LADY GEORGE
Par Louise V. Labrecque
Il y a d’abord cette
jeune personne, cette enfant, Aurore Sax, née à la fois de la noblesse et du
peuple; et puis, il y a cette femme, en qui se retrouvent toutes les
contradictions. C’est avant tout une sentimentale. Elle n’aurait jamais dû se marier : ce
fut un désastre. Son mari, Casimir
Dudevant, était complètement nul, grossier, despote. Qu’importe ! Plus tard,
elle sera une intellectuelle, vivra à Paris, puis à sa merveilleuse maison de campagne,
située à Nohant, tous les étés. À partir
de là, s’élabore une étape importante, le
début du tableau lyrique, l’histoire d’amour de sa vie, oui, car il y a Georges
Sand, dont l’œuvre colossale, immense, célèbre, se passe de présentation, et …
il y a autre chose; il y a plus. Lady George ne fait pas que cerner un cœur (et
un sexe), somme toute évanescent, elle le situe
au milieu de toutes ses activités littéraires. C’est à la fois son drame
et sa fantaisie; elle n’en sera point tiraillée car elle est devenue, assez
rapidement, à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle voulait devenir : une
intellectuelle passionnée de lettres, de correspondances, de politique, et aussi,
surtout, une amoureuse ardente, et une mère de famille bourgeoise, sans mari. Et ce qui fait qu’elle ne se perdra pas, c’est
justement cet esprit passionné, doublé d’une dualité toute personnelle,
originale, jusque que dans son rapport à la sexualité, au sexe, comme en fait
foi son prénom d’emrunt masculin. Ainsi, et ce fait n’est pas banal, ce ne fut
pas seulement une femme simplement en avance sur son temps dans la vie, dans la
littérature et les arts, mais aussi, et surtout, au lit. De ce fait, son rapport à l’intime est bouleversant,
surtout considérant que l’on parle d’une femme vivant ses amours charnels
autour des années 1837.
De tous ses amants,
plusieurs ont été célèbres, avant la
lettre, et d’autres sont encore à découvrir, tellement le nombre est important;
parmi ceux-ci, Michel de Bourges, à qui elle écrira : « tu n’es pas
capable de comprendre pourquoi, comment, et combien, je t’aime » ! Est-ce là la clé afin de résoudre sa psyché
masculine/féminine ? De toutes ses qualités psychiques, en effet, il y a ce
regard particulier de la femme, porter par une femme, sur un monde ayant à la fois des modalités
féminines et masculines. Sont-ils à ce
point différents, et/ou complémentaires, irrésistibles, considérant que la
psyché, justement, au-delà du sexe biologique, se situe dans le jeu subtil des
perceptions, tel un couple analytique ? Ainsi, en avance sur son temps, Lady
George divorça, somme toute assez
rapidement, de son mari odieux, et pris pour amant l’avocat l’ayant défendue dans
cette cause, Michel de Bourges, dont elle tomba amoureuse ardemment, inéluctablement. Avec lui, elle partira à la découverte de sensations puissantes qui
laisseront un écho persistant, dans le plein plaisir sexuel lui-même, certes, mais
également dans le genre d’attente sauvage et exalté qu’il suscitera, comme si toutes ses pensées
et impressions se liaient, d’un coup, à sa nature délicate, raffinée, exquise,
féminine, pour enfin triompher de ce moi masculin, tout d’un bloc. Elle fera
violence à sa fierté, avec lui, en même temps qu’elle couvera d’autres amours,
afin de ne pas se briser complètement. Il y a chez cet amant-là quelque chose
d’intéressant à observer, afin de comprendre les profondeurs de la quête
sexuelle de Georges Sand. « Il n’était pas comme les autres », écrira
t’elle, et il arriva à un moment de sa vie où elle était particulièrement
vulnérable. Avec lui, elle perdit ses repères, et bien malgré elle, s’abandonna,
avec tout ce que ce mot veut dire.
Ainsi, lucide, elle avouera « ce n’est pas à cause de l’amour que
tu as eu pour moi que je t’ai aimé. Combien d’autres en ont eu davantage qui ne
m’ont pas fait seulement lever les yeux au-dessus de mes livres! » Ainsi, elle fera plus que céder à ce beau
parleur, lui disant finalement franchement, telle une évidence somme toute
plutôt banale : « je t’ai aimé parce que tu me plais! » Ainsi demeurera-t’elle toute sa vie :
vierge par l’intelligence, la véritable intelligence; celle capable de candeur,
celle capable de génie. Et, comme en fait foi cette confidence, à cet amant
initiateur: « S’il suffisait de se savoir aimée pour rendre la pareille, et si
avec la conviction d’être aimée fort peu, on acquérait tout d’un coup la force
de se vaincre et d’oublier, il est certain que j’aimerais d’autres que toi, il
est certain que je ne t’aimerais plus. » Et à partir de là, cette
prise de conscience sonna un véritable réveil, effectivement. Ainsi, George
Sand passa à autre chose, et alla voir ailleurs si elle y était; et pas
qu’un peu. Après tant de soumissions
dans le plaisir, après cette déchéance pulsionnelle, elle revisite enfin ses
réelles émotions ; elle se mesure, de ce fait, à sa force, à ses pulsions de
vie, en somme de l’homme en elle, elle sait rapidement qu’il vaut également la
femme. Cet amant-là devient ainsi la porte qui s’ouvre sur tous les
autres, l’arbre qui cache la forêt, et vu comme ça, il demeure une conquête sur
elle-même, une bagatelle d’abord, puis, guidée par ses fantaisies ardentes,
« un analyste idéal », à la fois l’objet et le sujet; et à la fois,
une façon d’être physiquement dans le monde.
