Depuis le début de l’année en cours des étudiants québécois
protestent contre la hausse prévue des droits de scolarité en septembre
prochain. Des négociations ont eu lieu entre
le gouvernement et les représentants des associations étudiantes, mais elles
n’ont pas abouti à une entente, du moins à une entente durable et ratifiée par
les étudiants.
Dans le but d’en arriver à une entente le gouvernement a réduit,
deux fois plutôt qu’une, la hausse prévue et il a augmenté à tel point l’aide
financière aux étudiants que la vaste majorité de ceux qui y ont droit se seraient
retrouvés en meilleure position financière qu’avant s’ils avaient accepté sa
dernière offre. Autrement dit, l’augmentation
de l’aide financière aux étudiants qui y sont éligibles non seulement
contrebalançait la hausse des frais de scolarité, mais elle leur laissait plus
d’argent dans leurs poches (Voir l'analyse
de Luc Godbout).
Suivant ce constat deux questions se posent. Si l’offre était si bonne pourquoi l’avoir
refusée d’une part et d’autre part, comment peut-elle être rentable pour le
gouvernement? La dernière offre mise sur
la table par le gouvernement est rentable pour lui, d’une part parce que l’aide
financière ne touche que 50% des étudiants, soit principalement ceux qui
étudient à temps plein, d’autre part parce que les augmentations des bourses
sont compensées en partie par une réduction des crédits d’impôts. Du strict point de vue économique la dernière
offre gouvernementale est aussi rentable pour près de 50% des étudiants, mais à
leur refus on constate que c’est insuffisant.
L’argument économique comme raison pour poursuivre la grève
demeure, mais il a perdu de son importance suivant les dernières offres
gouvernementales qu’on présume toujours valables. La grève se poursuit pour plusieurs autres raisons
dont les suivantes : loi 78, maladresse gouvernementale, infiltration
d’anarchistes, droits de scolarité tenus relativement bas depuis trop longtemps
et poids démesuré des associations étudiantes.
Maladresse
gouvernementale
Qu’on soit pour ou contre l’augmentation des droits de
scolarité on peut penser qu’il aurait été plus facile de l’introduire en début
de mandat, car règle générale on a moins de choses à reprocher à un
gouvernement fraîchement élu. Or, le
Parti libéral gouverne depuis 2003, il lui reste tout au plus un an pour déclencher
des élections et il traîne quelques boulets.
Cette augmentation est non seulement considérée inopportune, mais mal
ciblée considérant que plusieurs individus le soupçonnent de copinage,
notamment dans l’industrie de la construction.
Considérant que les représentants des associations
étudiantes jugent que la gestion des universités pourrait être améliorée, que
des économies pour le gouvernement pourraient en être tirées et transférées aux
étudiants pour réduire, voire annuler, la hausse des frais de scolarité, il eut été souhaitable que
le gouvernement leur montre un peu plus d'empathie. Avait-il peur de se mettre à dos les
recteurs? Croit-il vraiment que des
«gains d’efficacité» soient impossibles?
Le gouvernement est également à blâmer pour la façon dont il
a négocié avec les étudiants. À vrai
dire, il a peu négocié avec eux, il leur proposait plutôt de nouvelles offres
via les médias. Ce ne sont pas les
offres comme telles qui font problème, mais la manière de les présenter. En politique comme ailleurs la forme
l’emporte souvent sur le contenu. Cette
leçon semble avoir été oubliée par le gouvernement.
Infiltration
d’anarchistes et loi 78
Avant que la loi 78 soit adoptée, le 18 mai dernier, on
retrouvait, parmi les manifestants, des individus et des groupuscules qui
n’avaient qu’une chose en tête, exprimer leur ras-le-bol contre le
gouvernement, le capitalisme, le «système», bref contre tout et rien à la
fois. Il y avait ceux qui se qualifient
d’«indignés», indignés notamment contre ce qu’ils qualifient d’abus du
capitalisme. On retrouvait également, et
encore à ce jour, des individus qui se réclament de regroupements
anticapitaliste (CLAC) et anarchistes
(UCL,
Anarchopanda,
etc.). Malgré leur nombre relativement
peu élevé ces individus et groupuscules ont donné de l’ampleur aux
manifestations et ils ont contribué à la durée de la grève. Que dénoncent-ils exactement?
La plupart des «indignés» ont une dent contre les riches
banquiers qui, à leur avis, s’en mettent plein les poches sur le dos
d’autrui. Bien qu’à cet égard ils n’aient
pas tout à fait tort, ils se méprennent en attribuant ces abus au
capitalisme. Au contraire, s’il y a un
secteur d’activités qui est éloigné du capitalisme, c’est le secteur
financier. Pour parler de capitalisme
dans ce secteur il faudrait notamment abolir la banque centrale et retirer le
pouvoir de l’État sur la monnaie. Malheureusement,
peu d’individus prônent ces positions.
