Par Louise V. Labrecque
GIRAUD, Marc, Darwin c’est tout bête!, Paris, éditions
Robert Laffont, 344 p.
La sélection naturelle, l’adaptation au milieu, l’évolution des espèces, et
quoi d’autre encore ? Ah oui : les histoires de fous aux Galapagos, les
singes qui parlent (on en connaît tous !), l’architecture de l’embryon, les
fleurs musicales, les hirondelles de Tchernobyl et les batailles de mouches,
constituent quelques exemples figurant au palmarès de ce livre extraordinaire, Darwin, c’est tout bête, qui relate,
avec un humour imparable, la vie du célèbre naturaliste et scientifique Charles
Darwin. L’auteur, Marc Giraud, a frappé dans le mille en proposant aux
néophytes en la matière toute la rigueur de l’activité cérébrale de Darwin,
mais sous une forme ludique particulière, où l’interrogation se dresse de
tous bords, tous côtés.
Vivement la lecture à tous de cet ouvrage fort instructif et réjouissant,
truffé de mille anecdotes sur la vie de Charles Darwin et sur ses travaux.
Impossible de résister à un livre pareil ; intelligent, frais,
lumineux, cohérent, savoureux ! On imagine souvent Darwin comme un être
austère, un peu fou, coupé du monde et avec un caractère de chien. Or, il
n’en est rien : Darwin était un tendre, un doux, un passionné, un être simple
et d’une extrême sensibilité, à la larme facile et rempli de bonté et d’amour
pour tout ce qui l’entourait. Il possédait également un humour
communicatif, doublé d’un esprit scientifique rigoureux, pointilleux sur les
détails ; en somme, des caractéristiques ayant fait de lui un génie
universel.
Ce livre, en plus d’explorer la théorie darwinienne, propose de
dépasser les préjugés figeant la pensée d’un seul homme, tel un gourou
dogmatique, pour rechercher les contradictions - et les richesses - de la
théorie initiale. En effet, le darwinisme a dépassé Darwin. Ainsi,
au fur et à la mesure de notre lecture, nous prenons concrètement
conscience de l’importance à défendre courageusement la mémoire de Charles
Darwin et de ses héritiers, particulièrement à l’heure où les fondamentalistes
religieux, lesquels se montrent de nos jours de plus en plus agressifs, le
caricaturent grossièrement, déformant ses propos, afin de l’éteindre dans nos
Lumières, tout en le ridiculisant, souvent, et en le trahissant, même pas
subtilement.
Il est vrai que, pour se faire, le génie de Darwin a été trainé dans la
boue, qualifié de blasphématoire par les créationnistes qui ne pouvaient
supporter l’hypothèse que l’être humain n’est pas « la » création de « Dieu ».
De ce fait, la théorie de Darwin n’est plus au programme dans les écoles
sous influence fondamentaliste ou intégriste, et son enseignement, qui faisait
figure d’autorité dans le monde de l’éducation, ne va plus de soi.
De toute manière, aux dépens de l’orgueil crasse des hommes ancrés dans
leurs certitudes condescendantes, superstitieuses et/ou surnaturelles, Darwin a
choisi son camp : les bêtes ! Ainsi, sous un rapport objectal extrêmement
ténu, il reste un fil d’humeur : son amour pour les animaux, lesquels le lui
rendent bien, d’ailleurs, ce qui lui a permis,
en attendant de devenir célèbre, de s’amuser follement de ses observations,
qu’il nota dans son journal personnel. Imaginez : Darwin jouait du
piano pour des vers de terre afin d’observer leurs réactions, en plus d’avoir
découvert des fossiles spectaculaires qui furent des éléments-clés de sa
renommé naissante. De plus, il alla jusqu’à mettre un scarabée dans sa
bouche, lequel, par mécanisme de défense, lui brûla immédiatement la langue en
expulsant des substances chimiques. En somme, l’originalité des observations de
Darwin laisse sans voix, tant il s’est rendu loin dans l’expérimentation.
De plus, nous comprenons parfaitement, grâce à Charles Darwin, que la loi
du plus fort n’est pas toujours la meilleure. Avec la même pertinence, il
a montré que le sexe constitue le moteur de l’évolution. En effet, la
sexualité, cette machine « à faire du différent », donnerait un avantage dans
la lutte pour la vie. En apprenant à raisonner ainsi, on admet que l’acte
sexuel ne se réduit pas à la reproduction, parce qu’au contraire, chaque être né
de deux parents est entièrement nouveau et original. Aussi, des
comportements homosexuels ont été recensés chez quatre cent cinquante espèces
animales différentes, dont trois cents de mammifères et d’oiseaux. De plus,
certains animaux sont bisexuels et même multi sexuels, dont l’exemple le plus
célèbre demeure les bonobos. En fait, les animaux homos perturbent la
théorie de Darwin et il a fallu attendre jusqu’à 1999 pour que des chercheurs
signent de nouvelles conclusions.
Finalement, on comprend que la science de Darwin est faite entièrement de
mouvement et de vie. Les animaux s’expriment, de même que les végétaux,
et cela est à lui seul extrêmement fascinant. Moins connu que L’Origine des espèces, mais
fabuleusement innovant pour son époque, Darwin signa un livre : L’Expression des émotions chez l’homme et
chez les animaux, dont le contenu fait littéralement hisser les cheveux sur
la tête, tellement il nous mettait le nez dans la troublante animalité de
l’être humain.
Bref, dépasser la loi de la jungle c’est la capacité, pour l’homme, de
sortir de ses affects, pour entrer de plain-pied dans la raison. Si on
aime les droits et libertés, il faut sortir de la loi de la jungle, afin de
permettre à la diversité humaine de cohabiter de façon pacifique. Certes,
la barbarie n’est jamais bien loin, cherchant à pénétrer, voire à défoncer les
portes, mais nous sommes des êtres humains, et ce qui nous est propre en tant
que tels ne doit pas ignorer le fait que, tôt ou tard, devra s’opérer la
symbiose entre tous les peuples de la Terre. En effet, aussi anarchique
soit notre organisation sociale et cosmogonique, nous sommes obligés de prendre
conscience de l’importance d’un échange constructif avec autrui, non seulement
en matière de civilité, mais aussi, à plus long terme, pour la sauvegarde de la
civilisation. N’oublions pas non plus que tous les animaux vivent dans
les affects, dans un mode “action/réaction”, sans Histoire, ainsi que l’étaient
jadis les quelques peuplades primitives qui occupaient notre planète.
Bref, en plus d’être un remarquable travail de vulgarisation scientifique,
ce livre de Marc Giraud mérite une place de choix dans nos bibliothèques, tant
personnelles que scolaires.
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