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06 avril, 2016

Le déclin de la violence et le capitalisme.


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“The Better Angels of Our Nature: Why Violence Has Declined”, Steven Pinker, 2011, 832 pages.

Il est plus ou moins bien connu que la criminalité et la violence sont en baisse depuis quelques décennies. Aux États-Unis, en 2013, le taux de criminalité violente a diminué de 1% par rapport à l’année précédente, de 9.6% par rapport à 5 ans auparavant et de 22.1% par rapport à 10 ans auparavant. De plus, il n’y a pas eu de guerre majeure depuis 1945, phénomène que l’on surnomme la « Longue Paix ».

Le scientifique Montréalais et professeur à Harvard, Steven Pinker, s’est intéressé à la question du déclin de la violence pas seulement depuis 10 ou 50 ans, mais bien depuis les début de l’humanité, et pas seulement des meurtres, mais aussi des guerres, des pogroms, des génocides, des sacrifices humains, de la torture, des exécutions, de la flagellation, de l’esclavage, des sports violents, des duels, de la violence conjugale, contre les enfants, les homosexuels et les animaux. Ce déclin a été universel et presque constant au cours des derniers siècles et millénaires. C’est ce phénomène extraordinaire que Pinker documente admirablement dans son chef-d’œuvre, le best-seller « The Better Angels of our Nature ». (voir son Ted Talk ici)

Il serait impossible de résumer un livre si substantiel et étoffé en un court billet, je m’abstiendrai donc de le faire. Il y a cependant quelques points soulevés dans le livre que j’aimerais aborder en particulier.
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Le commerce est une source de paix?
Le commerce est une forme d’altruisme réciproque, qui offre des résultats à somme positive pour les deux parties et qui donne à chacun un intérêt au bien-être de l’autre. Il est donc normal d’avoir constaté une corrélation forte entre le déclin de la violence et l’émergence du libéralisme classique. Plus le commerce est libre, plus le monde est paisible, c’est un fait indéniable et ce fut particulièrement le cas au 18esiècle, à l’aube de la Révolution Industrielle, alors que les monopoles royaux furent remplacés par des libre-marchés et que le mercantilisme fit place au libre-échange. En revanche, lorsque le protectionnisme réaugmenta durant les années 1930s, on constata une hausse des tensions internationales qui mena éventuellement à la seconde guerre mondiale.

Il est évident que la guerre est mauvaise pour les affaires, ce pourquoi les marchands et les industriels s’y opposent (sauf l’industrie de l’armement). En période de guerre, le capital est détruit, les richesses expropriées, le commerce international diminue et la demande civile s’écroule alors que les travailleurs les plus productifs sont envoyés se faire tuer au front.

D’autre part, dans une société collectiviste non-marchande, les intérêts nationalistes (patriotisme, honneur et gloire) prévalent sur les intérêts commerciaux. Même le racisme est atténué par le libre-échange; des chercheurs ont démontré que plus un pays est dépendant du commerce international, moins il a de chance qu’un génocide ou une guerre civile y survienne. Et dans une logique marchande, l’argent n’a pas de race ni de couleur, il a la même valeur qu’il provienne d’un noir ou d’un blanc.

De plus, comme les sociétés capitalistes sont plus prospères, la vie y est plus plaisante et l’espérance de vie plus longue, ce qui fait en sorte que les gens attribuent une plus grande valeur à leur propre vie, les rendant moins enclins à risquer de mourir dans un conflit violent. Plus la population est productive (i.e. que la valeur du capital humain est grande), plus elle a de valeur aux yeux des élites. Ainsi, on peut comprendre que la perte de 100,000 hommes dans une guerre faisait moins de dommage à l’économie française sous l’ère napoléonienne que lors de la seconde guerre mondiale, ce qui expliquerait la moindre belligérance des élites dans le second cas.

Étant moi-même Canadien, j’ai bien aimé ce passage:

“The United States could invade Canada to seize its shipping lane to the Great Lakes or its precious deposits of nickel, but what would be the point, when it already enjoys their benefits through trade?”
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Le libre-marché: un système paisible.
Le système que Pinker préfère utiliser pour classifier les différents types de sociétés à travers l’histoire a été développé par l’anthropologue Alan Fiske. Ce système suppose que la moralité émane de quatre modèles relationnels génériques :

1) partage communautaire,
2) hiérarchie autoritaire,
3) allocation égalitaire,
4) marché rationnel et légal.

Le premier système (« communal sharing ») est de type collectiviste et tribal, favorisant les liens ancestraux, la descendance patriarcale et l’appartenance géographique. L’allocation des ressources est faites en fonction des besoins des membres du groupe. Par contre, les non-membres du groupe sont traités autrement et déshumanisés. Ce système moral favorise les conflits inter-clans, les idéologies génocidaires et le racisme.

