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Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

09 juillet, 2012

Idéologie dominante et droits de scolarité

André Dorais


Depuis le début de l’année en cours des étudiants québécois protestent contre la hausse prévue des droits de scolarité en septembre prochain.  Des négociations ont eu lieu entre le gouvernement et les représentants des associations étudiantes, mais elles n’ont pas abouti à une entente, du moins à une entente durable et ratifiée par les étudiants. 

Dans le but d’en arriver à une entente le gouvernement a réduit, deux fois plutôt qu’une, la hausse prévue et il a augmenté à tel point l’aide financière aux étudiants que la vaste majorité de ceux qui y ont droit se seraient retrouvés en meilleure position financière qu’avant s’ils avaient accepté sa dernière offre.  Autrement dit, l’augmentation de l’aide financière aux étudiants qui y sont éligibles non seulement contrebalançait la hausse des frais de scolarité, mais elle leur laissait plus d’argent dans leurs poches (Voir l'analyse de Luc Godbout).
 
Suivant ce constat deux questions se posent.  Si l’offre était si bonne pourquoi l’avoir refusée d’une part et d’autre part, comment peut-elle être rentable pour le gouvernement?  La dernière offre mise sur la table par le gouvernement est rentable pour lui, d’une part parce que l’aide financière ne touche que 50% des étudiants, soit principalement ceux qui étudient à temps plein, d’autre part parce que les augmentations des bourses sont compensées en partie par une réduction des crédits d’impôts.  Du strict point de vue économique la dernière offre gouvernementale est aussi rentable pour près de 50% des étudiants, mais à leur refus on constate que c’est insuffisant.

L’argument économique comme raison pour poursuivre la grève demeure, mais il a perdu de son importance suivant les dernières offres gouvernementales qu’on présume toujours valables.  La grève se poursuit pour plusieurs autres raisons dont les suivantes : loi 78, maladresse gouvernementale, infiltration d’anarchistes, droits de scolarité tenus relativement bas depuis trop longtemps et poids démesuré des associations étudiantes. 

Maladresse gouvernementale

Qu’on soit pour ou contre l’augmentation des droits de scolarité on peut penser qu’il aurait été plus facile de l’introduire en début de mandat, car règle générale on a moins de choses à reprocher à un gouvernement fraîchement élu.  Or, le Parti libéral gouverne depuis 2003, il lui reste tout au plus un an pour déclencher des élections et il traîne quelques boulets.  Cette augmentation est non seulement considérée inopportune, mais mal ciblée considérant que plusieurs individus le soupçonnent de copinage, notamment dans l’industrie de la construction.

Considérant que les représentants des associations étudiantes jugent que la gestion des universités pourrait être améliorée, que des économies pour le gouvernement pourraient en être tirées et transférées aux étudiants pour réduire, voire annuler, la hausse des frais de scolarité, il eut été souhaitable que le gouvernement leur montre un peu plus d'empathie.  Avait-il peur de se mettre à dos les recteurs?  Croit-il vraiment que des «gains d’efficacité» soient impossibles? 

Le gouvernement est également à blâmer pour la façon dont il a négocié avec les étudiants.  À vrai dire, il a peu négocié avec eux, il leur proposait plutôt de nouvelles offres via les médias.  Ce ne sont pas les offres comme telles qui font problème, mais la manière de les présenter.  En politique comme ailleurs la forme l’emporte souvent sur le contenu.  Cette leçon semble avoir été oubliée par le gouvernement.

Infiltration d’anarchistes et loi 78

Avant que la loi 78 soit adoptée, le 18 mai dernier, on retrouvait, parmi les manifestants, des individus et des groupuscules qui n’avaient qu’une chose en tête, exprimer leur ras-le-bol contre le gouvernement, le capitalisme, le «système», bref contre tout et rien à la fois.  Il y avait ceux qui se qualifient d’«indignés», indignés notamment contre ce qu’ils qualifient d’abus du capitalisme.  On retrouvait également, et encore à ce jour, des individus qui se réclament de regroupements anticapitaliste (CLAC) et anarchistes (UCL, Anarchopanda, etc.).  Malgré leur nombre relativement peu élevé ces individus et groupuscules ont donné de l’ampleur aux manifestations et ils ont contribué à la durée de la grève.  Que dénoncent-ils exactement?