Le secteur financier est socialisé à sa base et c’est pour cette raison
qu’on y trouve autant d’abus. Il risque
de conduire beaucoup de gens à la faillite dans les prochaines années, car les
réformes proposées à ce jour sont tout à fait insuffisantes.
Il est aussi paradoxal que des individus se qualifiant d’anarchistes
réclament des services de l’État comme par exemple la gratuité scolaire (UCL
& Anarchopanda). Un anarchiste, au
sens populaire, est un individu qui rejette toute forme d’autorité et qui, par
conséquence, tend à semer la pagaille. Un
anarchiste au sens philosophique, pour sa part, conçoit la vie en société sans
l’aide de l’État et conséquemment sans imposition et sans taxation. Il ne rejette pas l’autorité, sauf qu’il ne
l’attribue pas à l’État. Dans sa
conception de la vie en société il y aurait des policiers comme à l’heure
actuelle, mais ceux-ci seraient payés par contrat établi volontairement plutôt
que par l’entremise de l’impôt. Ainsi, d’aucune
façon ne peut-on se qualifier d’anarchiste et réclamer de l’État un quelconque
service en même temps.
Ces groupuscules anarchistes et anticapitalistes prennent
souvent leur pied à faire de la casse ou à narguer les policiers. Puisque les manifestations et les méfaits se
multipliaient le gouvernement a jugé, avec raison, de mieux encadrer les
premières et tenter de réduire les seconds.
Pour ce faire, il a édicté la loi 78. Plutôt que de mettre un terme aux
manifestations elle leur a donné un second souffle. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit
inefficace. En effet, si les
manifestations se sont multipliées suite à l’adoption de cette loi, on ne peut
pas dire qu’elles constituent un appui aux revendications étudiantes. De plus, on ne doit pas oublier que son but
principal est de réduire les ardeurs de certains manifestants.
La loi 78 ne vise pas uniquement les représentants des
associations étudiantes, mais les casseurs et fomenteurs de trouble qui se
servent de ce conflit pour exprimer leur ras-le-bol contre le gouvernement, le
capitalisme, le système, etc. Toutefois,
on ne doit pas se leurrer, plusieurs des individus arrêtés pour méfaits lors de
ces manifestations sont à la fois étudiants et membres de mouvements radicaux
qui n’hésitent pas à utiliser la violence pour arriver à leurs fins. Les dissocier à tout prix les uns des autres
constitue un aveuglement volontaire.
L’établissement de la loi 78 a attisée les passions. Les gens qui en avaient assez des casseurs,
et plus généralement des protestataires envahir les rues de Montréal, ont
poussé un soupir de soulagement. À
l’opposé, ceux et celles qui avaient déjà une dent contre le gouvernement se
sont faits entendre ou bien pour la première fois, ou bien avec plus de vigueur. Par conséquent, on ne peut pas dire que les objectifs
de la loi aient été atteints, du moins jusqu'à maintenant. En effet, il est peut-être trop tôt pour
conclure de l’efficacité de la loi 78.
Cette loi limite notamment les libertés d’expression et
d’association, mais de manière contextuelle et non absolue. On conteste notamment les articles
16 à 21 de la loi. Or, l’article 16,
qui oblige les organisateurs à informer la police de la
date, l’heure, le lieu et l’itinéraire de leurs manifestations, se
compare avantageusement à ce qui se fait ailleurs. L’article 17 exige des organisateurs de
prendre les moyens appropriés pour faire respecter les exigences de l’article
16, ce qui est plus problématique. En
effet, si les organisateurs des manifestations peuvent aviser leurs membres du
déroulement de celles-ci, il me semble exagéré de croire qu’ils pourront
contrôler l’ensemble des manifestants.
Loi 78 et poids
démesuré des associations étudiantes
Les associations étudiantes ressemblent à s’y méprendre aux
syndicats des travailleurs. D’ailleurs
l’Association
pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) n’hésite pas à se qualifier
de syndicat. Puisque les syndiqués sont
des travailleurs rémunérés, l’ASSÉ tente ainsi de justifier sa principale
revendication, soit la gratuité scolaire.
En d’autres mots, cette association étudiante considère que la gratuité
scolaire serait la rémunération de l’étudiant.
Or, malgré ce que dit l’article 1 de la Charte de Grenoble,
à savoir qu’un étudiant est un «travailleur intellectuel», il n’est pas un
producteur, mais un consommateur de service.