Le second système (« authority ranking »), est basé sur la dominance en fonction du statut, de l’âge, du genre, de la taille, de la force, de la richesse et de l’élitisme. C’est un système au sein duquel les plus forts prennent aux plus faibles, tout en leur assurant une certaine défense en échange. C’est donc un système davantage féodal/aristocratique. Ce système moral peut mener à l’esclavagisme, au colonialisme et au despotisme, de même que de sévères punitions pour l’insolence, l’insubordination, la désobéissance, la trahison, le blasphème, l’hérésie et le lèse-majesté.

Le troisième modèle (« equality matching ») implique l’égalité dans la répartition des ressources, mais qui invite aussi à la vengeance et à une réciprocité « œil-pour-œil ». Il implique la confiscation violente de ceux qui détiennent les ressources pour les redistribuer à ceux qui en ont moins ou aux élites corrompues, ce qui peut mener à des révolutions et des guerres civiles.

Le dernier système moral est celui du marché, lequel basé sur les prix pour l’allocation des ressources. Il favorise l’individualisme et la coopération. Il valorise les contrats formels plutôt que les transactions basées sur l’honneur ou les sous-entendus. Il n’encourage pas la violence (au contraire) et favorise la liberté individuelle tant qu’elle n’empiète pas sur les libertés d’autrui.

Fiske indique qu’au cours des trois derniers siècles, on a observé une transition accélérée des systèmes sociaux du monde vers le système marché, ainsi qu’un déclin marqué des trois autres systèmes. Pour Pinker, il est évident que l’essor du marché a été un vecteur de paix et constitue une explication prépondérante du déclin de la violence. En revanche, le communisme tel que pratiqué au 20e siècle a combiné le partage communautaire des ressources, l’égalité dans l’allocation la propriété des moyens de production et l’autoritarisme du contrôle politique, ce qui explique les dérives violentes de cette idéologie.
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Augmentation de l’intelligence
L’Effet Flynn se définit comme étant la tendance à la hausse de l’intelligence, mesurée par les test de QI, au fil du temps (voir ceci). En fait, les tests de QE doivent constamment être rebasés pour que la moyenne soit de 100, ce qui fait en sorte qu’une personne avec un QI de 100 aujourd’hui serait plus intelligente que 98% de la population en 1910. En fait, le QI moyen de 1910, dans les standards actuels, serait d’environ 70, soit ce que nous définirions presque comme un retard mental. Le résultat qui a le plus augmenté dans le test du QI est celui du raisonnement abstrait.
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Ce que les études démontrent est que l’intelligence est corrélée aux valeurs associées au libéralisme classique, telles que l’autonomie, l’individualisme et la rationalité (contrairement aux concepts de communauté, de tradition et d’autorité). En fait, Pinker associe le libéralisme classique aux positions libertariennes d’aujourd’hui, ce qui m’a (positivement) déconcerté! Pinker se fait d’ailleurs un devoir de dissocier clairement le libéralisme classique du progressisme et du conservatisme (deux courants idéologiques qui dominent la politique américaine depuis des décennies).

Les données analysées par l’économiste Bryan Caplan démontrent que même en contrôlant pour une panoplie de variables parasites (telles que le revenu, l’âge, le genre et le niveau d’éducation), les gens ayant un QI plus élevé pensent comme des économistes classiques. Ils sont plus réceptifs au libre-marché, à l’immigration, au commerce international et moins réceptif au protectionnisme et à l’interventionnisme gouvernemental.

À la lumière de ces faits, il est facile de comprendre pourquoi l’augmentation de l’intelligence a favorisé le déclin de la violence. En acquérant une meilleure capacité à raisonner, les gens ont réalisé que la coopération économique était plus viable que l’affrontement violent. Ils ont réalisé qu’une économie libre n’est pas un jeu à somme nulle et qu’on peut y améliorer son sort en travaillant et en épargnant plutôt qu’en utilisant la violence pour confisquer la richesse des classes et ethnies qui la détiennent.

Il va sans dire qu’une habileté supérieure au raisonnement abstrait favorise l’empathie, ce qui est aussi un facteur important dans le processus de pacification décrit par Pinker. Cette capacité permet aux humains de voir le monde comme un « village global » plutôt que de tracer un cercle autour de ses comparses tout en considérant le reste du monde comme des intrus potentiels.

L’intelligence a aussi permis aux gens de mieux connaître l’histoire, la géographie, l’anthropologie et la théorie de l’évolution, favorisant une meilleure acceptation du « cosmopolitannisme » de l’humanité. La littératie permet à elle seule de favoriser l’empathie puisque la lecture d’un roman force le lecteur à se mettre à la place des personnages et à s’identifier à eux.

