POUR
LES SIÈCLES DES SIÈCLES
L’Église
Sainte-Anne de Yamachiche, Québec
Par Louise V. Labrecque
C’est
un drôle de nom « Yamachiche » , pour nommer un petit village-bijou
du cœur du Québec, qui scintille dans
nos consciences historiques, tel un écrin champêtre, où rien ne semble avoir bougé, à part la grande église
Saint-Anne, une église de rêve (hélas,
passée au feu, en 1957, puis reconstruite, avec une allure plus contemporaine);
fort heureusement, nous pouvons admirer encore le modèle original, grâce aux
photos d’archives, assez nombreuses; quelle glorieuse splendeur elle avait,
avec son immense dôme métallique :
une merveille architecturale des Frères Héroux, lesquels ont établis
leur boutique en 1865 et participèrent à cette époque à pas moins de
117chantiers d’églises au Québec, au Canada et aux États-Unis. Dans ce même
esprit, ils nous léguèrent également de magnifiques maisons, comme on en
retrouve plusieurs face à l’église, au centre du village, toutes en rangées de
briques rouges, avec ces immenses galeries et balustrades de bois blanc, symbole
de la prospérité de l’époque. Avec ce style typique, « comme de la
dentelle », les corniches témoignent d’une grande beauté, d’un raffinement
rare et d’une véritable recherche de
délicatesse, dont l’alignement
parfaitement harmonieux est la signature d’un patrimoine magnifique bien
de chez nous; en effet, quelle fierté chez nos gens, dont le village, dans ses
moindres détails, se voulait là pour durer,
en s’étirant de tout son long sur le parcours du chemin de fer du « Pacifique
Canadien », ce qui ajoute beaucoup à son charme particulier.
L’abbé
Napoléon Caron, à la fin des années 1800 (le registre officiel de la paroisse
s’ouvre en 1758; son érection canonique le 11 octobre 1832) le considéra longuement,
pour enfin exprimer que « Yamachiche » (comprenant le fief Grosbois)
était « un mot sauvage « signifiant « rivière vaseuse ».
Le fief Gros-bois ou Maniche, fut
concédé, le 5 août 1656, au Sieur Pierre Boucher, alors gouverneur des
Trois-Rivières. L’église a toujours été fort belle et le patronage de la
paroisse fut donnée à Sainte Anne, afin d’honorer la grande Thaumaturge du
Canada. Ainsi, pendant de longues années, Yamachiche sera un lieu de pèlerinage
très fréquenté. La municipalité en tant que village, comme tel, fut érigée le 5
avril 1887, sans rien perdre de ses attraits et de son atmosphère un peu
surannée ; ainsi, si vous passez bientôt par Yamachiche, en Mauricie, vous ne
pourrez pas manquer cette enfilade de belles d’autrefois, ces maisons «
comme dans les films « où l’on devine la charge historique et cela bien
avant de savoir qu’a vécu, au 711 rue Sainte-Anne (face à l’église), le poète
(et médecin du village), Nérée Beauchemin. En effet, c’est dans cette grande maison-en-rangée
de briques rouges, construite en 1867 -et
qui a eu comme propriétaire, avant lui, le député Paul-Gérin Lajoie-, qu’il
habita, de 1878 jusqu’à sa mort, en 1931.