À l’instar des syndiqués les membres des associations étudiantes
ne le sont pas par choix, mais par obligation, à tout le moins ils sont obligés
d’y contribuer. Les représentants des
associations étudiantes contestent les articles 18 à 21 de la loi, car ceux-ci
menacent leur financement. Ces «menaces»
surviennent parce que des protestataires minoritaires bloquaient l’accès aux
institutions d’enseignement à la majorité des étudiants qui voulait y accéder. Au lieu de ces articles, voire de la loi dans
sa totalité, on devrait permettre aux étudiants, comme aux travailleurs, de se
dissocier de leur «syndicat». Ils
retrouveraient ainsi leur liberté d’y contribuer ou non. Après tout, la liberté de s’associer devrait inclure
la liberté de ne pas s’associer.
L’obligation d’être membre d’une association étudiante dès
lors qu’on est étudiant universitaire explique en partie pourquoi la grève se
poursuit malgré que la majorité d’entre eux ait terminé leur session. Les étudiants sont mal représentés par leurs associations
justement parce qu’ils n’ont pas le choix d’en faire partie et d’y contribuer. Faut-il rappeler qu’il existe d’autres formes
de représentation que la représentation syndicale?
Droits de scolarité
relativement bas et idéologie dominante
L’augmentation prévue de 75% des droits de scolarité
universitaire, échelonnée sur une période de 7 ans, représente une augmentation
annuelle de 8,3%. C’est beaucoup
relativement au taux d’inflation prévu, mais considérant que ces frais sont
présentement les plus bas au Canada, c’est peu.
En effet, même au terme de cette augmentation seules les autorités de
Terre-Neuve et du Manitoba exigeront des frais inférieurs, et cela, uniquement
si elles ne les augmentent pas d’ici là.
Toutefois, si
l'on compare ces frais à ceux exigés dans plusieurs pays européens, alors
on doit conclure qu’ils sont relativement élevés.
Comment déterminer une «juste» augmentation? Un juste prix? Les réponses à ces questions varient selon
ses perspectives philosophiques, mais force est de constater que la majorité de
celles entendues à ce jour porte l’empreinte de l’idéologie dominante, à savoir
la social-démocratie.
Il va sans dire que les étudiants préfèreraient ne pas avoir
à débourser un sou de plus pour poursuivre leurs études, mais en pratique cela
implique de refiler la facture aux contribuables qui contribuent déjà à hauteur
de 63% des revenus universitaires. 13%
de ces revenus proviennent des étudiants et 24% de sources diverses :
recherche, formation continue, services auxiliaires et dons. Or, pourquoi les contribuables devraient-ils
financer davantage les études? Voire pourquoi
devraient-ils les financer même un peu? Tous
les arguments habituels ont été entendus : les contribuables doivent
être solidaires, l’éducation est un «bien public», non une «marchandise», les
étudiants universitaires constituent l’«avenir» du Québec, il s’agit d’un
investissement ayant des retombées économiques, etc. Voyons chacun de ces arguments de plus près.
Les étudiants demandent aux contribuables d’être solidaires,
mais leur conception de la solidarité est hypocrite, bien que populaire. En effet, elle ne s’applique aux uns qu’au
détriment des autres; elle est imposée aux contribuables contre leur gré. En utilisant ce sens perverti de la
solidarité on devrait conclure que ce sont les étudiants eux-mêmes qui
devraient être plus solidaires puisqu’ils ne financent leurs études qu’à
hauteur de 13%. Une solidarité plus
digne ou plus juste moralement devrait obtenir l’accord de chaque
individu.
On tente de faire avaler des couleuvres aux
contribuables. On dit que l’argent
investi auprès des étudiants universitaires est rentable pour le gouvernement,
car ceux-ci font relativement plus d’argent que les autres étudiants au cours
d’une vie de travail et conséquemment le gouvernement reçoit plus d’impôt de
leur part. Or, quand bien même les étudiants
universitaires feraient plus d’argent, en moyenne, que les autres étudiants, pourquoi
faut-il que ce soit rentable pour le gouvernement? Pour qu’il puisse offrir d’autres
services? On doit rappeler que les
services offerts par le gouvernement doivent être payés par les contribuables
et plus généralement les consommateurs. Plus
il en offre, moins les contribuables et consommateurs peuvent combler leurs
besoins tels qu’eux-mêmes les définissent.
En ce sens, la «rentabilité gouvernementale» ne se traduit aucunement
par une plus grande satisfaction des besoins des individus. Or, celle-ci est plus importante que
celle-là.