Conclusion
Même si le l’ai trouvé trop long, je recommande fortement ce livre. Je pense que Steven Pinker a fait un travail de recherche remarquable sur toutes les facettes de la violence humaine et fournit un portrait convainquant des causes principales de son déclin à travers les siècles, et plus particulièrement depuis la fin de la seconde guerre mondiale (aka la « Longue Paix »). En écoutant les bulletins de nouvelles, on pourrait croire qu’il y a des conflits partout dans le monde, que les meurtres sont en rapide progression, que le terrorisme est une menace imminente et que la violence est un problème de plus en plus inquiétant. Cette perception est complètement fausse.

Par ailleurs, contrairement à beaucoup d’intellectuels, dont l’idéologie politique tend davantage vers la gauche, Pinker n’hésite pas à attribuer une bonne part du mérite au capitalisme de libre-marché pour cette heureuse tendance de l’humanité à moins vouloir s’entretuer!
Sur une échelle temporelle plus longue, Pinker indique que l’existence d’un gouvernement a fortement contribué au déclin de la violence. Cependant, il n’est pas question ici d’une social-démocratie interventionniste, mais simplement d’une forme de centralisation du pouvoir, ne serait-ce que par une monarchie, car même si les systèmes monarchiques ont été relativement violents, il l’ont été considérablement moins que les systèmes tribaux des chasseur-cueilleurs de la préhistoire, dont les taux de mortalité par la violence étaient astronomiques.
L’essor de la démocratie a aussi contribué au processus de pacification, en mettant le « monopole de la violence » entre les mains d’un gouvernement démocratiquement élu plutôt qu’entre les mains d’un monarque orgueilleux et arbitraire, mais la corrélation négative entre violence et démocratie n’est pas aussi forte qu’elle ne l’est avec le capitalisme.

Addendum : Quelques autres positions intéressantes de Steven Pinker :

Pourquoi le Sud des États-Unis est plus violent que le Nord?
“Nisbett and Cohen were influenced by David Hackett Fisher’s Albion’s Seed, a history of the British colonization of the United States, and zeroed in on the origins of the first colonists from different parts of Europe. The northern states were settled by Puritan, Quaker, Dutch, and German farmers, but the interior South was largely settled by Scots-Irish, many of them sheepherders, who hailed from the mountainous periphery of the British Isles beyond the reach of the central government. Herding, Nisbett and Cohen suggest, may have been an exogenous cause of the culture of honor. Not only does a herder’s wealth lie in stealable physical assets, but those assets have feet and can be led away in an eyeblink, far more easily than land can be stolen out from under a farmer. Herders all over the world cultivate a hair trigger for violent retaliation. Nisbett and Cohen suggest that the Scots-Irish brought their culture of honor with them and kept it alive when they took up herding in the South’s mountainous frontier. People often take up herding in mountainous areas because it’s hard to grow crops on mountains, and mountainous areas are often anarchic because they are the hardest regions for a state to conquer, pacify, and administer.”


Contre le principe d’auto-détermination?
“A respect for the territorial-integrity norm ensures that the kind of discussion that European leaders had with Hitler in the 1930s, when it was considered perfectly reasonable that he should swallow Austria and chunks of Czechoslovakia to make the borders of Germany coincide with the distribution of ethnic Germans, is no longer thinkable. Indeed, the norm has been corroding the ideal of the nation-state and its sister principle of the self-determination of peoples, which obsessed national leaders in the late 19th and early 20th centuries. The goal of drawing a smooth border through the fractal of interpenetrating ethnic groups is an unsolvable geometry problem, and living with existing borders is now considered better than endless attempts to square the circle, with its invitations to ethnic cleansing and irredentist conquest.”



Pourquoi le monde Arabe est si violent (et pauvre)?
« At the time of the report, the entire Arab world exported fewer manufactured goods than the Philippines, had poorer Internet connectivity than sub-Saharan Africa, registered 2 percent as many patents per year as South Korea, It wasn’t always that way. During the Middle Ages, Islamic civilization was unquestionably more refined than Christendom. While Europeans were applying their ingenuity to the design of instruments of torture, Muslims were preserving classical Greek culture, absorbing the knowledge of the civilizations of India and China, and advancing astronomy, architecture, cartography, medicine, chemistry, physics, and mathematics. Among the symbolic legacies of this age are the “Arabic numbers” (adapted from India) and loan words such as alcohol, algebra, alchemy, alkali, azimuth, alembic, and algorithm.

The Ottoman heirs to classical Islamic civilization resisted the adoption of mechanical clocks, standardized weights and measures, experimental science, modern philosophy, translations of poetry and fiction, the financial instruments of capitalism, and perhaps most importantly, the printing press.”


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