Joanne Marcotte, 8 avril 2009-04-09
(Lettre fictive de Monique Jérôme-Forget à Jean Charest)
Cher Jean,
Je te remercie de me laisser (enfin !) partir en ce début de printemps 2009. Entre toi et moi, j'aurai été patiente! En effet, après 10 ans à tes côtés au service du Parti libéral , j'estime qu'il est temps pour moi de tirer un trait sur ma vie de politicienne et oui, de me libérer... des libéraux! ;)
Comme plusieurs s'en doutent, c'est un secret de polichinelle que je prévoyais quitter l'année dernière, alors tu m'en dois une d'avoir accepté de rester pour l'élection de 2008. Après tout, après le départ au printemps dernier de ton ministre de la Santé, Philippe Couillard, ton image en aurait pris un coup et tu n'aurais pas trouvé l'élection facile, n'est-ce pas, mon Jean?
Tu m'en dois plusieurs comme ça et je me plairai à te les rappeler. Entre autres, te souviens-tu, Jean, de ton premier ministre des Finances? Tu sais, celui que l'on surnommait le Robin des bois? Yves Séguin, oui. Quelle erreur tu avais faite à ce moment! Il est vrai qu'il avait séduit l'électorat de 2003, mais quand même: donner des baisses d'impôt à des gens qui n'en payaient pas, il fallait le faire! On avait bien fait rire de nous cette fois-là. "Un budget péquiste!", avaient conclu les analystes. Et avec raison!
De mon côté, au Conseil du trésor, on ne pourra pas dire que tu m'as aidée dans ce qui me tenait à coeur, soit de procéder à ce que nous avions appelé la "réingénierie" de l'État. Je me souviens de cette jolie photo de moi-même du numéro de mars 2004 de la revue L'Actualité. "Chérie, j'ai réduit l'État", pouvait-on lire en page couverture. Cela avait fait plaisir aux adéquistes, je crois, de savoir qu'il y avait quelqu'un chez-nous qui allait voir à remodeler l'État. Ils doivent être bien déçus aujourd'hui, comme bien d'autres citoyens. Car si tu m'as confié le mandat de piloter la réorganisation de l'État - une réforme que tu comparais à celle de la Révolution tranquille - on peut dire aujourd'hui qu'on est bien loin du compte, n'est-ce pas, mon Jean? Entre toi et moi, ce n'est pas le remplacement d'un fonctionnaire sur deux qui partent à la retraite qui nous sortira du trou dans lequel on s'enlise! Et puis, l'État québécois est encore plus présent dans nos vies que lorsque nous sommes arrivés au pouvoir!
Autre dossier pas facile: les partenariats public-privé. On peut pas dire que tu m'as été d'un grand secours, ici non plus. Il me semble que cela n'est pas compliqué. Quand le gouvernement ne peut plus financer ses projets, on doit trouver d'autres moyens de le faire et le recours au financement privé se devait d'être exploré. Mais non.
Là, comme dans la réingénierie, j'étais bien seule au front. Devant tous ces éditorialistes, ces groupes sociaux, cette élite syndicale qui ne cessaient d'inquiéter la population. "Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain!", disaient les uns. Te souviens-tu de La Coalition "J'ai jamais voté pour ça!"? Dieu, ce qu'ils sont organisés, ces mouvements syndicaux. Il faut leur donner ça... et ils nous ont bien eus! Tout compte fait, là comme ailleurs, on a reculé.
Et puis, il y a eu cette initiative du Comité Castonguay dont le président est un bon ami à moi. Quelle mise en scène nous avions faite, n'est-ce pas, au printemps 2007, pour alerter que l'heure était grave. Il fallait trouver d'autres façons de financer le budget de la santé et les appétits de ton ministre Philippe Couillard. J'ai été bonne joueuse le printemps suivant, de le laisser dire que finalement, il n'y en avait plus de problème de financement de la santé. Évidemment, ils nous avaient demandé quitter avec tout son honneur. Mais entre toi et moi, j'ai dû ravaler de travers. Et moi qui avait écrit en 1999, sur le besoin de réformer notre système de santé. J'y croyais, oui, et les gens seraient bien justifiés de croire que je suis en total accord avec le rapport de mon bon ami, Claude (Castonguay).
Mais je crois que le summum, cela a été lorsque tu as exigé que je comparaisse en Commission parlementaire suite aux pertes de 40 milliards $ de la Caisse de dépôt. Alors là!
Bien sûr, je dirai devant les gens que tu seras "mon ami à vie", mais honnêtement, je crois que j'aurai été à ce moment-là, TA meilleure amie du monde.
Avoue. Tu as gaffé royalement dans la nomination de Robert Tessier et de Michael Sabia. Et tu as peut-être gaffé de déclencher une élection à l'automne dernier, par pure opportunisme. En effet, si tu penses que tu avais la vie dure avec Mario Dumont en face de toi, tu trouveras la vie encore plus plate avec Pauline Marois. Es-tu seulement à l'aise de te battre contre une femme, Jean?
Je te plains, vois-tu, finalement? Les déboires de la Caisse et du CHUM te suivront, oui, et seront l'héritage de ton gouvernement. Lorsque tu quitteras ton poste de premier ministre, tu auras endetté les futures générations comme personne ne l'aura fait avant toi. L'État québécois croule sous ses dettes et ses programmes qui ne livrent pas de résultats, et on aura été insensible à ce qui préoccupe véritablement la population: le décrochage scolaire et les listes d'attente pour un médecin de famille et dans les hôpitaux.
Vraiment, Jean, je ne suis pas mécontente de te quitter... et te souhaite la meilleure chance dans ta fin de carrière comme premier ministre du Québec!
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