Inspirée des travaux de l’économiste Arthur Cécile Pigou, la fiscalité du carbone a l’ambition de contraindre les entreprises et les ménages à internaliser le coût social de leurs activités productives émettrices de CO2 afin de les limiter. Problème : comment déterminer le niveau optimal de fiscalité ?
Développement industriel et arbitrages environnementaux
La question est importante. Certes, les activités émettrices de CO2 et de gaz à effet de serre qui participent au réchauffement climatique généreront des coûts pour certains. Assurément, les inondations appelées à se multiplier du fait de la montée des eaux, la croissance des maladies tropicales et des pathologies liées à la chaleur, la baisse des rendements agricoles attendue dans certaines régions, et la modification des écosystèmes généreront des problèmes qu’il faudra traiter. L’honnêteté intellectuelle implique toutefois de mentionner les avantages que le CO2 peut susciter, ainsi que le fait l’auteur suédois Bjorn Lomborg[1].
Toujours est-il qu’un discours équilibré qui soulève les inconvénients induits par les émissions de CO2 doit aussi rappeler les bienfaits que les activités industrielles procurent à l’humanité. Deux siècles de révolutions industrielles ont en effet délivré des avantages incommensurables qui se manifestent par la capacité des êtres humains à mieux se nourrir, se vêtir, se loger, s’éduquer, se soigner, se déplacer ou communiquer. La régulation des inconvénients des activités industrielles relève en définitive d’un subtile calcul coûts-avantages.
Le caractère autoritaire et réactionnaire de l’écologie politique réside dans le fait que l’on se plaît à traquer les moindres inconvénients pour conspuer les activités industrielles sans se demander à quel point le coût de leur renonciation vaut les dommages qu’on s’épargne en les réduisant. Autrement dit, le discours écologiste pèche par son rejet de toute approche utilitariste de l’environnement au nom de la déification d’une nature au sein de laquelle l’homme n’est qu’une espèce invasive.
Ce discours écologiste prend ainsi le contrepied de la gestion historique des coûts environnementaux qui - si elle n’était pas totalement libérale - reconnaissait au moins aux législateurs et aux agents de l’administration la légitimité de considérer certains inconvénients comme le prix à payer pour accéder à la modernité et à la sécurité matérielle.
Ainsi que l’écrit un collectif d’historiens de l’environnement : « Au XIXe siècle, les grands industriels jouent un rôle central dans l’élaboration des normes concernant la pollution. La concurrence économique internationale n’incite pas les gouvernements à se montrer trop contraignants. Une forme de contre-pouvoir est néanmoins exercée par les habitants subissant la pollution. Si les voisins n’ont à peu près aucune chance de voir les usines polluantes interdites ou déplacées, ils peuvent néanmoins se tourner vers les tribunaux civils pour obtenir des dommages et intérêts. La compensation instaurée par le décret de 1810 constitue une rupture fondamentale dans la régulation en ce qu’elle dépénalise les atteintes à l’environnement portées par la grande industrie. De bien commun déterminant la santé et soumis à la police d’Ancien Régime, l’environnement devient objet de transactions financières »[2].
Historiquement, la régulation des inconvénients s’intègre donc dans un calcul coûts-avantages et une transaction financière partiellement mis en œuvre par voie jurisprudentielle. Ceci renvoie presque à l’approche de la régulation des coûts environnementaux développée par l’économiste britannique Ronald Coase.
Décroissance économique forcée ou changement climatique : quel est le scénario le plus coûteux pour l’humanité ?
Fort heureusement, le discours environnementaliste utilitariste est encore admissible chez les spécialistes de l’environnement. Il est au centre des raisonnements du prix Nobel d’économie américain William Nordhaus. Sa pensée est relativement bien résumée dans un article issu du site The Conversation :
« Dans l’approche de Nordhaus, agir pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre correspond à une perte de PIB potentiel. Cependant, cette action permet de réduire les dommages climatiques futurs, déterminés par la fonction de dommage liant variation de température et de précipitation avec la perte de PIB potentiel. Le prix « optimal » du carbone proposé par Nordhaus est donc le résultat d’une optimisation entre coût actuel des réductions des émissions et coût des dommages futurs. »
Autrement dit, la lutte contre le réchauffement climatique n’est jamais une fin en soi. Elle n’est éventuellement qu’un moyen au service de l’optimisation des conditions économiques et environnementales propices à l’épanouissement du genre humain.
Par exemple, l’article susmentionné publié sur The Conversation relate que Nordhaus prévoit que le changement climatique - si l’on ne fait rien pour le ralentir - pourrait coûter 10% du PIB mondial en 2100 en raison d’une hausse de la température de 6°C. D’autres estiment qu’une hausse de la température 3°C ou 4°C pourrait coûter 4% du PIB mondial à la même date. Il est évident dans ce cas que perdre 4% ou 10% du PIB d’un monde trois à six fois plus riche en 2100 qu’aujourd’hui - si l’on s’en tient aux scénarios du GIEC - est préférable à une décroissance ou à une stagnation séculaire.
L’enjeu consiste à mettre en œuvre une tarification optimale du carbone. Elle doit être suffisamment élevée pour compenser ses préjudices mais suffisamment faible pour ne pas entraver excessivement la croissance économique et tous les avantages qu’elle comporte sur le plan humanitaire.
Ce dernier point est d’autant plus crucial sur le plan environnemental qu’il existe aujourd’hui une corrélation positive entre le niveau de richesse d’un pays et sa capacité à absorber et à déjouer le coût d’éventuelles catastrophes naturelles, ainsi que le montre le tableau 1 issu d’un rapport de l’ONU publié en 2011[3]. Il présente ainsi - en valeurs médianes annuelles - les décès, les victimes et le coût des catastrophes naturelles selon le niveau de développement propre à un groupe de pays. Pour plus d’informations sur la classification des pays en fonction de leur IDH, on se reportera à l’annexe de la publication susmentionnée.
Ces chiffres s’expliquent simplement. La croissance économique - qui conditionne l’IDH ainsi que le montre la figure 1 - permet à l’humanité de se doter d’infrastructures et de technologies de meilleure qualité ainsi que d’un meilleur système de soin qui rendent les sociétés plus résilientes face aux catastrophes naturelles, aussi bien sur le plan humain que sur le plan matériel.
Le développement économique que connaît l’humanité depuis de nombreuses décennies explique ainsi que le nombre de victimes de catastrophes naturelles n’a cessé de chuter en valeurs relatives et en valeurs absolues. Cette chute s’est produite en dépit de la croissance démographique, comme le montrent les figures 2 et 3.
Toute fiscalité sur les activités productives induit une baisse potentielle d’une croissance économique qui procure à l’humanité de nombreux avantages, y compris sur le plan environnemental. Les questions qui se posent donc pour les partisans d’une taxe carbone sont les suivantes : compromettre un futur niveau de prospérité au nom de la prévention d’un danger que cette même prospérité pourrait mitiger est-il un bon calcul ? Par ailleurs, la tarification optimale des inconvénients des gaz à effet de serre doit-elle passer par la fiscalité en lieu et place de l’usage traditionnel de la jurisprudence et du droit de la responsabilité civile ?
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