Ainsi, rien ne la
laisse indifférente; mais elle n’est pas un objet. Des hommes la désirent et
elle leur cède ; les évènements ne la
bousculent pas, car elle sait maintenant les dominer. Par ailleurs, toute son
œuvre est teintée de cet esprit rebelle : non seulement elle adopte et
assume entièrement le pseudonyme
masculin de George Sand, (comme plusieurs femmes de plume le faisait à l’époque),
mais elle, elle va plus loin : elle s’habille en homme, elle fréquente les
milieux réservés aux hommes, et elle devient, de ce fait, l’auteure féminine
dont les critiques parlent et écrivent au masculin. Il n’est pas exagéré d’affirmer que Victor
Hugo l’a sauvée, ainsi que des amis « hugolâtres », dont Jules
Sandeau, de qui elle deviendra la maîtresse, et avec qui elle mènera la folle
vie d’étudiant bohême, habillée en homme, et courant Paris, la nuit. Elle écrit
même avec lui, signant « J.Sand », mais son génie personnel dépasse
bien largement le talent de son collaborateur, lequel ne pourra souffrir plus
longtemps cette situation , et ne tardera pas à la tromper avec une
blanchisseuse. Elle deviendra, à partir de là, LA féministe, continuant non pas
de se travestir en homme, mais de vivre pleinement sa vie, entièrement libre,
insolente, brillante, joyeuse, et complètement libérée. Elle fera ainsi mouche,
et suscitera la curiosité, l’enthousiasme, et plus tard le scandale, du tout
Paris, et bientôt, de toute l’Europe ! Voici un exemple (dont certains contestent la
pérennité) de sa plume, lorsqu’elle s’érotise, à
l’égard de son amant le plus éperdu, le poète Alfred De Musset :
Je n’ai plus qu’une idée en tête,
n’en déplaise à tous ceux de
votre sexe, masculin et puissant,
qui m’intimident un peu quelquefois,
au point d’en rougir de honte et d’envie.
N’allez point par là douter de ma sincérité !
Quand je pense à tous ces jeux
de hasard à essayer avec vous et vos amis
interdits, usant de mon cul-
ot ou de ma grande agilité
qui en ravira plus d’un, sans parler de ma tenue,
Je sais que vous êtes prêt à partager et vous dirai la vérité
toute nue, car je sais que vous y tenez !
n’en déplaise à tous ceux de
votre sexe, masculin et puissant,
qui m’intimident un peu quelquefois,
au point d’en rougir de honte et d’envie.
N’allez point par là douter de ma sincérité !
Quand je pense à tous ces jeux
de hasard à essayer avec vous et vos amis
interdits, usant de mon cul-
ot ou de ma grande agilité
qui en ravira plus d’un, sans parler de ma tenue,
Je sais que vous êtes prêt à partager et vous dirai la vérité
toute nue, car je sais que vous y tenez !
Son côté caché n’est
pas dénué d’intérêt, ainsi nous découvrons que George Sand adore « les
petits jeux » : relisez cette lettre en sautant une ligne, et vous
comprendrez le double sens, sans équivoque. De ce côté amusant dans l’incroyable
et importante correspondance entre ces deux-là, il y a de l’esprit, certes, mais
également une énigme, dont je parlerai plus tard, dans un prochain article, plus
touffu, et tout consacré à cette question. En effet, tout cela a de quoi
laisser nostalgique. Par exemple, voyez cet autre acrostiche, inspirée cette
fois de la plume d’Alfred de Musset, répondant à la lettre de cette
dernière :
Quand
je mets à vos pieds un éternel hommage
Voulez-vous qu'un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d'un coeur
Que pour vous adorer forma le créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n'ose dire.
Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.
Cette insigne faveur que votre coeur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.
Voulez-vous qu'un instant je change de visage ?
Vous avez capturé les sentiments d'un coeur
Que pour vous adorer forma le créateur.
Je vous chéris, amour, et ma plume en délire
Couche sur le papier ce que je n'ose dire.
Avec soin, de mes vers lisez les premiers mots
Vous saurez quel remède apporter à mes maux.
Cette insigne faveur que votre coeur réclame
Nuit à ma renommée et répugne à mon âme.
Aussi, il n’est pas peu dire d’affirmer qu’il
était mal vu pour une femme, à cette époque, d’avoir un amant plus jeune
qu’elle, et pour éviter le qu’en dira-t’on, les amoureux utilisèrent cette
technique, à quelques détails près.
