amazon et Facebook, rejoignant en cela
l’argument développé par Guy Verhofstadt dans son mémorable
débat sur France 2face à Jean-Luc Mélenchon et Henri Guaino).
S’inspirant du best-seller de l’historien écossais Niall
Ferguson, Civilisations : l’Occident et le reste du monde,
Baverez énumère les facteurs ayant favorisé l’hégémonie de l’Europe dans le
monde par le passé : la concurrence comme source d’innovation ; la
science, gage de supériorité militaire ; le droit de propriété, pilier de
la démocratie représentative ; la médecine, source de bien-être
collectif ; la société de consommation, moteur de
l’industrialisation ; l’éthique du travail, ciment social. Si l’on mesure
les perspectives de l’Occident et du reste du monde à l’aune de ces facteurs et
en particulier du dernier (l’éthique du travail), l’on peut comprendre le
déclin relatif de l’Occident et l’essor du reste du monde. Mais, quel que soit
le facteur retenu à l’exception du dernier, l’ardeur au travail, l’on se
montrera plus réservé que l’auteur quant à leur valeur explicative du développement
économique de la Chine. Que ce soit sur le plan de l’état de droit ou celui du
bien-être collectif, la réalité peut paraître plus enivrante du haut d’une tour
hongkongaise qu’à Shenzhen ou à Guangzhou (comme peut en témoigner l’auteur de
cette recension) voire même à Shanghai (comme en témoigne l’article publié
récemment dans le FT sous le titre Life
as a trashpicker in a Shanghai Hole). La Chine, reconnaît David Baverez,
présente simultanément les caractéristiques d’un pays développé, d’un pays
émergent et d’un pays du tiers monde. Elle n’est pas, non plus, immunisée
contre un accident de croissance dû à la spéculation immobilière et boursière.
Reste Hong Kong, le poste d’observation qu’a choisi l’auteur
de Génération tonique. Il se montre dithyrambique pour sa
« terra entrepreneuria » et raconte ce déjeuner au cours duquel un
investisseur chinois s’enquit auprès de la ministre française déléguée à
l’économie s’il devait changer d’avocat car le sien ne cessait de lui réclamer
de nouveaux documents pour créer sa société et ouvrir un compte en France et
comment il fallait développer une affaire sans personnel car tout le monde –
banquier, comptable et épicière – lui déconseillait vivement d’en embaucher.
Cette anecdote, puisée dans ce livre bouillonnant de réflexions et d’idées, à
lire absolument, ne suffit-elle pas à montrer où le bât blesse dans notre
modèle de société ?
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