Également, son père, Hyacinthe
Beauchemin, lequel fut lui aussi médecin du village avant lui, acheta la
maison, située au coin des rues Sainte-Anne et Saint-Pierre (qui deviendra bien
plus tard, pour nous, contemporains, «
la rue Nérée Beauchemin ») aux Frères Héroux (les constructeurs de
l’église); hélas, Hyacinthe Beauchemin ne put jouir de son bien très longtemps,
car il mourut l’année suivante; Nérée hérita donc de la maison et de la
pratique médicale de son père. Ainsi, on imagine combien la population de
l’époque fut tricotée serré et combien était résistant le tissu social et la
frange de la vie quotidienne des gens, dans ce petit patelin campagnard de chez
nous non épargné par les difficultés. Il suffit de rouler en voiture ou de
marcher à pied sur la rue, par un beau soir, pour regarder en direction des
fenêtres illuminées, apercevant alors, sous les lampes luisantes, les éclats de
la vie champêtre, à l’intérieur. Encore de nos jours, l’histoire fait comme un
jeu de miroirs, richement ornés de lumières phosphoriques, comme une invitation
au voyage dans le temps. Ah ! Quelle
poésie plane encore à l’ombre de l’église, dans ces belles demeures rurales dont
les pelouses ressemblent à des tapis déroulés là, et où chantent des oiseaux,
parmi des fleurs, semblent-ils, jamais vues; l’inspiration prend ainsi un
nouvel élan, autour de l’église, et on imagine également aisément
l’organisation temporelle du village, à cette époque bénie; par exemple, Nérée Beauchemin discutant longuement de
littérature avec son ami l’abbé Albert Tessier; nous le voyons ensuite
traverser la rue, pour se rendre à
l’église et au cimetière. On devine
qu’il fut le médecin et confident de tous les gens du village, hélas nous avons
peu de photos, ouvrages et autres documents d’archives témoignant de ce fait.
Même d’un point de vue littéraire, nous avons peu de références historiques, lui-même ne publiant que deux recueils de
poésie. De toute évidence, ce fut un peu comme un franc-tireur, à sa manière,
mais pas un maquisard; si l’on tient compte de l’ensemble de sa vie et de sa
pratique médicale, tout cela fut comme une grande fresque, une œuvre multiple et
assez chatoyante. Ainsi, je ne doute pas un seul instant combien l’église
Sainte-Anne a dû l’inspirer; ainsi, l’on devine le poids du jour, pour lui,
poète et médecin, dont la nature de l’exercice du quotidien fut de porter
secours, se mesurant avec tout ce que la
vie porte de beau et de tragique à la fois, par essence : les naissances,
les morts, les guérisons et les renaissances; en somme, l’œuvre ultime d’une vie d’homme.
Aussi, dans ce prolongement, tel des vases communicants, son bel esprit et sa
plume se déployant par le jeu des rimes, telle la nature profonde en délire,
par ces floraisons matutinales et cette patrie intime; il nous laisse là quelque
chose d’immensément touchant, tellement que c’est ce qui allume le feu, encore
de nos jours; illustre au point qu’on en
parle encore de nos jours. Nérée Beauchemin, ce sont de petites étoiles qui
s’allument tour à tour; il faut fréquenter son œuvre : c’est comme de l’or
qui cisèle les nuages, comme une fumée qui monte au ciel.
Je veux vivre seul avec toi
Les jours de la vie âpre et douce,
Dans l'assurance de la Foi,
Jusqu'à la suprême secousse.
Je me suis fait une raison
De me plier à la mesure
Du petit cercle d'horizon
Qu'un coin de ciel natal azure.
Mon rêve n'a jamais quitté
Le cloître obscur de la demeure
Où, dans le devoir, j'ai goûté
Toute la paix intérieure.
Et mon amour le plus pieux,
Et ma fête la plus fleurie,
Est d'avoir toujours sous les yeux
Le visage de ma patrie.
Patrie intime de ma foi,
Dans une immuable assurance,
Je veux vivre encore avec toi,
Jusqu'au soir de mon espérance[i]
Les jours de la vie âpre et douce,
Dans l'assurance de la Foi,
Jusqu'à la suprême secousse.
Je me suis fait une raison
De me plier à la mesure
Du petit cercle d'horizon
Qu'un coin de ciel natal azure.
Mon rêve n'a jamais quitté
Le cloître obscur de la demeure
Où, dans le devoir, j'ai goûté
Toute la paix intérieure.
Et mon amour le plus pieux,
Et ma fête la plus fleurie,
Est d'avoir toujours sous les yeux
Le visage de ma patrie.
Patrie intime de ma foi,
Dans une immuable assurance,
Je veux vivre encore avec toi,
Jusqu'au soir de mon espérance[i]
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