De même, Frédéric Chopin, qui fut son également
son amant, répondait lui-aussi, parfois, par énigme. Il faut savoir : dès
la toute première rencontre, il y eut, un malaise, tandis que Franz Liszt donnait
une soirée chez lui. Un homme petit, chétif, génial, aux traits doux, un peu
féminins, et cette grande gaillarde, habillée en homme, fumant la pipe, le
verbe haut, prenant beaucoup de place en société. Une passion orageuse suivit, non sans s’être
demandé l’un l’autre, Chopin d’abord à son hôte : « mais, est-ce bien
une femme ? », puis cette dernière à une amie : « ce
monsieur Chopin, est-ce une jeune fille ? » Ainsi, des années durant,
cette relation sera vécue dans le plus prodigieux des secrets, prenant même des
allures quelque peu « incestueuses », comme celle d’une mère avec son
fils. Complètement ébahis l’un par
l’autre, admiratifs du talent incommensurable de chacun, ils ne tariront pas
d’éloges, à cet effet, l’un sur l’autre. Georges Sand sera littéralement subjuguée par le talent exceptionnel du
musicien, tout autant que par sa fragilité. Ce dernier parviendra à reconnaître
la vigueur d’esprit de sa chérie, le génie rayonnant de sa plume, son
intelligence sans commune mesure, ainsi que son élan hautement créatif, grandiose,
unique en son genre ! Il lui en faudra, néanmoins, du temps…. Trop peu,
trop tard ? Quoi qu’il en soit, Lady George caresse déjà d’autres rêves, non sans une certaine tristesse, ni un
certain désarroi. C’est qu’elle aima très
profondément Chopin, oui, comme tous les autres, mais avec lui elle aura la
relation la plus longue, et peut-être la plus fusionnelle. Il n’avait pas la
santé très solide, il avait besoin d’elle ! Elle en prit un soin jaloux, le protégeant de
tout, et surtout de lui-même, du moins le pensait-elle. Et je suppose que ce
fut bel et bien le cas, car de là, elle aura certes des ami(e)s,
plusieurs, avec qui elle entretiendra
une correspondance assidue ; elle
sera invitée à gauche et à droite, aura à marier sa fille, puis son fils ;
ainsi la vie va…. Aura-t-elle d’autres amants, oh oui, évidemment, et plusieurs !
Cela vous choque ? Imaginez un peu dans les années 1840 !
Certes, nous devinons
ainsi aisément, combien, plus que toutes autres, George Sand souffrit des
sévères jugements masculins à son égard, dont les plus infâmes furent retrouvés,
dans un journal, en date du 8 décembre 1848 : « si on avait fait
l’autopsie des femmes ayant un talent littéraire original, comme madame Sand, on
trouverait chez elle des parties génitales se rapprochant de l’homme, des
clitoris un peu parents de nos verges ». Voilà
qui a le mérite d’être clair, n’est-ce pas ? Et cet énoncé donne
également le ton, à savoir combien il était risqué, pour une femme, au XIXième,
de vivre aussi librement. Qui plus est, son genre, tant de manière symbolique
qu’anatomique, ne coïncidait pas, justement, avec l’époque; c’est comme s’il y
avait un hiatus quelque part, comme si ces dispositions bisexuelles rendait son
rapport avec les hommes intéressant, certes, mais complexe, dans le mauvais
sens du terme. Ainsi, développera t’elle « un complexe de masculinité »
, peut-être pour pallier l’absence d’un
père, mort trop tôt, dans la plus tendre enfance ? La question se pose; de la
même manière, elle sera puissamment investie affectivement par deux
femmes : sa mère et sa grand-mère, qui prendront soin d’elle, après ce
départ subit de la très chère figure paternelle. Est-ce de là que vient son
engagement féministe, ses contradictions les plus sombres et les plus
sensibles, sa rage d’écrire ? Il faut
savoir que pour l’écriture, en effet, une femme, aux yeux des hommes « ne
valait rien », et cela sans donner d’arguments plus convaincants, si ce n’est
que le recours à la bêtise : « c’est un cliché », et autres amalgames
tordus, comme si la vérité, justement,
faisait peur. Ainsi, que Lady George se soit accordée une liberté « hors
normes » est révélateur, très certainement d’une forme de recherche, d’un
air neuf à respirer, tout à la fois d’une critique sociale des femmes de son temps,
du moins, sans trop s’en rendre compte elle-même. En effet, il est et sera, en
même temps, toujours difficile de situer l’œuvre de Sand dans un rapport
féministe; nous n’avons qu’à penser à ces figures de femmes soumises fleurissant
son œuvre, à commencer par la petite fadette, dans le roman du même nom. Et
n’est-ce pas là paradoxal, le fait de mettre ces femmes soumises en bonnes
premières; n’est-ce pas regrettable, du moins questionnable, à la lumière de la vie réelle de l’auteure ? En
effet, ces femmes sont des modèles d’inaction, porteuses d’un message
d’acceptation sociale de leur époque. Voilà ce qui manque, voilà le relief
singulier de la vie littéraire, dans
l’œuvre de Sand : ambigüe jusque là.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire