Par Louise V.
Labrecque
Impossible d’oublier nos premières fois.
Pour les livres, c’est pareil. Nos
premiers livres, c’est la
découverte d’un monde à part, parfois magique, souvent ludique, avec ce
livre-là, celui « qui fait image «, celui qui touche spécialement nos sens
et marque l’imaginaire à tout jamais. Souvent, il s’agit d’un livre pour enfants,
un livre illustré ; ensuite, plus tard, il arrive que ce soit un livre
d’art, une encyclopédie ou une revue scientifique, un herbier ou la Bible. Cependant, il arrive parfois que ce soit la
rencontre avec un livre pour adultes, un livre de philosophie, de poésie, de
psychologie ou de sexologie, lequel nous fascinera toute notre vie. Quoi qu’il
en soit, la découverte des premiers
livres constitue le socle de l’éducation. Cette expérience allumera, sans le
savoir, la flamme de la curiosité intellectuelle et pavera la voie au désir de
connaître ; s’il y a quelque chose de touchant dans l’expérience humaine,
c’est bien ce premier éveil à la vie de l’esprit.
En effet, ce premier contact constitue à
la fois une force et un repère ; c’est une sorte de référence rassurante.
Depuis quelques années, on s’intéresse beaucoup à l’effet marquant du premier
livre dans la construction de l’imaginaire chez l’enfant. Pour certains d’entre
eux, en effet, l’importance du premier livre constitue un véritable élan, à tel
point qu’il pose la première pierre à l’édifice d’une riche fantasmagorie. Dans
son essai philosophique sur l’entendement humain, John Locke explique le
caractère singulier de certaines idées, lesquelles découlent en réalité de
ponts et/ou de passerelles intermédiaires, dans les fondements de
l’imaginaire. Par exemple, Adam est capable, dès l’âge de 2 ans, d’imaginer
une histoire en regardant les images de son livre préféré. Bien qu’il ne sache
pas lire, il imagine l’histoire, il s’invente un rapport au monde personnel, il
devine les mots (discrimination positive), il observe les lettres, l’organisation
des phrases et du texte. Également, il observe le paratexte : les
illustrations et les couleurs ; bref, tout parle un langage à venir ! Ainsi, il commence peu à peu à reconnaître certaines
lettres, certains mots, la ponctuation, une expression revenant souvent, par
exemple « il était une fois ». En somme, en se situant au cœur des
apprentissages, le livre revêt une importance capitale, alimentant encore de
nos jours bien des réflexions sur les compétences transversales en éducation,
c’est-à-dire les compétences et habiletés qui peuvent être appliqués à plus
d’une discipline. C’est donc une bonne idée de mettre les enfants en contact
avec des livres variés et de qualité, dès le plus jeune âge. Les livres
d’aphorismes et les recueils de poésie constituent en ce sens des petits bijoux
de la langue française, en mettant en lumière la beauté de la langue au travers
les moments du quotidien, avec ou sans allégorie à la fin ; ne pas hésiter, donc, à lire de la poésie aux
enfants ! De la même manière, les
fables, les haïkus, les comptines, tout cela fait image en se gravant pour toujours
dans le cœur et dans l’esprit. De plus,
l’acquisition des compétences, peu importe l’âge, a besoin de complémentarité.
En ce sens, lire des histoires provenant de tous les genres littéraires procure
à l’enfant un véritable plaisir de lecture. Également, la façon dont l’enfant
construit ses affects est avant tout périphérique ; l’atmosphère au moment
de la lecture est donc de la plus haute importance. Les parents, en faisant la
lecture à voix haute, doivent lire calmement, avec une voix très douce, dans
une pièce chaude, odorante et confortable. Les grands-parents peuvent aussi
être de bons guides dans la découverte des premiers livres et se révéler
également de formidables conteurs ! L’importance des mutations sociales et
familiales ne doivent pas nous faire oublier de créer des formes de stabilité -
« faire du sens » -, avec l’enfant. Ainsi, les livres sont souvent des
guides, des vecteurs extraordinaires de création, ayant des répercussions véritables
dans la construction des savoirs futurs.
Pour les besoins de cet article, j’ai
recueilli des témoignages de divers milieux et il en ressort que l’impact du
premier livre est assez variable d’un individu à l’autre. Toutefois, le contact
avec le premier livre, celui qui « marque », est souvent un révélateur fascinant
de ce que deviendra l’enfant, plus tard. En effet, j’ai noté que plusieurs
personnes publiques, notamment en affaire ou en politique, n’avaient pas été mises
en contact avec la littérature par un livre, mais plutôt par une publication de
type scientifique ou un magazine d’intérêt général. Même conclusion pour
certains artistes, disant n’avoir pas été spécialement marqués par un livre,
mais plutôt par le livre que lisait, par exemple, une personne significative
pour eux, ou alors par une visite à la bibliothèque scolaire ou municipale: «
j’aurais pu y passer ma vie ! ». Aussi, certaines personnes disent avoir en
tête des détails, des sensations, du temps qu’ils étaient petits, par exemple
tandis que la collation du soir précédait la lecture, ou qu’un feu de bois
crépitait dans la cheminée. Cela sans compter les rires et les moments de
complicité avec les frères et/ou les sœurs, lorsque la lecture se déroulait en
famille. D’autres ont en tête des perceptions un peu floues, tels des
personnages marquants ou des histoires, mais sans livre précis en tête. Bref,
le spectre de l’impact du premier livre ratisse généralement assez large, mais
quoi qu’il en soit, il demeure d’une étonnante précision chez plusieurs personnes.
Le choix des lectures est donc important ; de la même manière, prendre le
temps de visiter toutes sortes de librairies est une bonne idée, afin d’inciter
l’enfant à découvrir de manière autonome de nouveaux livres, de nouveaux genres
littéraires, ce qui lui permettra d’agrandir ses horizons et alimentera, de ce
fait, son esprit critique. En effet, l’éducation c’est à la fois la capacité
d’apprendre dans les livres et dans la vie elle-même. Si le livre constitue un
moteur formidable pour l’acquisition d’une véritable libre-pensée, c’est aussi
par la fréquentation de lieux et de gens allant dans ce continuum ; édifiants
et stimulants. Ainsi, donc, le souvenir lié au premier livre deviendra un outil
au service de l’enfant devenu grand, afin de l’aider à allier ensemble toutes les facettes de sa
personnalité, pavant la voie à la construction d’un savoir complexe et de plus
en plus solide, pour la vivacité d’expériences significatives, aux couleurs les
plus riches qui soient.
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