La plupart des «indignés» ont une dent contre les riches banquiers qui, à leur avis, s’en mettent plein les poches sur le dos d’autrui.  Bien qu’à cet égard ils n’aient pas tout à fait tort, ils se méprennent en attribuant ces abus au capitalisme.  Au contraire, s’il y a un secteur d’activités qui est éloigné du capitalisme, c’est le secteur financier.  Pour parler de capitalisme dans ce secteur il faudrait notamment abolir la banque centrale et retirer le pouvoir de l’État sur la monnaie.  Malheureusement, peu d’individus prônent ces positions.  Le secteur financier est socialisé à sa base et c’est pour cette raison qu’on y trouve autant d’abus.  Il risque de conduire beaucoup de gens à la faillite dans les prochaines années, car les réformes proposées à ce jour sont tout à fait insuffisantes. 

Il est aussi paradoxal que des individus se qualifiant d’anarchistes réclament des services de l’État comme par exemple la gratuité scolaire (UCL & Anarchopanda).  Un anarchiste, au sens populaire, est un individu qui rejette toute forme d’autorité et qui, par conséquence, tend à semer la pagaille.  Un anarchiste au sens philosophique, pour sa part, conçoit la vie en société sans l’aide de l’État et conséquemment sans imposition et sans taxation.  Il ne rejette pas l’autorité, sauf qu’il ne l’attribue pas à l’État.  Dans sa conception de la vie en société il y aurait des policiers comme à l’heure actuelle, mais ceux-ci seraient payés par contrat établi volontairement plutôt que par l’entremise de l’impôt.  Ainsi, d’aucune façon ne peut-on se qualifier d’anarchiste et réclamer de l’État un quelconque service en même temps. 

Ces groupuscules anarchistes et anticapitalistes prennent souvent leur pied à faire de la casse ou à narguer les policiers.  Puisque les manifestations et les méfaits se multipliaient le gouvernement a jugé, avec raison, de mieux encadrer les premières et tenter de réduire les seconds.  Pour ce faire, il a édicté la loi 78.  Plutôt que de mettre un terme aux manifestations elle leur a donné un second souffle.  Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit inefficace.  En effet, si les manifestations se sont multipliées suite à l’adoption de cette loi, on ne peut pas dire qu’elles constituent un appui aux revendications étudiantes.  De plus, on ne doit pas oublier que son but principal est de réduire les ardeurs de certains manifestants. 

La loi 78 ne vise pas uniquement les représentants des associations étudiantes, mais les casseurs et fomenteurs de trouble qui se servent de ce conflit pour exprimer leur ras-le-bol contre le gouvernement, le capitalisme, le système, etc.  Toutefois, on ne doit pas se leurrer, plusieurs des individus arrêtés pour méfaits lors de ces manifestations sont à la fois étudiants et membres de mouvements radicaux qui n’hésitent pas à utiliser la violence pour arriver à leurs fins.  Les dissocier à tout prix les uns des autres constitue un aveuglement volontaire.  

L’établissement de la loi 78 a attisée les passions.  Les gens qui en avaient assez des casseurs, et plus généralement des protestataires envahir les rues de Montréal, ont poussé un soupir de soulagement.  À l’opposé, ceux et celles qui avaient déjà une dent contre le gouvernement se sont faits entendre ou bien pour la première fois, ou bien avec plus de vigueur.  Par conséquent, on ne peut pas dire que les objectifs de la loi aient été atteints, du moins jusqu'à maintenant.  En effet, il est peut-être trop tôt pour conclure de l’efficacité de la loi 78.

Cette loi limite notamment les libertés d’expression et d’association, mais de manière contextuelle et non absolue.  On conteste notamment les articles 16 à 21 de la loi.  Or, l’article 16, qui oblige les organisateurs à informer la police de la date, l’heure, le lieu et l’itinéraire de leurs manifestations, se compare avantageusement à ce qui se fait ailleurs.  L’article 17 exige des organisateurs de prendre les moyens appropriés pour faire respecter les exigences de l’article 16, ce qui est plus problématique.  En effet, si les organisateurs des manifestations peuvent aviser leurs membres du déroulement de celles-ci, il me semble exagéré de croire qu’ils pourront contrôler l’ensemble des manifestants. 

Loi 78 et poids démesuré des associations étudiantes

Les associations étudiantes ressemblent à s’y méprendre aux syndicats des travailleurs.  D’ailleurs l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ) n’hésite pas à se qualifier de syndicat.  Puisque les syndiqués sont des travailleurs rémunérés, l’ASSÉ tente ainsi de justifier sa principale revendication, soit la gratuité scolaire.  En d’autres mots, cette association étudiante considère que la gratuité scolaire serait la rémunération de l’étudiant.  Or, malgré ce que dit l’article 1 de la Charte de Grenoble, à savoir qu’un étudiant est un «travailleur intellectuel», il n’est pas un producteur, mais un consommateur de service. 