On dit également que les étudiants universitaires sont
l’«avenir» du Québec. Est-ce à dire que
les étudiants aux niveaux technique et professionnel ne constituent pas cet avenir? À vrai dire chaque individu à son avenir à
gérer et à planifier ou non, comme il veut, dans le respect d’autrui. Lorsqu’on cherche à vivre aux dépens d’autrui
la coopération humaine s’effrite. Au contraire,
pour qu’elle s’étende on doit non seulement respecter la vie d’autrui, mais les
fruits de son travail. Concrètement,
cela signifie qu’on ne devrait rien exiger des contribuables, du moins on
devrait chercher en à réduire le fardeau, car ils ont aussi leur propre avenir
à planifier.
Malheureusement, les représentants des associations étudiantes
prétendent que leur avenir constitue celui de la nation, que leur priorité prédomine
celle des contribuables. Leur prétention
et étroitesse d’esprit les conduisent à demander à l’État d’utiliser sa force
coercitive pour taxer et imposer les contribuables. Ces représentants ne cherchent pas la
liberté, mais à imposer leur idée du bien.
Ils veulent étudier, mais aux dépens d’autrui.
Certes, on peut les créditer d’avoir suggéré une révision de
la gestion des universités pour y trouver des économies qui leur seraient
refilées, mais jamais ils n’ont proposé une gestion privée, axée sur le profit ou
non, pour y arriver. Pour eux,
l’université doit demeurer un service public, c’est-à-dire un service que les
contribuables doivent payer. Ils croient
simplement que les contribuables pourraient être épargnés quelque peu si les
fonds gouvernementaux accordés aux universités étaient à la fois mieux gérés et
mieux distribués.
Certes, une gestion publique peut toujours être améliorée,
mais jamais elle ne pourra être aussi efficace dans la distribution des
ressources qu’une gestion privée. Les
raisons en sont assez simples. Une
gestion publique n’a pas le même souci des ressources disponibles qu’une
gestion privée, car elle a toujours la possibilité de demander au gouvernement
d’aller puiser davantage dans les poches des contribuables, voire dans celles
des entreprises. À noter que si cet
argent est tiré des entreprises plutôt que des individus, alors ce seront les
consommateurs des produits et services de celles-ci qui auront à en payer la
note. Dans un cas comme dans l’autre les
consommateurs se retrouvent avec moins de ressources et conséquemment moins de
choix.
Plusieurs individus n’aiment pas l’idée de traiter
l’éducation comme un bien ou un service de consommation. «L’éducation n’est pas une marchandise»,
clament-ils. C’est vrai, mais cela
demeure un service qui exige que des ressources y soient allouées. Celles-ci n’étant pas illimitées, il y a donc
obligation de faire des choix. Au
contraire, puisque les désirs des gens sont illimités, il y a lieu d’établir un
ordre de priorité parmi eux. Enfin,
puisque les priorités des uns ne sont pas celles des autres, la façon la plus
juste de les établir ne revient-elle pas aux individus eux-mêmes?
Laisser au gouvernement le soin d’établir les priorités des
uns et des autres constitue pratiquement une déclaration de guerre. On utilise d’abord des sophismes pour
justifier ses positions. «Mes priorités
sont plus importantes que les tiennes, je suis l’avenir du Québec, un
investissement dans mes priorités dégage des retombées économiques», etc. Si ces arguments ne suffisent pas, alors on
crie pour se faire entendre, on bloque les routes, on fait de la casse et on
menace quiconque n’est pas d’accord avec nos positions. Bref, au nom d’une soi-disant justice sociale
on est conduit de plus en plus à pratiquer la loi de la jungle.
Encore une fois, on ne doit pas attribuer aux seuls
étudiants les manifestations qui ont mal tournées, mais on ne doit pas les en
dissocier non plus. Après tout, ils
constatent un mouvement plus large de protestation qu’ils tentent de récupérer,
mais lorsqu’il y a de la casse ils tentent à tout prix de s’en dissocier. En d’autres mots, ils tentent de récupérer
uniquement ce qui fait leur affaire.
C’est de bonne guerre, mais cela ne légitime pas leurs positions.
Dans le but de dénouer l’impasse les associations étudiantes
réclament des élections, ce qui est probablement la meilleure chose à faire
dans les circonstances. Toutefois, si
par malheur pour celles-ci le Parti libéral gardait le pouvoir, on s’attendrait
à ce qu’elles acceptent leur défaite et cessent leurs manifestations. Dans le cas contraire, on pourrait assister à des manifestations qui pourraient être durement
réprimées. Ce n’est certes pas souhaitable, mais on doit l’envisager, car il
se trouve toujours quelques têtes brûlées qui raffolent du chaos.
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