Revue de livre par Francis
Richard
L’intérêt d’« Éthique de la redistribution » est son
caractère prémonitoire.
On ne peut pas dire que Bertrand de Jouvenel (1903-1987) ait été une grande
figure de la pensée libérale. Dans le ciel de cette galaxie, il n’aura été
qu’une étoile filante, l’espace de quelques années, d’environ 1943 (année de
son exil en Suisse) jusqu’à environ 1960. Auparavant Jouvenel est un étatiste
bon teint – un planiste -, puis un socialiste national, enfin un compagon de route
du futur collaborationniste Jacques Doriot – il a adhéré au PPF en 1936. Après,
ce sera un pionnier de la prospective et de l’écologie politique.
Pendant sa période libérale, Bertrand de Jouvenel
écrit Du pouvoir(1945) et est membre de la Société du Mont Pèlerin. En
1949, il donne deux conférences à l’université de Cambridge : l’une surL’idéal
socialiste et l’autre sur La dépense publique. En 1951, ces deux
conférences paraîssent en volume, en anglais, sous le titreThe Ethics of the
Redistribution. Plus de soixante ans plus tard, paraît aujourd’hui sa première
traduction en français. L’intérêt d’Éthique de la redistribution est son
caractère prémonitoire.
Le dévoiement de l’idéal socialiste
Quel est le but du socialisme ? « Son but est de
promouvoir un ordre nouveau, celui de l’amour fraternel. Le sentiment profond
qui habite les socialistes ne procède pas du constat que le monde a perdu le
sens des proportions et est devenu injuste, que l’effort n’est pas récompensé à
sa juste mesure, mais d’un sentiment de révolte émotionnelle contre les
antagonismes qui agitent la société, et contre la laideur du comportement des
hommes vis-à-vis de leur prochain. »
Le socialisme veut détruire la propriété privée, tenue
responsable de ces antagonismes. Après cette destruction et la disparition des
antagonismes, l’État n’aura plus de raison d’être. Seulement, de détruire la
propriété privée, comme cela s’est fait dans certains pays, n’a pas réduit pour
autant les antagonismes.
Au début, les socialistes ne voient pas d’un bon œil que,
face au scandale de la pauvreté, la redistribution des revenus soit le remède.
Avant de succomber à la tentation de la redistribution, produit de
l’individualisme utilitariste, ils considèrent qu’elle est une façon de « soudoyer
les classes ouvrières pour les détourner des finalités nobles du
socialisme ».
Or, au lieu que l’État ne s’étiole, tout surcroît de
redistribution de revenus se traduit par un surcroît de pouvoir dévolu à
l’État. Pourquoi ? Parce qu’en écrêtant les plus hauts revenus, l’État
prélève « un montant égal, ou peu s’en faut, à celui qui était
réservé à l’investissement ». La conséquence est qu’en contrepartie l’État
prend à sa charge l’investissement, « fonction importante,
responsabilité imposante et pouvoir considérable ».
L’augmentation des dépenses publiques
Comment se fait l’écrêtement des plus hauts revenus ? Par
l’impôt progressif. Celui-ci n’est pas seulement dissuasif, mais il empêche
toute ascension, toute augmentation de capital, toute possibilité d’entrer en
concurrence avec des entreprises ayant déjà pignon sur rue.
Comme l’impôt progressif des plus hauts revenus s’avère
rapidement insuffisant pour le Minotaure qu’est l’État et qu’il s’applique
également aux classes moyennes, il incite ces autres victimes « à
redoubler d’efforts pour préserver, du moins en partie, leur niveau de vie
antérieur ».
Pourquoi les dépenses publiques augmentent-elles ? Les
redistributionnistes « font tout pour conserver en l’état, et parfois
même développer au maximum, des services que leur « société d’égaux »
serait bien en peine d’acheter sur le marché au prix que supportent les
pouvoirs publics » :« Les coupes dans les revenus des classes
supérieures et moyennes entraînent donc nécessairement un surcroît dans les
dépenses et les taxes publiques. »
Jouvenel précise : « Parce que l’État ampute les
hauts revenus, c’est à lui de prendre à son compte leurs fonctions d’épargne et
d’investissement, et c’est ainsi que nous en arrivons à la centralisation de l’investissement.
Parce que le revenu individuel seul ne suffit plus à couvrir les frais de
formation et d’entretien des personnels qui remplissent les fonctions sociales
les plus délicates et les plus spécialisées, c’est à l’État de prendre à sa
charge ces dépenses de formation et d’entretien pour ce même personnel. »
C’est ainsi que les États-providence sont entrés dans un
cercle vicieux, dont nous ne sommes pas près de sortir : « La
redistribution a pour conséquence l’extension du rôle de l’État. Et, a contrario,
l’augmentation des montants prélevés par l’État ne passe pour acceptable qu’à
la condition de l’accompagner de mesures de redistribution. »
Bertrand de Jouvenel, L’Éthique de la redistribution, Les Belles Lettres, 144
pages.
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