À l’instar des syndiqués les membres des associations étudiantes ne le sont pas par choix, mais par obligation, à tout le moins ils sont obligés d’y contribuer.  Les représentants des associations étudiantes contestent les articles 18 à 21 de la loi, car ceux-ci menacent leur financement.  Ces «menaces» surviennent parce que des protestataires minoritaires bloquaient l’accès aux institutions d’enseignement à la majorité des étudiants qui voulait y accéder.  Au lieu de ces articles, voire de la loi dans sa totalité, on devrait permettre aux étudiants, comme aux travailleurs, de se dissocier de leur «syndicat».  Ils retrouveraient ainsi leur liberté d’y contribuer ou non.  Après tout, la liberté de s’associer devrait inclure la liberté de ne pas s’associer.

L’obligation d’être membre d’une association étudiante dès lors qu’on est étudiant universitaire explique en partie pourquoi la grève se poursuit malgré que la majorité d’entre eux ait terminé leur session.  Les étudiants sont mal représentés par leurs associations justement parce qu’ils n’ont pas le choix d’en faire partie et d’y contribuer.  Faut-il rappeler qu’il existe d’autres formes de représentation que la représentation syndicale? 

Droits de scolarité relativement bas et idéologie dominante

L’augmentation prévue de 75% des droits de scolarité universitaire, échelonnée sur une période de 7 ans, représente une augmentation annuelle de 8,3%.  C’est beaucoup relativement au taux d’inflation prévu, mais considérant que ces frais sont présentement les plus bas au Canada, c’est peu.  En effet, même au terme de cette augmentation seules les autorités de Terre-Neuve et du Manitoba exigeront des frais inférieurs, et cela, uniquement si elles ne les augmentent pas d’ici là.  Toutefois, si l'on compare ces frais à ceux exigés dans plusieurs pays européens, alors on doit conclure qu’ils sont relativement élevés.

Comment déterminer une «juste» augmentation?  Un juste prix?  Les réponses à ces questions varient selon ses perspectives philosophiques, mais force est de constater que la majorité de celles entendues à ce jour porte l’empreinte de l’idéologie dominante, à savoir la social-démocratie.

Il va sans dire que les étudiants préfèreraient ne pas avoir à débourser un sou de plus pour poursuivre leurs études, mais en pratique cela implique de refiler la facture aux contribuables qui contribuent déjà à hauteur de 63% des revenus universitaires.  13% de ces revenus proviennent des étudiants et 24% de sources diverses : recherche, formation continue, services auxiliaires et dons.  Or, pourquoi les contribuables devraient-ils financer davantage les études?  Voire pourquoi devraient-ils les financer même un peu?  Tous les arguments habituels ont été entendus : les contribuables doivent être solidaires, l’éducation est un «bien public», non une «marchandise», les étudiants universitaires constituent l’«avenir» du Québec, il s’agit d’un investissement ayant des retombées économiques, etc.  Voyons chacun de ces arguments de plus près.

Les étudiants demandent aux contribuables d’être solidaires, mais leur conception de la solidarité est hypocrite, bien que populaire.  En effet, elle ne s’applique aux uns qu’au détriment des autres; elle est imposée aux contribuables contre leur gré.  En utilisant ce sens perverti de la solidarité on devrait conclure que ce sont les étudiants eux-mêmes qui devraient être plus solidaires puisqu’ils ne financent leurs études qu’à hauteur de 13%.  Une solidarité plus digne ou plus juste moralement devrait obtenir l’accord de chaque individu. 

On tente de faire avaler des couleuvres aux contribuables.  On dit que l’argent investi auprès des étudiants universitaires est rentable pour le gouvernement, car ceux-ci font relativement plus d’argent que les autres étudiants au cours d’une vie de travail et conséquemment le gouvernement reçoit plus d’impôt de leur part.  Or, quand bien même les étudiants universitaires feraient plus d’argent, en moyenne, que les autres étudiants, pourquoi faut-il que ce soit rentable pour le gouvernement?  Pour qu’il puisse offrir d’autres services?  On doit rappeler que les services offerts par le gouvernement doivent être payés par les contribuables et plus généralement les consommateurs.  Plus il en offre, moins les contribuables et consommateurs peuvent combler leurs besoins tels qu’eux-mêmes les définissent.  En ce sens, la «rentabilité gouvernementale» ne se traduit aucunement par une plus grande satisfaction des besoins des individus.  Or, celle-ci est plus importante que celle-là.   

On dit également que les étudiants universitaires sont l’«avenir» du Québec.  Est-ce à dire que les étudiants aux niveaux technique et professionnel ne constituent pas cet avenir?  À vrai dire chaque individu à son avenir à gérer et à planifier ou non, comme il veut, dans le respect d’autrui.  Lorsqu’on cherche à vivre aux dépens d’autrui la coopération humaine s’effrite.  Au contraire, pour qu’elle s’étende on doit non seulement respecter la vie d’autrui, mais les fruits de son travail.  Concrètement, cela signifie qu’on ne devrait rien exiger des contribuables, du moins on devrait chercher en à réduire le fardeau, car ils ont aussi leur propre avenir à planifier.

Malheureusement, les représentants des associations étudiantes prétendent que leur avenir constitue celui de la nation, que leur priorité prédomine celle des contribuables.  Leur prétention et étroitesse d’esprit les conduisent à demander à l’État d’utiliser sa force coercitive pour taxer et imposer les contribuables.  Ces représentants ne cherchent pas la liberté, mais à imposer leur idée du bien.  Ils veulent étudier, mais aux dépens d’autrui. 

Certes, on peut les créditer d’avoir suggéré une révision de la gestion des universités pour y trouver des économies qui leur seraient refilées, mais jamais ils n’ont proposé une gestion privée, axée sur le profit ou non, pour y arriver.  Pour eux, l’université doit demeurer un service public, c’est-à-dire un service que les contribuables doivent payer.  Ils croient simplement que les contribuables pourraient être épargnés quelque peu si les fonds gouvernementaux accordés aux universités étaient à la fois mieux gérés et mieux distribués. 

Certes, une gestion publique peut toujours être améliorée, mais jamais elle ne pourra être aussi efficace dans la distribution des ressources qu’une gestion privée.  Les raisons en sont assez simples.  Une gestion publique n’a pas le même souci des ressources disponibles qu’une gestion privée, car elle a toujours la possibilité de demander au gouvernement d’aller puiser davantage dans les poches des contribuables, voire dans celles des entreprises.  À noter que si cet argent est tiré des entreprises plutôt que des individus, alors ce seront les consommateurs des produits et services de celles-ci qui auront à en payer la note.  Dans un cas comme dans l’autre les consommateurs se retrouvent avec moins de ressources et conséquemment moins de choix.

Plusieurs individus n’aiment pas l’idée de traiter l’éducation comme un bien ou un service de consommation.  «L’éducation n’est pas une marchandise», clament-ils.  C’est vrai, mais cela demeure un service qui exige que des ressources y soient allouées.  Celles-ci n’étant pas illimitées, il y a donc obligation de faire des choix.  Au contraire, puisque les désirs des gens sont illimités, il y a lieu d’établir un ordre de priorité parmi eux.  Enfin, puisque les priorités des uns ne sont pas celles des autres, la façon la plus juste de les établir ne revient-elle pas aux individus eux-mêmes? 

Laisser au gouvernement le soin d’établir les priorités des uns et des autres constitue pratiquement une déclaration de guerre.  On utilise d’abord des sophismes pour justifier ses positions.  «Mes priorités sont plus importantes que les tiennes, je suis l’avenir du Québec, un investissement dans mes priorités dégage des retombées économiques», etc.  Si ces arguments ne suffisent pas, alors on crie pour se faire entendre, on bloque les routes, on fait de la casse et on menace quiconque n’est pas d’accord avec nos positions.  Bref, au nom d’une soi-disant justice sociale on est conduit de plus en plus à pratiquer la loi de la jungle.
 
Encore une fois, on ne doit pas attribuer aux seuls étudiants les manifestations qui ont mal tournées, mais on ne doit pas les en dissocier non plus.  Après tout, ils constatent un mouvement plus large de protestation qu’ils tentent de récupérer, mais lorsqu’il y a de la casse ils tentent à tout prix de s’en dissocier.  En d’autres mots, ils tentent de récupérer uniquement ce qui fait leur affaire.  C’est de bonne guerre, mais cela ne légitime pas leurs positions.

Dans le but de dénouer l’impasse les associations étudiantes réclament des élections, ce qui est probablement la meilleure chose à faire dans les circonstances.  Toutefois, si par malheur pour celles-ci le Parti libéral gardait le pouvoir, on s’attendrait à ce qu’elles acceptent leur défaite et cessent leurs manifestations.  Dans le cas contraire, on pourrait assister à des manifestations qui pourraient être durement réprimées.  Ce n’est certes pas  souhaitable, mais on doit l’envisager, car il se trouve toujours quelques têtes brûlées qui raffolent du chaos.  

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